Après les frappes, Paris veut une stratégie diplomatique pour la Syrie
« Mission accomplie », s’est félicité le président américain Donald Trump sur Twitter, au lendemain des frappes occidentales qui ont touché trois sites liés au programme chimique syrien. Moins triomphaliste, Paris plaide pour une relance de la machine diplomatique sur le dossier syrien. La France a annoncé, samedi 14 avril, avoir proposé à l’ONU, aux côtés de ses partenaires britannique et américain, un projet de résolution pour « sortir de l’impasse (…) et mettre un terme à la tragédie syrienne ».
Un communiqué de l’Elysée confirme l’objectif : « le Conseil de sécurité des Nations unies doit maintenant reprendre, dans l’unité, l’initiative sur les volets politique, chimique et humanitaire en Syrie, pour assurer la protection des populations civiles et pour que ce pays retrouve enfin la paix. » Paris veut capitaliser rapidement sur ces frappes qui envoient « un signal de fermeté mais qui ne correspondent pas à une offensive militaire », précise un diplomate au fait des discussions. « Ce signal de fermeté n’a de sens que dans le cadre d’une stratégie politique », souligne-t-il.
Un message directement adressé à Washington qui avait annoncé, il y a quelques jours, vouloir se désengager du théâtre syrien. La France n’avait eu de cesse d’appeler, au cours des derniers mois, à un réengagement des Etats-Unis dans la recherche d’un compromis politique, « seule manière de faire front au rouleau compresseur russe et d’obtenir une solution politique inclusive en Syrie », précise le diplomate.
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Le chimique, le politique et l’humanitaire
Consulté par Le Monde, le projet de texte – non définitif et qui devrait faire l’objet d’intenses négociations dans les prochains jours – propose de relancer un mécanisme d’enquête indépendant et impartial sur l’usage d’armes chimiques en Syrie, capable d’attribuer les responsabilités des attaques. Cette mention devrait être le point de contentieux.
La Russie s’y oppose avec force depuis que le mécanisme précédent connu sous l’acronyme de JIM – Mécanisme d’enquête conjoint de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) et de l’ONU – avait accusé le régime syrien d’avoir mené quatre attaques chimiques à Khan Cheikhoun, Sarmin, Talmenes et Qmneas. Moscou avait utilisé par trois fois son veto pour aboutir au démantèlement du JIM en novembre dernier.
Cette résolution s’articule autour des trois sujets clés de la crise syrienne : le chimique, le politique et l’humanitaire. Dans un souci évident d’engager la Russie dans les négociations, elle repose sur des textes de résolutions déjà agréés par le passé, comme la résolution 2254 pour une reprise des pourparlers de paix intersyriens à Genève, qui sont toujours au point mort, et la 2401 – votée à l’unanimité en février mais jamais appliquée – qui exige un accès humanitaire sûr et sans entrave à la population syrienne et l’instauration d’un cessez-le-feu.
Elle oblige aussi le régime syrien à coopérer avec l’OIAC pour mener à son terme le démantèlement de son programme chimique, et demande à l’OIAC d’informer le Conseil de sécurité sous trente jours de tout amendement transmis par Damas sur sa déclaration de stocks faite en 2013. Les Occidentaux soupçonnent le régime syrien de ne pas avoir déclaré l’ensemble de son arsenal chimique.
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Des intentions américaines encore floues
Cette offensive diplomatique marque une volonté claire de la France, fer de lance de cette initiative, de relancer une mécanique complètement grippée par les douze veto de la Russie depuis le début du conflit en Syrie et les processus politiques parallèles lancés à Astana et à Sotchi par la Russie, la Turquie et l’Iran.
Les intentions américaines restent, cependant, très floues. Nikki Haley, la représentante de Washington à l’ONU, a semblé vouloir minimiser samedi la portée des frappes américaines. « Notre stratégie vis-à-vis de la Syrie n’a pas changé », a t-elle précisé. Très proche du président Trump, Mme Haley s’en est tenue à une rhétorique menaçante sans se positionner sur le sujet épineux de la transition politique : « J’ai parlé au président Trump et il m’a dit “si le régime syrien utilise encore ces gaz toxiques, les Etats-Unis seront prêts à dégainer de nouveau.” Quand notre président dessine une ligne rouge, notre président respecte cette ligne rouge. »
Mme Haley s’exprimait, samedi, dans le cadre d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité réclamée par Moscou au lendemain des frappes occidentales. Le représentant moscovite, Vassily Nebienza, s’en est vivement pris aux membres de la coalition qui ont mené, selon lui, un « acte d’agression à l’égard d’un Etat souverain à l’avant-front de la lutte contre le terrorisme. » Moscou a réclamé le vote d’une résolution condamnant ces frappes « qui violent la charte de l’ONU et le droit international », mais seules la Chine et la Bolivie se sont positionnées en faveur de Moscou.
« Le résultat de ce vote envoie un message clair sur la compréhension par les membres du Conseil de sécurité des circonstances, des motivations et des objectifs de nos actions d’hier. (…) Surtout, personne ne conteste que l’usage d’armes chimiques ne saurait être toléré et doit être dissuadé », s’est félicité l’ambassadeur français François Delattre. Celui-ci a aussi balayé les reproches russes : « la charte des Nations unies n’a pas été conçue pour servir de protection à des criminels. »
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