ENQUETE FRANCEINFO. Pourquoi y a-t-il si peu de cas de dopage dans le football ?
Je ne m’explique pas pourquoi on a si peu de contrôles positifs d’une façon générale », s’étonne Damien Ressiot, le directeur des contrôles de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD). Jeudi 31 mai, à l’heure où blanchit la campagne, il s’est rendu à Clairefontaine en compagnie d’un médecin pour contrôler les joueurs de l’équipe de France au saut du lit. Les contrôles inopinés et hors compétition, c’est le nec plus ultra pour attraper les tricheurs. De préférence le matin, pour ne pas (trop) chambouler le programme de l’équipe. « On leur avait dit de ne pas uriner au réveil, 21 des 23 joueurs ont suivi la consigne et ceux-là étaient libres à 10 heures. » Pour les deux étourdis, le contrôle s’est prolongé jusqu’à 12h30. « Mais les joueurs sont habitués et se sont comportés en professionnels. »
Les choses s’étaient moins bien passées quelques semaines plus tôt, quand les dirigeants de l’OM s’étaient émus que leurs joueurs doivent faire pipi dans l’éprouvette de bonne heure, à la veille de leur demi-finale, puis de leur finale de Ligue Europa. « Leur réflexe demeure ‘on ne touche pas au sport roi’, commente Marie-George Buffet, députée communiste et ancienne ministre des Sports. Sauf que cette fois, l’agence antidopage a répliqué et que les médias n’ont pas pris parti pour l’OM. »
La réaction épidermique des dirigeants marseillais rappelle cet acte manqué de l’antidopage français, lors d’un contrôle des Bleus d’Aimé Jacquet, un matin de décembre 1997 à Tignes, en plein stage d’oxygénation. Acte manqué, car la colère du sélectionneur, qui crie au complot contre son équipe, trouve un large écho dans la presse nationale, au point que son équipe est dispensée de contrôles jusqu’au Mondial. Acte manqué aussi car des analyses de sang ont révélé des « anomalies » chez plusieurs joueurs, écrit le docteur Jean-Pierre Paclet, médecin de l’équipe de France, dans son livre. « On peut avoir de forts soupçons quand on connaît les clubs où certains joueurs évoluaient, notamment en Italie », ajoute le spécialiste en référence à Zinédine Zidane et Didier Deschamps, qui évoluent alors à la Juve. En première ligne, la ministre des Sports Marie-George Buffet se retrouve dans l’œil du cyclone.
« L’opinion publique avait pris fait et cause pour les Bleus », soupire celle qui est toujours députée communiste de Seine-Saint-Denis. « À Matignon, les responsables du cabinet de Jospin me disaient : ‘N’allez pas gâcher la fête' », raconte Alain Garnier, qui chapeautait la lutte antidopage au ministère, dans le livre Zidane, une vie secrète. Cette immunité accordée aux Bleus se poursuit pendant la compétition, où Zinedine Zidane n’est pas contrôlé, après son expulsion contre l’Arabie saoudite, alors que c’est la procédure pour tout joueur ayant reçu un carton rouge. Ni la Fifa, ni le ministère des Sports ne l’expliquent.
Alors que l’affaire Festina entraîne en 1998 un grand coup de balai dans le cyclisme, le procès de la Juventus de Turin se solde, lui, en 2002 par un coup d’épée dans l’eau. On y apprend pourtant que le club turinois disposait de la pharmacie digne d’un hôpital d’une ville de 50 000 habitants avec plus de 280 types de médicaments. Et que Didier Deschamps dispose d’un taux d’hématocrite qui dépasse régulièrement les 50%, limite haute fixée par les scientifiques.
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Circulez, il n’y a rien à voir, oppose l’actuel coach des Bleus à ceux qui fouillent son passé médical. Comme Jean-Jacques Lozach, sénateur socialiste, rapporteur de la commission de lutte contre le dopage lancée en 2013, qui se souvient d’un « DD » sur la défensive lors de son audition : « Quand on l’a interrogé là-dessus, il nous a renvoyé au procès de la Juventus, où il n’y a pas eu de jugement en raison d’un vice de procédure. »
Il faut dire que le but de ce procès emblématique n’était pas vraiment de faire un grand ménage. « Le juge avait été nommé précisément parce qu’il n’y connaissait rien, se souvient Gérard Dine, professeur de biotechnologie qui a participé à l’instruction en tant qu’expert. C’était un spécialiste du droit du travail et dans son esprit, les joueurs étaient les victimes d’un système qui les obligeait à prendre des produits pour tenir les cadences. »
Le footballeur italien Filippo Inzaghi lors du procès pour dopage de la Juventus Turin le 12 janvier 2004 à Turin. (PIERRE ANDRIEU / AFP)
Logiquement, le médecin de la Juventus, Riccardo Agricola, écope de la peine la plus lourde en première instance : un an et dix mois de prison. Blanchi après une dizaine d’années de procédure, il vient à nouveau d’être embauché par la Juventus. Sans que personne s’en émeuve vraiment en Italie.
Des pratiques révolues ? Luis Horta pourrait nuancer ce bel optimisme. Quand ce Portugais débarque à la tête de l’Agence antidopage brésilienne en 2014, il n’imagine pas tomber dans un panier de crabes. D’un côté, le manque de volonté politique des responsables brésiliens. De l’autre, le mépris ostensible de la Confédération brésilienne de football, qui organise son propre système de contrôles, « destiné à ne surtout rien trouver », soupire-t-il. Luis Horta raconte un échange surréaliste avec le médecin-chef de la CBF, juste après avoir longuement exposé les modalités d’un système de contrôle efficace.
« Vous savez Luis, je pense que les contrôles hors compétition ne servent à rien.
– Mais je viens de prouver le contraire !
– On fait des tests après les matchs, comme les joueurs jouent tous les trois jours, ils n’ont pas le temps de se doper entre deux.
– Je viens de démontrer l’inverse. L’hormone de croissance disparaît en 48 heures de l’organisme par exemple ! »
Des années plus tard, rien n’a changé au Brésil, déplore cet expert. Des médecins sulfureux comme le docteur Julio Cesar Alves se sont ainsi fait piéger par la chaîne allemande ARD. Dans le documentaire Brazil’s Dirty Game, le praticien reconnaît, en caméra cachée, pour se faire mousser, avoir dopé du beau monde, dont le célèbre latéral Roberto Carlos. Ce dernier a aussitôt démenti, mais le doute demeure, faute de vraie réaction des autorités brésiliennes. « À ma connaissance, le programme antidopage que nous avions élaboré pour le football n’est toujours pas mis en place », souffle Luis Horta.
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