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Livres : cinq versions du destin

Le style ou l’histoire ? L’histoire ou le style ? Le débat ne sera jamais tranché. Il consiste à se demander ce qu’est un bon livre ? Sans doute un texte qui allie l’un et l’autre. Cela tombe bien, car, avec les beaux jours et le soleil revenu, les bons livres sont de retour. Ils font la part belle aux héros, et aux destins peu communs. Il y en a pour tous les goûts et surtout pour les lecteurs les plus exigeants.

Gloire aux Bretons !

Les Bretons sont partout ! Dans les livres d’histoire (la duchesse Anne, Bertrand du Guesclin), sur les mers et les océans (Surcouf, Éric Tabarly), à la tête de la France (René Pleven, Jean-Yves le Drian), à la tête des journaux parisiens (nous ne citerons personne !) ou au sommet des entreprises (Patrick Le Lay, Yves Guillemot)… On dit qu’une solidarité sourde mais inébranlable les unit, qu’ils partagent une opiniâtreté enviable et qu’arrivés au sommet de leur gloire parisienne ils ne pensent qu’à une seule chose : retrouver leurs racines, les embruns, les contes et légendes qui ont bercé leur enfance. Régis Le Sommier est breton 100 % pur lichen, venu du pays de Léon, dans le Nord-Finistère : bref, le saint des saints de la Bretagne. Au mitan de sa vie, il se penche sur ses compatriotes qui ont fait la France. Autant dire que l’emphase et l’admiration rôdent au creux de chaque portrait. On ne l’en blâmera pas tant il est rafraîchissant de lire des propos positifs et reconnaissants qui reposent des amertumes encrées devenues lectures courantes. Dans le Panthéon de l’auteur trône la duchesse Anne. Elle a si bien « fait » la France qu’elle a donné la Bretagne à la couronne. Mais qu’importe sa frivolité, son train de vie de reine ou l’appauvrissement de ses sujets, elle reste la figure tutélaire et romanesque de ses lointains descendants. Seize portraits tissent un patchwork attachant et solide. Le plus émouvant est celui qu’il consacre à son père, officier mécanicien sur des sous-marins lanceurs d’engins. Père et fils n’étaient, semble-t-il, pas très proches, mais, post-mortem, « les valeurs communes » – au premier plan desquelles l’amour de la Bretagne et de Brest – qui les unissent ont soudé les fissures.

Ces Bretons qui ont fait la France, de Régis Le Sommier, Grasset, 237 pages, 19 euros.

Versailles en majesté

Qu’ils habitent l’Élysée, le Louvre ou Versailles, les chefs de la France cherchent à préserver quelques onces de leur intimité. Les trois Louis qui ont habité le chateau royal vivaient entourés de centaines, parfois de milliers de courtisans. Témoins des moindres faits et gestes du souverain, ils étaient les Saint Jean Bouche d’or de la cour, enjolivant les saynètes, accréditant les rumeurs, aggravant les incidents, tisonnant les malentendus et voyant dans chaque nouvelle duchesse, comtesse ou simple mademoiselle une maîtresse du roi. Pour préserver les secrets d’alcôve, Louis XIV, Louis XV (son arrière-petit-fils) et Louis XVI (son petit-fils) ont rusé : ils construit le Petit Trianon, le hameau de la Reine, dissimulé des appartements privés en plein cœur du somptueux palais, donné des fêtes aux buts inavouables, envoyé des leurres, profité de quiproquos opportuns ou largement utilisé les caisses du royaume. Ce sont tous ces secrets d’alcôve que Marc Fourny a rassemblés dans son plaisant et érudit Versailles confidentiel. Tout commence avec madame de La Vallière, dame de compagnie de la belle-sœur du Roi-Soleil. Elle devait servir de paravent, elle fait tourner la tête du maître de la France. Tout se termine – tragiquement – avec Axel de Fersen, amant de Marie-Antoinette, qui achève de jeter dans la rue les sujets de Louis XVI. Marc Fourny confirme les hésitations des historiens sur la nature réelle des relations entre la reine et l’officier suédois. La rumeur et la suspicion achèveront de jeter le discrédit sur la monarchie.

Versailles confidentiel, de Marc Fourny, La Librairie Vuibert, 285 pages, 19,9 euros.

