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Experts de l’ONU tués en RDC : dans les méandres de l’enquête congolaise

Par Joan Tilouine

« Congo Files » (1/2). « Le Monde » et plusieurs autres médias ont eu accès à des milliers de pages de documents confidentiels des Nations unies sur le double assassinat en 2017 en République démocratique du Congo.

C’est une vidéo macabre. Elle ne dure que six minutes et dix-sept secondes. Mais cela semble interminable aux yeux des journalistes convoqués par les autorités pour la visionner à Kinshasa, lundi 24 avril 2017. Il est 9 h 30 dans le studio de la Radio-Télévision nationale congolaise installé dans les locaux du ministère de la communication, en plein cœur de la fourmillante capitale. Dans la salle, l’atmosphère est pesante. Dans quelques heures, le monde entier aura accès sur les réseaux sociaux aux images de l’assassinat des deux experts de l’ONU, tués en mars 2017 au centre de la République démocratique du Congo (RDC). Une première dans l’histoire de l’organisation internationale.

La scène se déroule à l’ombre d’un bosquet planté dans une plaine, près de Bunkonde, un village-paroisse ceinturé de fosses communes, dans la province du Kasaï-Central. Les victimes sont un Américain de 34 ans, Michael Sharp, une Suédo-Chilienne de 37 ans, Zaida Catalan, leurs trois chauffeurs et leur interprète congolais. Tombés sous les balles tirées à bout portant par des jeunes hommes à la tête ceinte de bandeaux rouges flambant neufs.

Les experts enquêtaient pour le compte du Conseil de sécurité de l’ONU sur les violences qui ravagent ces provinces désolées au cœur du plus grand pays d’Afrique francophone. Sept mois, jour pour jour, avant leur assassinat, un chef coutumier, Kamuina Nsapu, qui s’était insurgé contre l’Etat, avait été tué par l’armée. Ses partisans, constitués en milices politico-mystiques dont le rouge est un signe de reconnaissance, avaient alors embrasé le cœur de la RDC, une région jusque-là paisible.

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Pour le gouvernement congolais, ces Kamuina Nsapu – le nom donné aux fidèles de l’ancien chef – ne sont rien d’autres que des « terroristes ». Et cette vidéo est censée démontrer que, contrairement aux soupçons qui planent déjà, Kinshasa n’est pour rien dans l’assassinat des experts.

Le film « montre très bien leur mise à mort par les Kamuina Nsapu », martèlent à l’unisson le porte-parole du gouvernement et son homologue de la police. Lundi 24 avril 2017, le régime congolais clôture l’enquête. A 10 000 km du Kasaï, au siège des Nations unies, à New York, c’est l’effroi. « Nous ne pensons pas que [cette vidéo] aurait dû être montrée », déclare le porte-parole du secrétaire général de l’ONU, Stéphane Dujarric. En coulisses, des investigations poussées et semées d’embûches ont été menées par la Mission de l’organisation des Nations unies pour la stabilisation au Congo (Monusco).


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