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Affaire Selmayr : Juncker intimide le Parlement européen

Fin d’un psychodrame dont personne ne sort grandi. Après deux mois de chipotage juridique, le Parlement européen a adopté, à une très large majorité, une résolution invitant la Commission à « réévaluer » la procédure de nomination des hauts fonctionnaires de l’Union. Un vote qui ne remet pas en cause la nomination cavalière de Martin Selmayr, l’homme de confiance de Jean-Claude Juncker, au poste de secrétaire général de la Commission. Les eurodéputés n’ont pas osé aller au bout d’un conflit qui les oppose à Juncker, lequel a aussitôt envoyé le commissaire Oettinger réaffirmer que cette nomination litigieuse avait respecté toutes les règles.

Pour mémoire, le 21 février dernier, Jean-Claude Juncker propose au collège des commissaires de nommer son chef de cabinet, l’Allemand Martin Selmayr, d’abord secrétaire général adjoint, puis quelques minutes plus tard secrétaire général de la Commission. La personnalité autoritaire de Selmayr, véritable tête pensante de la présidence luxembourgeoise, en irrite plus d’un à Bruxelles. La procédure choisie a pris soin d’écarter tout concurrent sérieux et a pris de court les commissaires, bien obligés d’opiner à ce que les détracteurs de Juncker appellent un « putsch luxembourgeois ».

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Des tensions au sein du collège des commissaires

Le Parlement de Strasbourg s’en émeut, pose plus d’une centaine de questions sur les conditions de cette nomination. De son côté, Jean-Claude Juncker se crispe. Il se plaint de ne pas recevoir le soutien du PPE, la formation politique dont il est membre et qui l’a porté à la tête de la Commission. Le psychodrame enfle en coulisses lorsque Juncker menace de démissionner si son homme de confiance doit être contraint d’abandonner son poste… L’ultimatum a été pris au sérieux.

Pendant ce temps, au sein du collège de la Commission, des tensions apparaissent. Si aucun commissaire n’a remis en cause publiquement le passage en force de Juncker, beaucoup se répandent, en off, dans les médias. La tension parvient à son comble lors de la séance du mercredi 11 avril. Certains commissaires se plaignent du pouvoir trop solitaire de Juncker et réclament plus d’autonomie dans la gestion de leurs dossiers. C’est bien entendu l’emprise de Selmayr qui est, en réalité, visée… Jean-Claude Juncker réplique : « Moi, vous m’étonnez chaque jour quand j’ouvre les journaux… » D’autres commissaires, au contraire, jouent à fond la carte Juncker, car, à l’approche de la fin du mandat (mai 2019), ils ont besoin de recaser les membres de leur cabinet dans l’administration bruxelloise. Et pour ce faire, l’appui de Selmayr, désormais le grand patron de l’administration, leur est indispensable…

De la neutralité des hauts fonctionnaires

Au sein du PPE, le coup de gueule de Juncker a été entendu. Le Parlement européen aurait pu être plus virulent dans sa résolution en exigeant la démission de Selmayr. Mais il a préféré le terme plus vague de « réévaluation », pour ne pas ajouter une crise à la crise et faire le jeu des populismes, au moment où ceux-ci ont le vent en poupe. Donc, on en reste là : Juncker a divisé son collège et campe sur sa fierté blessée, le Parlement proteste dans le vide en brandissant une résolution en papier… Tout le monde a perdu.

Pour la forme, le Parlement européen demande à la Commission de réactualiser les règles « afin de garantir que le secrétaire général joue un rôle neutre » (tant on craint que Selmayr place ses affidés dans tous les rouages bruxellois). La Commission consent à réunir « une table ronde interinstitutionnelle » afin de « garantir l’excellence et l’indépendance de la fonction publique de l’Union européenne, pour le bien et dans l’intérêt commun de nos concitoyens ». Rideau.


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