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RECIT. « On s’était tous jurés de lui donner un nom » : comment la « petite martyre de l’A10 » a été identifiée après trente ans d’enquête

Bernard Boisset vient de déposer « une grande gerbe de fleurs blanches » sur la tombe. Ce 9 septembre 1987, une trentaine d’habitants des environs de Suèvres sont à ses côtés, réunis dans le cimetière de la commune pour dire au revoir au « petit ange de l’A10 », toujours anonyme. Le garde champêtre était en vacances dans le sud de la France quand il a été appelé. « Il devait rentrer pour s’occuper du corps de la petite », se souvient sa veuve Geneviève. A l’époque, il est un peu l’homme à tout faire du village : il s’occupe des jardins, du cimetière, fait traverser les enfants à la sortie de l’école et garde un œil discret sur tout ce qui se passe aux alentours.

Son épouse se souvient de l’inhumation de la fillette « comme si c’était hier ».« J’y suis allée, bien sûr, raconte-t-elle. C’était un peu ma place car je suis maman. J’ai trois garçons, elle n’avait personne cette petite. » Au cœur du carré des enfants, l’homélie de l’Abbé Jean Vannier résonne. « Que le Seigneur éclaire les tortionnaires de cette enfant pour qu’ils reconnaissent leur crime », implore-t-il devant la petite tombe sans nom.

Le vice-procureur Pierre Bouyssic sur la tombe d\'Inass Touloub à Suèvres (Loir-et-Cher).Le vice-procureur Pierre Bouyssic sur la tombe d’Inass Touloub à Suèvres (Loir-et-Cher). (MAXPPP)

Dès le lendemain de l’enterrement, les forces de l’ordre se mettent à surveiller le cimetière nuit et jour et guettent les allées et venues autour de la tombe. « Nous avions espoir que quelqu’un, rongé par le remord, revienne », se souvient Georges Domergue, le premier juge d’instruction saisi dans cette affaire.

Un mois après la découverte du corps, aucune piste n’est privilégiée. Près de 5 000 gendarmes sont réquisitionnés dans huit départements pour mener l’enquête. « Nous avions 360 degrés d’hypothèses possibles », se souvient Michel Sabourault, alors procureur de la République de Blois. Toutes sont explorées. L’autopsie a par exemple révélé que la fillette avait mangé peu de temps avant sa mort – de la langue de bœuf et des légumes. Les gendarmes fouillent donc tous les relais routiers et restaurants, à la recherche d’indices.

Les enquêteurs se demandent aussi si sa famille ne réside pas à l’étranger, car le corps a été déposé près de la principale autoroute qui relie la région parisienne au Sud et présente « un physique méditerranéen ». « Dès le départ, on a fait un signalement à Interpol », se souvient le juge d’instruction Domergue, en charge du dossier dès 1987. La section de recherches d’Orléans met aussi au point un programme informatique pour croiser les familles répertoriées auprès de la CAF et les enfants censés être scolarisés à la rentrée 1988 dans le Loir-et-Cher et le Loiret. Si un enfant manquait à l’appel, la police aurait pu ainsi vérifier où il se trouvait. Toujours pas de résultat.

Les enquêteurs s’en remettent aux techniques novatrices du Centre d’analyse de recherches micro-électriques (Carme), un laboratoire privé basé à Bordeaux. L’un des chercheurs, Loïc Le Ribault, propose d’analyser les particules retrouvées sur les vêtements de l’enfant et sur la couverture. Il s’agit de quartz provenant d’une carrière d’Oucques, dans le même département, et de plastique issu d’une décharge de Marchenoir, au nord de Suèvres. Immédiatement, les gendarmes entament un porte-à-porte dans la région et se mettent à la recherche de la moindre maison ou cabane, s’imaginant que l’enfant viendrait d’une famille « désocialisée » ou que son père aurait pu travailler sur un chantier. Là encore, rien de plausible ne ressort de ces recherches.

Des gendarmes lors de l\'enquête sur \"la petite martyre de l\'A10\" dans le Loir-et-Cher.Des gendarmes lors de l’enquête sur « la petite martyre de l’A10 » dans le Loir-et-Cher. (MAXPPP)

Après un an d’enquête, le juge Domergue organise une campagne d’affichage de grande envergure. Il se met en lien avec l’Association des maires de France, les postes, les gares, les aéroports et les mairies pour que la photo de l’enfant (ci-dessous) soit placardée dans toute la France, mais aussi diffusée dans la presse algérienne, tunisienne et marocaine. Le cliché originel est retouché, jugé trop choquant pour une diffusion d’une telle envergure.

Attention : cette image est susceptible de heurter votre sensibilité.

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Un avis de recherche pour retrouver la \"petite disparue de l\'A10\", diffusé en 2012.Un avis de recherche pour retrouver la « petite disparue de l’A10 », diffusé en 2012. (MAXPPP)

Comme une dernière « bouteille à la mer », Georges Domergue s’appuie sur la nature des morsures retrouvées sur l’enfant et envoie plusieurs signalements à des hôpitaux psychiatriques. « La morsure était profonde à la poitrine, il y avait une déperdition de chair. Je pensais à de la lycanthropie, des comportements proches du loup… », justifie-t-il des années plus tard. Mais rien n’y fait : en 1992, une première ordonnance de non-lieu est prononcée. 


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