Après les frappes en Syrie, l’amertume des opposants
« Imaginer que les frappes occidentales pourraient infléchir le cours du conflit, c’est comme imaginer que l’on pourrait soigner un cancer avec une aspirine. » Cette formule imagée est de Rabie Nasser, le directeur d’un centre d’études syrien, installé à Beyrouth (Liban). Comme la plupart des opposants au régime de Bachar Al-Assad, cet exilé a observé les bombardements du samedi 14 avril, contre les sites de production et de stockage d’armes chimiques syrien, avec des sentiments mêlés.
S’il se félicite que les missiles américains, français et britanniques ont réaffirmé l’interdiction de l’emploi de substances toxiques sur les théâtres de guerre, il rappelle aussitôt que « 95 %, et même plus, des civils syriens tués dans le conflit, l’ont été par des armes conventionnelles et non chimiques ». Selon lui, même à supposer que les capacités des forces gouvernementales dans ce domaine aient été durablement endommagées ou que l’intervention des alliés dissuade Damas de refaire usage de gaz létal, ce qui reste dans les deux cas à vérifier, « le rapport de force reste très largement en faveur du régime et de ses alliés russe et iranien ».
« On aurait bien aimé que les frappes soient élargies à des bases militaires iraniennes ou à des symboles du régime, convient Abdul Ahad Astepho, membre de la Commission des négociations, le bras diplomatique de l’opposition syrienne. Ce régime ne fonctionne qu’aux menaces. »
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Optimiste invétéré, cet opposant chrétien veut croire malgré tout que cette riposte, toute limitée soit-elle, marque le retour des puissances occidentales dans le jeu diplomatique syrien. C’est l’ambition affichée de Washington, Paris et Londres, qui ont déposé un projet de résolution devant le Conseil de sécurité des Nations unies, censé être discuté à partir de lundi.
Le texte réclame un cessez-le-feu durable, un mécanisme indépendant d’enquête et d’attribution des responsabilités en cas d’attaque chimique, et exige des autorités syriennes « qu’elles s’engagent dans des négociations intersyriennes de bonne foi, de manière constructive et sans préconditions ». Autrement dit qu’elles consentent à une énième relance des pourparlers de Genève, pilotés par l’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, pourparlers qui n’ont jamais dépassé le stade du dialogue de sourds.
Mainmise du trio russo-irano-turc
Ce nouveau sursaut occidental risque cependant de se heurter, comme les précédents, à un veto de Moscou. Et, plus largement, à la mainmise du trio russo-irano-turc sur les affaires syriennes. « Les vraies négociations, elles ne se mènent pas à Genève, elles se mènent entre ces trois pays, qui sont les trois garants du processus d’Astana », relève Rabie Nasser, en référence aux discussions sous l’égide de Moscou, dans la capitale kazakhe, concurrentes non déclarées de celles de Genève.
« De Mistura et Genève ont été mis au frigo, reconnaît Abdul Ahad Astepho. La Russie a kidnappé la solution politique. » Et bien qu’en position de force, Moscou ne semble toujours pas prêt à forcer la main de son protégé syrien. La formation d’un comité chargé de réformer la Constitution, seul résultat du Congrès du peuple syrien organisé par le Kremlin, à Sotchi, sur les bords de la mer Noire, au mois de janvier, se heurte au refus de coopérer manifeste de Damas.
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A la mi-mars, Staffan de Mistura avait souligné, très diplomatiquement, que le gouvernement syrien ne s’était pas acquitté de ses « devoirs » sur ce sujet. Il avait ajouté que le groupe de travail sur les détenus et les disparus, créé lors d’une réunion à Astana en décembre 2017, faisait lui aussi du surplace. « Le régime a le sentiment qu’il est en train de gagner, pourquoi négocierait-il ? », fait valoir Rabie Nasser.
Violents bombardements
Durant le week-end des 14 et 15 avril, le pouvoir syrien a d’ailleurs veillé à démontrer que l’attaque occidentale ne changeait rien à ses plans. A Damas, des forces ont commencé à se masser en prévision de la reconquête du camp de Yarmouk, tenu par l’organisation Etat islamique, et de trois autres faubourgs de la banlieue sud aux mains de factions rebelles. Il s’agit des ultimes secteurs des environs de la capitale à échapper aux troupes loyalistes.
De violents bombardements ont aussi secoué les provinces d’Homs et d’Hama, où l’insurrection contrôle encore quelques petites poches. Les casques blancs, l’organisme de premier secours en zones rebelles, ont comptabilisé 28 frappes aériennes, dimanche, sur ces régions. « Pour masquer les coups qu’il a reçus, le régime se livre à une escalade, sur le terrain et dans la rhétorique », dit le syrien Mazen Ezzi, journaliste au site d’informations Al-Modon.
Les raids de samedi sont désormais qualifiés d’« agression tripartite », une formule utilisée par l’Egypte de Nasser pour désigner l’attaque franco-anglo-israélienne de 1956 sur Suez. En ranimant le souvenir de cette expédition coloniale honnie, les dirigeants syriens espèrent redorer leur blason dans le monde arabe.
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