A la UneFestival d’Avignon

Avignon: l’histoire de Farid, 12 ans, réfugié afghan

RFI : Qu’est-ce que cela change si l’on raconte l’exil d’un petit garçon afghan à la hauteur d’un enfant ?

Miguel Fragat : Cela nous fait réfléchir d’une manière particulière. C’est au moment où l’on a commencé à lire des récits d’enfants qui ont fait cette traversée, de leur pays en Europe, vécu ces choses énormes et terribles, qu’on a vraiment senti une urgence de créer un spectacle sur ce sujet. Et de réfléchir ensemble sur le rôle de l’Europe, sur notre rôle comme citoyen et ce qu’on peut faire.

Qu’est-ce que cela change chez les spectateurs ?

Inès Baraphone : Cela permet d’abord de créer de l’empathie, de se mettre à la place de ce petit garçon, de se poser la question : « et si c’était moi ? » Cela change beaucoup la façon dont on regarde ces gens qui arrivent. Après, quand les enfants sortent du spectacle, ils posent les questions qui sont les plus justes : pourquoi ces personnes sont obligées de partir de chez eux ? Pourquoi nous, on n’ouvre pas les portes ? Pourquoi avons-nous tellement de difficultés par rapport à leur culture ? Comment peut-on faire que des petits enfants comme moi aillent à un endroit où ils peuvent rester, même si c’est temporaire ? Je crois que cela aide beaucoup à grandir, cette expérience à se mettre à la place de quelqu’un qui fait cette traversée horrible.

Pourriez-vous nous expliquer votre concept « La démocratie de mots » ?

Miguel Fragat : C’est de créer la possibilité d’avoir des adultes et des enfants qui regardent ensemble le spectacle. C’est-à-dire d’expliquer certains mots à ceux qui n’ont pas forcément l’information nécessaire pour comprendre l’histoire. Par exemple, c’est quoi être un réfugié ? Que cela veut dire d’être dans les mains des trafiquants ? C’est quoi un passeport ? De donner une sorte de glossaire d’information pour que tout le monde se trouve sur le même sol « démocratique ». D’abord il faut donner les informations et les repères pour que tout le monde puisse comprendre et ensuite discuter.

Cela fait trois ans que l’Europe se trouve en plein désarroi par rapport à la crise des réfugiés. On essaie d’informer, de raisonner, d’expliquer. Le théâtre, que peut-il faire de plus ?

Inès Baraphone : Peut-être le théâtre peut aider à réfléchir sur les vraies raisons. Avant, l’humanité considérait que c’était bien d’accueillir les autres êtres humains. Alors, on ne devrait pas changer nos opinions à cause de chiffres. Car cela nous définit en tant que société. Le théâtre peut nous aider à réfléchir sur cette idée de l’humanité. Qu’est-ce qui nous rend vraiment humains aujourd’hui ? Le théâtre, les arts, tout cela fait partie de l’être humain. C’est un condiment, cela nous aide à être plus humains. Avec notre petite vie quotidienne, nous pouvons changer la grande Histoire. Si chacun de nous prend sa place et se met, pour un petit moment, à la place de Farid, peut-être, dans sa vie, cela va changer quelque chose et on arrive, petit à petit, à changer la situation.

Miguel Fragat : Le théâtre a aussi la possibilité de créer de la distance. On prend une information réelle et on la travaille sur la scène. Parfois c’est un tout petit mouvement, mais ce mouvement donne un peu de la distance et nous donne la chance de regarder cette histoire d’une manière distante. Cela nous change la perspective. Il s’agit de regarder quelque chose qui rentre tous les jours dans la maison par les informations, la télé, les journaux, avec des yeux différents, avec des yeux des arts. Cela nous permet de faire des réflexions qu’on n’a jamais faites, parce qu’on est conditionnés par les informations. Et nous avons la possibilité de réfléchir ensemble. Il y a cette idée que, dans nos histoires, il y a quelque chose de très petit qui peut changer l’histoire de quelqu’un d’autre. C’est cette idée de regarder le monde comme une chaîne d’histoires et chaque histoire peut changer une autre histoire.

Les réfugiés s’informent aussi via les réseaux sociaux. Est-ce que les réseaux sociaux changent également votre manière de faire du théâtre ?

Inès Baraphone : Cela nous permet parfois de nous adresser plus directement au public. D’avoir des spectateurs hors salles avant de les avoir en salles. On l’utilise de cette façon. Mais, ce sont parfois aussi des moyens un peu dangereux. Par rapport aux réfugiés : ils arrivent à utiliser ces outils pour communiquer et pour informer le monde sur ce qui se passe. En même temps, il y a beaucoup de gens qui désinforment ou changent complètement les choses d’une façon assez perverse pour donner une image des réfugiés qui est tout à fait négative. Alors, on regarde ces façons de communiquer d’une manière qu’ils nous soient utiles. Pour le moment, notre rapport avec les réseaux sociaux est utilitaire.

Miguel Fragat : Sans oublier que le théâtre est vraiment autre chose. Le théâtre, c’est de la « haute technologie », parce que c’est « live », c’est quelqu’un qui est là, proche de nous. Il y a toujours cette nouveauté d’être là, ensemble, pour partager quelque chose. C’est l’antithèse du réseau social, de la vie virtuelle. Cela, on ne peut jamais l’oublier. Les réseaux sociaux, c’est utile, mais l’objectif final est d’être là au moment du spectacle, d’être ensemble, de partager quelque chose de très spécial qui devient de plus en plus rare.

Connaitre les dates de tournée du spectacle Au-delà de la forêt, le monde

Le programme de la 72e édition du Festival d’Avignon (6 et le 24 juillet).


Continuer à lire sur le site France Info