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Mal-être, manque d’intérêt, sentiment d’être inutile… La tentation d’un nouveau départ professionnel

Après dix années à arpenter les couloirs des plus grandes entreprises françaises, Thomas Zaruba envoie tout balader en novembre 2015 pour se consacrer à sa passion : la musique. « Les attentats de Paris ont agi comme un électrochoc, dit-il. J’ai pris conscience que tout pouvait s’arrêter très vite. Que je n’avais plus de temps à perdre pour réaliser ce qui me ­tenait vraiment à cœur : enregistrer un disque. »

Pour Caroline Utzschneider, c’est « une ambiance de travail qui se ­dégrade et le sentiment que, sans [lui] ­déplaire, [son] métier ne [la] nourrit pas » qui la décident à faire une pause après douze ans passés à la communication d’un grand constructeur automobile.

« Toute bifurcation est ambivalente »

Les Français sont nombreux à vouloir changer de voie. D’après une enquête ­réalisée par OpinionWay pour BPI group – société de conseil en ressources humaines (RH) –, en 2015, « plus d’un salarié sur deux réfléchit à un nouveau projet professionnel ». Une proportion qui monte à 74 % en cas de menace sur leur emploi, selon une étude Ipsos pour l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes réalisée en 2017.

Manque d’intérêt, sentiment de mal-être, l’impression d’exercer un métier qui n’a pas de sens, d’être inutile… « Les motifs à un nouveau départ sont nombreux et s’entremêlent », note Astrid du Roure, consultante en évolution professionnelle et coach chez M & A Consultant. Au point qu’il est parfois difficile de dégager une explication précise.

La crise de motivation surgit souvent à la mi-temps de la vie professionnelle.

« Toute bifurcation est ambivalente. Le candidat au changement fuit quelque chose en même temps qu’il est attiré par autre chose, analyse Jean Pralong, professeur de RH et directeur de la chaire intelligence RH & RSE de l’Institut de gestion sociale IGS-RH. C’est le principe du push and pull [pousser-tirer]. Le pull est positif. L’individu se sent attiré par un métier et met tout en œuvre pour l’atteindre. »

Les secteurs qui attirent

C’est souvent une personne qui, à l’instar du musicien Thomas Zaruba, a une passion, une vocation, ou qui pratique une activité bénévole et veut en faire sa profession. Les métiers du social, de la santé ou de l’enseignement font partie des secteurs qui attirent le plus les re­conversions. C’est cette dynamique qui a conduit Caroline Utzschneider à choisir l’orthophonie.

« Je cherchais une profession qui ait du sens et dans laquelle je me sente utile, raconte celle qui fut étudiante à Paris-I – Panthéon-Sorbonne. C’est en assistant à une séance d’orthophonie pour mon fils que j’ai réalisé que c’était exactement le métier que je voulais exercer, qu’il me correspondait parfaitement ! »

A l’inverse, la bifurcation peut être guidée par un rejet, une frustration, c’est le push. « Plus que changer de métier, la personne veut quitter le poste qu’elle occupe. Elle sait ce qu’elle ne veut plus, mais pas ce qu’elle veut », décode Jean Pralong.

Cette crise de motivation, qui surgit souvent à la mi-temps de la vie professionnelle, n’étonne pas Fabienne Autier, professeure et chercheuse en gestion des ressources humaines à l’EM Lyon : « L’individu est allé au bout d’une certaine forme de réussite, il s’est prouvé qu’il était capable d’être un bon professionnel. Il ressent brutalement une perte d’intérêt pour ce qu’il fait. C’est à ce moment-là qu’il peut décider une reconversion. »

De nombreux freins

Quelle qu’en soit la raison, changer de voie n’a rien d’évident, tant les freins sont nombreux. « S’arracher à la sécurité d’un emploi dans lequel on est reconnu, devoir renoncer à un certain niveau de vie a de quoi décourager plus d’un candidat à la reconversion », souligne Astrid du Roure. Pendant dix ans, Adrien Ancel a revêtu son costume de banquier sans « envie » ni « motivation ». Jusqu’au jour où il décide de faire un bilan de compétences. « Il en est ressorti que j’étais plutôt manuel et créatif », constate-t-il.