Changer de vie

Pourquoi donc Antoine Duris, un prometteur professeur aux beaux-arts de Lyon, décide-t-il de tout abandonner pour devenir gardien de musée ? Sa femme, sa sœur, la DRH du musée d’Orsay, où il surveille désormais la salle où sont exposées des toiles de Modigliani, se perdent en conjectures. D’autant qu’Antoine brouille les pistes, ment et se dissimule. Quelques audaces plus tard, il tombe dans les bras de la directrice du personnel du musée. Ensemble, ils quittent Paris pour regagner la capitale des Gaules. S’ouvre alors une seconde histoire où le tragique le dispute au dramatique. Antoine fait la connaissance d’une jeune élève douée et d’une impressionnante culture picturale. Las, l’élève a été abusée par un de ses profs quelques années plus tôt. Ce viol a déréglé sa vie, cassé sa personnalité et troublé les relations qu’elle peut entretenir avec autrui. Mais, avec Antoine, c’est autre chose : elle croit, elle espère qu’il va lui permettre de chasser les mauvais nuages qui la traumatisent encore. Un coup de foudre s’esquisse, mais il se terminera dans les larmes, le sang et la stupeur. Deux êtres cassés peuvent-ils se réparer au contact de la beauté et de l’art ? Ce thème avait déjà été abordé par Foenkinos dans Charlotte. Il y apporte une nouvelle interprétation, plus profonde et plus sombre.

Depuis La Délicatesse en 2009, chaque livre de David Foenkinos est un best-seller traduit dans plus de 15 langues. Son patronyme devenu une marque, l’auteur pourrait se contenter, comme tant d’autres avant lui, de produire des livres médiocres, de se répéter, sachant que, quoi qu’il en soit, ses « fans » s’y retrouveraient. À l’inverse, il se renouvelle explore sans cesse de nouvelles contrées et étonne encore ceux qui le suivent depuis Inversion de l’idiotie, son premier opus paru en 2002. 

Vers la beauté, de David Foenkinos, éditions Gallimard, 222 pages, 19 euros.

Une discrète comtesse

La comtesse Berdaiev n’est pas seulement perdue dans son siècle, elle est également égarée dans l’espace. Chassée de Russie par la révolution bolchevik, la voici à Paris. Demi-mondaine, elle peint quelques toiles sans importance que quelques hommes puissants riches, ambitieux et discrets lui achètent. Car cette amoureuse passionnée a le chic pour se faire courtiser par les plus hauts personnages de l’État. Parmi eux, voici le président Marchandeau, le premier des députés. Leur entente est cordiale. On s’aime sans effusion, on se voit sans se faire remarquer, on parle sans faire de bruit. Tout cela aurait pu durer jusqu’à la mort d’un des tourtereaux. Mais un banal chapardage au rayon sous-vêtements du Bon Marché va faire dérailler ce train-train bourgeois. Bien entendu, cela finit par un scandale retentissant. Les feux mal éteints de la Seconde Guerre mondiale viennent tisonner l’affaire. Les tentures s’agitent et des ombres mal intentionnées viennent régler quelques comptes. La comtesse et son puissant protecteur sont dans de sales draps dont ils ne parviendront pas à s’extraire. Version romancée de l’affaire des ballets roses qui avait agité les premières années de la Ve République, La Vérité sur la comtesse Berdaiev brille par la prose inimitable, élégante et soignée de Jean-Marie Rouart, qui décrit avec moult détails la vie quotidienne et pas toujours bien rangée de cette petite communauté russe, habituée à la grandeur et à la prospérité et qui peine à retrouver ses marques et ses habitudes dans le Paris des années 50.

La Vérité sur la comtesse Berdaiev, de Jean-Marie Rouart, é ditions Gallimard, 208 pages, 17,50 euros.

Entre deux guerres !

François Gibault est un avocat octogénaire, commandeur de la Légion d’honneur, président de la Fondation Dubuffet et auteur Gallimard. À la lecture de cette seule phrase, on pourrait déduire de ce personnage qu’il est un bourgeois conservateur, aux idées classiques et à la vie bien rangée. Grossière erreur. L’habit et la décoration ne font pas le moine. Un journal 1933-1940 dissipe une partie du malentendu. On croit tenir entre ses mains les notes d’un ancien combattant de 14-18 qui voit monter le nazisme en Allemagne et qui se lamente des atermoiements des politiciens de la IIIe Republique. Il y a un peu de cela. Mais si peu ! Défilent sous nos yeux les grands événements marquants de cette quasi-décennie. L’affaire Stavisky, les premières lois raciales outre-Rhin, l’instabilité ministérielle, les choses de la vie, les petits bobos du quotidien, l’âge qui vient… il ne manqua pas un bouton de guêtre à ce grand petit livre qui mélange l’histoire vraie, le roman et le sens de la formule de François Gibault. Exemples : « Il n’est pas certain que la religion tienne ses promesses après la mort, mais elle fait du bien pendant la vie. » Ou : « Quand le peuple est au pouvoir, il est pire tyran que les aristos, les dictateurs, les rois et les empereurs. » Ou celle-ci, pour conclure : « Il suffit de dire des choses que les gens ne comprennent pas pour qu’ils pensent que l’on est supérieurement intelligent. » Un concentré d’humour, de gentille provocation et de pages d’histoire…

Un journal 1933-1940, de François Gibault, é ditions Gallimard, 242 pages, 15 euros.


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