États-Unis : l’intrigant Mr Comey
Son héros littéraire est Atticus Finch, l’avocat droit et honnête du célèbre roman d’Harper Lee Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur qui défend un Noir injustement accusé. Son maître à penser Reinhold Niebuhr, un théologien protestant, dont les réflexions ont notamment influencé Barack Obama. Depuis des années, James Comey, l’ex-patron du FBI, peaufine son image, celle d’un homme humble, intègre, défenseur de la vérité.
Mais la publication de son livre A Higher Loyalty : Truth, Lies, and Leadership (Mensonges et vérités pour l’édition française) et la série d’interviews qu’il vient de donner pour l’occasion risquent de ternir son image de parangon de rectitude morale. Lui qui s’est toujours efforcé de rester au-dessus de la mêlée politique, qualifie désormais Trump de président « moralement inapte » et assimile son comportement à celui des patrons de la mafia. « Le cercle silencieux d’assentiment. Le boss qui contrôle tout. Le serment de loyauté. La mentalité eux contre nous. Les mensonges constants, petits et gros, au service d’un quelconque code de loyauté qui met l’organisation au-dessus de la moralité et de la vérité », écrit-il.
Plus étonnant, il attaque également Donald Trump sur son apparence. « Sa cravate était trop longue, comme toujours. De près, il avait l’air légèrement orange avec de petites demi-lunes sous les yeux qui venaient, j’imagine, des lunettes du bronzage artificiel. » On croirait entendre Trump lui-même ! « Le fait que l’ex-directeur du FBI ait l’air mesquin et tout sauf bien intentionné diminue l’impact de sa critique », estime dans le New York Times Michael Steel, un consultant républicain.
Les contradictions
« La transparence est presque toujours la meilleure des méthodes », écrit James Comey, qui semble néanmoins ne pas toujours s’appliquer ce principe. Alors qu’il était le numéro deux du ministère de la Justice sous l’administration Bush, il se présente comme anti-torture, mais a tout de même cautionné un document qui listait des méthodes d’interrogatoire musclées, dont la simulation de noyade. « Alors que nos voix intérieures criaient que c’était une chose terrible, que l’efficacité était bien exagérée, ces voix devaient rester enfermées en nous », se justifie-t-il, assurant qu’il ne pouvait pas faire grand-chose, car la CIA ne le tenait pas au courant.
Il raconte également comment il a tout fait pour s’opposer à un programme de surveillance de l’Agence de sécurité nationale (NSA) qu’il jugeait illégal. Un programme qui n’était qu’un des nombreux systèmes de surveillance de la NSA sous les présidents Bush et Obama. James Comey fait aussi un certain nombre d’omissions dans son livre. Andrew McCabe, son adjoint au FBI, est à peine mentionné, alors qu’il joue un rôle central. L’enquête en cours sur l’ingérence russe dans les élections est pour sa part soigneusement évitée.
L’aveu
Mais c’est surtout son explication sur sa gestion très critiquée de l’affaire des e-mails d’Hillary Clinton qui ne convainc guère. Le FBI avait ouvert une enquête après l’utilisation par la candidate démocrate d’un serveur privé pour ses communications. En juillet 2016, James Comey convoque une conférence de presse et déclare qu’il n’y aura pas de poursuites judiciaires, mais qualifie le comportement de l’ancienne secrétaire d’État « d’extrêmement négligent ». On pense l’histoire réglée. Pourtant, Comey annonce le 28 octobre qu’il rouvre l’enquête parce que d’autres e-mails ont été trouvés sur l’ordinateur du mari de sa plus proche conseillère. Évidemment, l’annonce fait l’effet d’une bombe à onze jours des élections. Juste avant le scrutin, le FBI déclare qu’il n’y a rien de confidentiel défense dans les courriers et clôt l’enquête. Mais les pro-Clinton sont persuadés que ça leur a coûté l’élection.
Dans son livre, James Comey explique : soit il rendait publique la nouvelle enquête et risquait de favoriser Donald Trump, soit il ne pipait mot, mais, dans ce cas, si Hillary Clinton était élue, « qu’est-ce qui allait arriver au FBI, au ministère de la Justice ou à sa propre présidence si on découvrait, plus tard, qu’elle était toujours l’objet d’une enquête du FBI ? » Mais le plus étonnant reste l’aveu de Comey, qui reconnaît qu’il pensait qu’Hillary Clinton allait gagner et qu’« il est entièrement possible » qu’il ait décidé de révéler l’existence d’une nouvelle enquête 11 jours avant le scrutin parce qu’il était inquiet. S’il ne le faisait pas, cela ferait d’elle « un président illégitime ». Est-ce qu’il aurait agi différemment si Donald Trump avait été en tête des sondages ? « Je ne sais pas », répond-il, tout en espérant que son action n’a pas été « un facteur décisif dans l’élection ».
Il n’explique cependant pas vraiment pourquoi le FBI n’a pas mentionné qu’il enquêtait également depuis l’été sur une éventuelle collusion entre l’équipe de Trump et Moscou. Un fait que l’électeur aurait sans doute aimé connaître.
L’avenir
Selon l’ancien patron du FBI, ce livre doit lancer un débat sur l’éthique politique et mettre en garde les Américains contre le « feu de forêt » que constitue cette présidence, qui est en train de causer de sérieux dommages aux institutions du pays. Celui qui se clame au-dessus des querelles politiciennes « semble extrêmement préoccupé par la manière dont ses actions seraient perçues politiquement », remarque sur Twitter le politologue Nate Silver.
Comey seems extremely preoccupied with how his actions would be perceived politically. For instance, here he’s saying that letting the « facts and law decide what you should do » is a great idea … provided the politics of the situation are a wash for you either way. pic.twitter.com/sGdkEKWzWH
— Nate Silver (@NateSilver538) 16 avril 2018
Et se retrouve propulsé chef de file de facto des anti-Trump. Le président l’a même insulté sur Twitter, le qualifiant de « pire directeur du FBI de l’histoire. »
Slippery James Comey, a man who always ends up badly and out of whack (he is not smart!), will go down as the WORST FBI Director in history, by far!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 15 avril 2018
La suite logique serait sans doute qu’il se lance en politique… Mais James Comey est catégorique : « Je ne me présenterai jamais à une élection », a-t-il assuré lors d’une interview à la radio. Il préfère enseigner à la fac l’éthique du leadership. Il a de nombreux exemples… Il est au moins certain d’arrondir ses fins de mois grâce à ses Mémoires. Tous les livres que Donald Trump critique via Twitter deviennent des best-sellers. Près de 2 millions d’exemplaires de l’ouvrage de Michael Wolff, Le Feu et la Fureur , sur les coulisses de la Maison-Blanche, ont été vendus en trois semaines.
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