« C’est le salaire de ma femme qui nous fait vivre. »

Il remise alors son costume au placard – et le salaire qui va avec – et passe un CAP, d’abord de me­nuiserie, puis d’ébéniste. « A l’époque, je n’avais pas de famille à charge ni d’emprunt à rembourser. Les risques étaient limités », reconnaît-il. Sept ans après avoir lancé son activité, il parvient tout juste à se rémunérer 1 000 euros par mois : « C’est le salaire de ma femme qui nous fait vivre. »

Changer de trajectoire, c’est aussi ­souvent devoir reprendre des études. Or retourner sur les bancs de l’école à 40 ans, apprendre de nouvelles choses s’avère stimulant mais exige aussi un investis­sement très important, pas toujours compatible avec la vie de famille. Surtout quand les études sont longues, comme c’est le cas en orthophonie pour Caroline Utz­schneider. « Avant de commencer, je n’imaginais pas l’ampleur de la tâche et à quel point ce serait difficile », soupire la jeune femme, qui termine sa troisième année d’études à La Pitié-Salpêtrière, à Paris.

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Le regard des autres peut aussi inhiber bien des initiatives. « Lorsque j’ai annoncé à mon entourage que j’allais faire de la musique mon métier, on a tenté de m’en dissuader en mettant en avant la difficulté à percer dans un milieu où l’on n’a pas de réseau. On me répétait que j’étais inconscient et que je n’y arriverais jamais », se souvient Thomas Zaruba. Autant dire que pour faire face à toutes ces résistances, mieux vaut avoir une grande assurance personnelle.

Attention au mirage

Parmi ceux qui ont pris un nouveau départ, la plupart disent ne pas le regretter malgré les difficultés rencontrées, et en conclure que changer de métier est la réponse à toutes les questions, à commencer par celle du bonheur au travail, est tentant.

« Derrière le désir de reconversion, il y a l’idée très française qu’il existe un métier vocationnel pour lequel chacun­ ­serait fait et où il s’épanouirait. Or, dans toute activité professionnelle, il existe des aspects positifs et d’autres qui le sont moins », rappelle Jean Pralong.

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Avant de renverser la table, mieux vaut prendre le temps de bien réfléchir et de mûrir son projet. Surtout si on décide de tout chambouler parce qu’on ne supporte plus la routine du bureau. « Attention au mirage, met en garde Fabienne Autier. Dans un premier temps – celui de la découverte et de l’apprentissage d’un nouveau métier –, le sentiment d’ennui va disparaître. Mais il réapparaîtra, après quelques années, car il est lié non pas à la nature du travail mais à ce que l’on y met. »

Selon la chercheuse, pour retrouver de l’intérêt à ce que l’on fait et se sentir utile, il suffit parfois de développer un projet, dans le cadre de l’entreprise ou parallèlement à celle-ci. Cela peut être donner des cours pendant une ou deux journées par mois, s’engager dans une activité associative…En somme, nul besoin de décrocher de son emploi pour suivre une formation continue.

Le même métier, exercé autrement

Certains retrouvent de la motivation en exerçant le même métier, mais autrement, dans un environnement différent. C’est le cas de Soumaya Combe. Après quinze ans à occuper différentes fonctions chez SFR, elle ressent une envie de changement. « J’avais besoin de sortir de ma zone de confort et d’un secteur dans lequel j’étais à l’aise », se souvient-elle.

Elle reprend ses études et s’inscrit en mastère spécialisé marketing, management et digital dans le but de rejoindre une agence de communication. « Habituellement, on commence sa carrière dans un cabinet de conseil avant d’aller chez l’annonceur. Moi, j’ai fait l’inverse et j’en suis ravie. Je ne m’ennuie pas », conclut la jeune femme.

D’ennui, il n’en est plus non plus question pour Adrien Ancel : « Tous les matins, je suis content d’aller travailler. Aucune journée ne ressemble à une autre. Il y a zéro routine. » Thomas Zaruba ne regrette pas davantage la sécurité qu’offrent les entreprises du CAC 40. « Aujourd’hui, je fais ce que j’aime vraiment et ça marche », s’enthousiasme-t-il à la veille de la sortie de son deuxième album.


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