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REPORTAGE. Au Royaume-Uni, face à l’inflation, les banques alimentaires s’inquiètent de voir leurs bénéficiaires « choisir entre se chauffer ou se nourrir »

Dans l’église de briques rouges, pas de bancs ni de fidèles, mais des étagères à perte de vue, chargées de boîtes de céréales, de conserves et de cagettes de légumes. Le lieu a récemment été transformé en entrepôt « pour fournir quatre banques alimentaires du sud de Londres », explique Ellie, 28 ans, qui supervise les opérations ce matin-là. L’endroit recueille tout type de dons et les distributions ont lieu dans plusieurs quartiers populaires de Lambeth, dans le Grand Londres, où les fins de mois sont de plus en plus « angoissantes ».

« Parmi nos bénéficiaires, il y a des gens qui travaillent. Il y a quelques mois encore, ils n’auraient jamais imaginé devoir demander de l’aide pour manger, détaille Ellie. La crise économique frappe déjà beaucoup de familles, et elle frappe par surprise. » Fragilisé par la pandémie de Covid-19, le Royaume-Uni subit un taux d’inflation de plus de 10%, le plus élevé d’Europe. A peine arrivée au pouvoir, la nouvelle Première ministre Liz Truss a annoncé jeudi 8 septembre le plafonnement des prix de l’électricité pour deux ans. Une mesure inédite face à l’explosion attendue des tarifs. Fin août, le régulateur national des prix de l’énergie avait annoncé une hausse de 80% dès le mois d’octobre, laissant la porte ouverte à d’autres augmentations au fil de l’hiver.

« C’est un coup dur pour tout le monde, surtout pour les plus fragiles », réagit Ellie. L’organisation pour laquelle elle travaille, The Trussel Trust, établit clairement le lien entre précarité énergétique et précarité alimentaire. « Les deux sont liées bien sûr, et la première a de grandes chances de conduire à la seconde, surtout dans les mois à venir », assure la travailleuse associative, dont le constat est sans appel : « Cet hiver, beaucoup vont devoir choisir entre se chauffer ou se nourrir, et ce n’est pas une situation acceptable. »

L’inquiétude est tout aussi palpable dans le quartier de Brixton, plus au nord. Comme chaque midi, le camion de la Brixton Soup Kitchen, une association locale, provoque un petit attroupement. Solomon, son fondateur, distribue depuis dix ans des repas chauds aux sans-abri et aux familles dans le besoin. Les regards sont fuyants, personne ne veut s’épancher sur sa situation, mais le sujet des factures d’énergie revient très souvent, assure le gérant de cette soupe populaire.

A Brixton, dans le sud de Londres, Solomon, 37 ans, distribue des repas chauds aux sans-abris et familles du quartier. (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)

A Brixton, dans le sud de Londres, Solomon, 37 ans, distribue des repas chauds aux sans-abris et familles du quartier. (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)

« On en parle tout le temps, il faut que le gouvernement contrôle encore plus les prix », réclame celui qui voit son quartier s’appauvrir. « Récemment, on a vu arriver des gens qui ont un vrai job, mais qui dorment dans leur voiture ou sur leur lieu de travail. C’est fou ! » s’étrangle-t-il. 

« Il y a peu d’aides du gouvernement. La solidarité, c’est tout ce qu’il nous reste. »

Solomon, gérant d’une soupe populaire

à franceinfo

Pour la rentrée des classes, Solomon a organisé une gigantesque distribution de vêtements et de fournitures scolaires, dont les prix ont flambé. « Les allocations ne suffisent plus, et même quand elles sont réhaussées, ça ne suit pas la hausse des prix », déplore-t-il. L’inflation gêne aussi ses collectes, car son association repose sur des dons de restaurants ou de particuliers. « Malheureusement, les gens ne peuvent plus donner autant qu’avant, et j’ai déjà dû acheter de ma poche de la nourriture pour compléter les repas distribués », explique-t-il. A l’approche de l’automne, Solomon prévoit donc de « supplier encore plus » pour encourager les dons et faire face à la demande d’aide alimentaire.

Dans son église dont le sous-sol a été converti en réserve de nourriture, le révérend Mike Long se prépare lui aussi à un hiver difficile. Situé à Notting Hill, dans l’ouest de Londres, l’édifice est à la croisée de zones résidentielles cossues et de quartiers beaucoup moins aisés, à un jet de pierre de la tour Greenfell, cet immeuble de logements sociaux dévasté par un incendie meurtrier en 2017. « Il y a beaucoup d’inégalités à Londres, à l’image du Royaume-Uni, rappelle-t-il. J’ai des voisins qui roulent en voiture de luxe et d’autres qui n’ont pas toujours de quoi prendre le bus. » Depuis 2018, la paroisse accueille une banque alimentaire qui vient en aide aux plus fragiles. « Le problème, c’est que la crise économique est en train d’aggraver toutes ces disparités », souffle le révérend.

Le révérend Mike Long accueille depuis 2018 une banque alimentaire dans son église de Notting Hill, dans l'ouest de Londres (Royaume-Uni). (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)

Le révérend Mike Long accueille depuis 2018 une banque alimentaire dans son église de Notting Hill, dans l'ouest de Londres (Royaume-Uni). (PIERRE-LOUIS CARON / FRANCEINFO)

Surtout, il décrit une spirale infernale alimentée par la flambée des prix de l’énergie. « Les plus pauvres n’ont pas assez à la banque, ils ne sont pas mensualisés et ne peuvent pas étaler la hausse sur une année », explique-t-il. Au Royaume-Uni, la majorité des fournisseurs proposent à leurs clients d’activer leur compteur avec des cartes prépayées, qu’il faut recharger une fois le solde consommé. Malgré le plafonnement des tarifs décidé par la nouvelle Première ministre Lizz Truss, beaucoup devront tout de même payer le prix fort dès le mois d’octobre pour continuer à avoir de l’électricité. « Certaines familles ne pourront tout simplement pas se le permettre », alerte le révérend.

Au milieu des rangées de boîtes de conserve, Mike Long ne cache pas son désarroi. « Ce que l’on cherche à éviter à tout prix, c’est que des enfants aillent se coucher le ventre vide ou que des personnes âgées souffrent du froid, confie-t-il. Mais on sait que des gens vont tomber malades, et que certains risquent de mourir parce que leurs conditions de vie auront considérablement empiré. » Pour le révérend, la situation de certaines familles est tellement fragile que « la moindre petite difficulté, comme une réparation de voiture, un impayé ou une contravention par exemple, pourrait les aspirer vers le fond ». Au-delà de la distribution de nourriture, il réfléchit donc à proposer cet hiver des salles chauffées dans son église, pour permettre à ceux qui le désirent de « quitter un moment les appartements froids et souvent surpeuplés ».


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