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Ce que l’on sait de l’enquête pour prise illégale d’intérêts qui vise Eric Dupond-Moretti

Une nouvelle étape a été franchie dans l’affaire Dupond-Moretti. Le ministre de la Justice est convoqué devant les juges de la Cour de justice de la République (CJR) le 16 juillet, en vue de sa mise en examen dans le cadre de l’enquête ouverte en janvier 2021, portant sur des soupçons de prise illégale d’intérêts, a appris, lundi 5 juillet, franceinfo de source proche de l’enquête. Le 1er juillet, une perquisition avait été menée au ministère de la Justice, dans le cadre de cette enquête. 

Sur quoi porte cette enquête ?

L’enquête pour « prise illégale d’intérêts » a été ouverte en janvier à la Cour de justice de la République (CJR), seule juridiction habilitée à juger des ministres. Elle a été déclenchée après des plaintes déposées par trois syndicats de magistrats (Union syndicale des magistrats, Syndicat de la magistrature, Unité magistrats SNM FO) et l’association Anticor.

Au cœur des accusations figure l’enquête administrative ordonnée par Eric Dupond-Moretti, en septembre, contre trois magistrats du Parquet national financier (PNF). Tous les trois avaient participé à une enquête préliminaire visant à identifier la taupe qui aurait informé l’ex-président Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog qu’ils étaient sur écoute dans une affaire de corruption. Le PNF avait été mis en cause pour avoir épluché les relevés téléphoniques détaillés (« fadettes ») de ténors du barreau, dont Eric Dupond-Moretti, un ami de Thierry Herzog. Eric Dupond-Moretti avait alors déposé une plainte pour « atteinte à la vie privée », avant de la retirer le soir de sa nomination comme garde des Sceaux, en juillet. Face à la polémique, une inspection générale diligentée par sa prédécesseure place Vendôme, Nicole Belloubet, avait globalement dédouané le PNF.

Des plaignants reprochent aussi au ministre d’avoir ouvert une autre enquête administrative à l’encontre du magistrat Edouard Levrault, aujourd’hui en poste à Nice (Alpes-Maritimes). Eric Dupond-Moretti avait été l’avocat d’un haut policier monégasque mis en examen par ce magistrat, dont il avait critiqué les méthodes de « cow-boy ». Après son départ forcé de son poste à Monaco, le juge avait dit avoir subi des pressions dans le cadre de ses enquêtes. Le juge avait été convoqué par sa hiérarchie mais avait refusé de répondre aux questions. Une fois place Vendôme, Eric Dupond-Moretti avait saisi l’Inspection générale de la Justice.

Où en sont les investigations ?

Une perquisition rarissime a été menée, jeudi, de 9 heures à minuit, au ministère de la Justice, par une vingtaine de gendarmes et des magistrats de la CJR. Cette perquisition est « un mystère » car, « dès l’annonce de l’ouverture de l’instruction, le garde des Sceaux nous a demandé de transmettre à la CJR la totalité des documents détenus par le ministère de la Justice au sujet des faits dont la CJR est saisie », a commenté l’avocat du ministre, Christophe Ingrain. Eric Dupond-Moretti, qui est resté jusqu’à la fin, a assisté à la perquisition de son bureau.

Selon l’avocat, les opérations ont pris du temps car les enquêteurs ont souhaité ouvrir de vieux coffres sous la bibliothèque du bureau du garde des Sceaux, dont personne n’avait la clef. « Il a fallu des interventions avec des perceuses et meuleuses pour découvrir qu’il n’y avait rien à l’intérieur », a-t-il écrit, regrettant « un déploiement de forces totalement disproportionné ».

Le Premier ministre, Jean Castex, a, lui, été entendu dans cette affaire, le 7 juin, en tant que témoin. En vertu d’un décret de « déport » du 23 octobre 2020, c’est lui qui a récupéré les dossiers en lien avec les anciennes activités d’avocat d’Eric Dupond-Moretti, qui en a été officiellement écarté. Selon les détracteurs du ministre, ce texte constitue une reconnaissance implicite de la situation de conflit d’intérêts dans laquelle se trouve l’ancien ténor du barreau.

Comment réagissent le garde des Sceaux et l’Elysée ?

Pendant la perquisition organisée place Vendôme, l’avocat du ministre a assuré que son client était « serein ». « Les faits dont est saisie la CJR sont une procédure initiée par son prédécesseur, Mme Belloubet, et le ministre a suivi les avis des magistrats qui composent ses services en saisissant l’Inspection générale de la Justice », a avancé Christophe Ingrain.

En janvier, Eric Dupond-Moretti avait affirmé qu’il n’avait « rien à craindre ». « Si l’objectif de tout cela (…), c’est de m’interdire de travailler, ceux-là en seront pour leurs frais », avait-il déclaré. Depuis le début de la polémique, le garde des Sceaux se défend d’être juge et partie. « Pour qu’il y ait conflit d’intérêts, il faut être juge et partie. Partie, je l’ai été et je ne le suis plus. (…) Juge, je ne l’ai pas été davantage et je ne le serai pas », avait-il expliqué dans une vidéo postée sur Facebook.

Sollicité par franceinfo, l’Elysée se refuse à tout commentaire, expliquant ne jamais s’exprimer sur une affaire de justice en cours. 

A quoi pourrait ressembler la suite de la procédure ?

L’information judiciaire a été confiée à la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR), qui agit comme juge d’instruction dans cette affaire impliquant un ministre. Elle est composée de trois magistrats de la Cour de cassation, qui vont procéder aux auditions des personnes se déclarant victimes et des personnes incriminées. Le 16 juillet, Eric Dupond-Moretti est convoqué devant les juges de la CJR en vue d’une mise en examen. 

En janvier, l’entourage du garde des Sceaux avait estimé que l’hypothèse d’une mise en examen « n’était pas du tout d’actualité » et assuré qu’Eric Dupond-Moretti et ses avocats sauraient démontrer « qu’il n’y a aucune infraction ».

Si le ministre de la Justice devait être jugé dans cette affaire, il le serait par trois magistrats et 12 parlementaires. Cette juridiction mi-judiciaire mi-politique se prononce à la majorité absolue et à bulletin secret sur la culpabilité du prévenu puis, en cas de culpabilité, sur l’application de la peine infligée. Son arrêt peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation. En cas de rejet de sa décision, la Cour doit être recomposée avant de rejuger l’affaire.


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