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« Projet Daphne » : la piste politique inexplorée dans le meurtre de la journaliste maltaise

Des policiers protègent l'entrée arrière du palais de justice de La Valette à Malte, le 26 mars, lors de l'arrivée des assassins présumés de la journaliste Daphne Caruana Galizia.

Trois accusés pour un meurtre, mais toujours pas de mobile. Dès la première audition, le 5 décembre 2017, de Vincent Muscat, suspecté d’avoir assassiné la journaliste Daphne Caruana Galizia le 16 octobre 2017, avec ses deux complices, les frères Degiorgio, la question d’un éventuel commanditaire a été posée par l’inspecteur chargé de l’enquête, Keith Arnaud. « Pourquoi avez-vous tué Daphne ? Soit vous assumez la responsabilité de sa mort, soit vous nous dites qui vous a payé pour placer la bombe, a lancé d’emblée le policier à l’adresse de Vincent Muscat, muré dans le silence. Si quelqu’un vous a mandaté, vous avez une chance de vous en sortir… »

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Quatre mois plus tard, la question du mobile et des éventuelles connexions politiques des trois suspects reste entière. Jamais Daphne Caruana Galizia ne s’était préoccupée des deux frères Degiorgio ni de Vincent Muscat. Jamais elle n’avait écrit sur eux. Jamais ils n’avaient eu à se plaindre de ses accusations. Comme Vincent Muscat, les frères Degiorgio n’ont pas dit un mot.

L’enquête a pu établir que George Degiorgio, connu des services de police, était sur écoute des services de sécurité maltais pour une autre affaire, avant même le meurtre, mais il semble que ces écoutes ne permettaient pas de détecter ce qu’il était en train de préparer. Plus intriguant encore, la police est convaincue que les trois malfrats ont été prévenus en amont de leur arrestation – ils avaient d’ailleurs jeté leurs téléphones portables à la mer.

Malgré ces indices troublants, les enquêteurs privilégient, à ce stade, la piste criminelle. « Vous devriez éviter de supposer que tout cela était une conspiration politique », met en garde une source proche de l’enquête.

Ainsi à ce jour, aucun des responsables politiques sur lesquels la journaliste a écrit n’a été entendu par la police. Ce que déplore la famille de Daphne Caruana Galizia, persuadée que le mobile du meurtre de la journaliste est politique. La famille affirme avoir notamment transmis au magistrat chargé de l’enquête criminelle des informations sur les « fréquentations du ministre de l’économie, Chris Cardona », sur la base de « plusieurs témoignages » reçus sur le sujet. Le ministre avait porté plainte pour diffamation contre la journaliste.

Des « habitudes » dans un bar

« Cardona et les frères Degiorgio ont été vus en train de boire des verres dans le même bar », affirme la famille de la journaliste dans un communiqué transmis aux médias de Forbidden Stories. Si cela ne prouve pas en soi que le ministre ait entretenu des liens avec les suspects, ni a fortiori qu’il soit lié d’une quelconque façon à l’assassinat, la famille espère que cette information sera versée à l’enquête et vérifiée.

Sollicité, Chris Cardona assure « n’avoir jamais eu de rendez-vous » avec aucun des trois suspects. Mais le ministre ajoute « ne pas se souvenir » s’il a pu avoir une discussion avec l’un d’entre eux, dans ce bar nommé Ferdinand’s, dans la commune rurale de Siggiewi, au centre de l’île, au pied d’une église baroque du XVIIe siècle.

Mots et fleurs laissés par des anonymes sur les lieux où la voiture de Daphne Caruana Galizia a terminé sa course après avoir explosé, à Il-Bidnija, dans le nord de Malte.

A Malte, deux habitués du lieu, rencontrés séparément par les membres du « projet Daphne », nous ont pourtant assuré, sous le couvert de l’anonymat, « avoir vu ensemble à plusieurs reprises George Degiorgio et Chris Cardona », ce dernier ayant « ses habitudes au Ferdinand’s ». L’un d’eux, présenté par un haut responsable de l’opposition maltaise, affirme même avoir été témoin d’une conversation animée entre eux, en novembre 2017, environ un mois après le meurtre de la journaliste.

Les Caruana Galizia ont par ailleurs refusé de transmettre l’ordinateur de la journaliste à la police, par crainte pour ses sources. « Si nous donnons l’ordinateur, des informations sensibles pourraient fuiter », explique Corinne Vella, la sœur de Daphne. L’enquête sur le meurtre est « vigoureusement menée, conteste le premier ministre travailliste Joseph Muscat – sans lien de parenté avec Vincent Muscat. La police maltaise fait son travail avec un professionnalisme total, et sans crainte ni faveurs ».


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