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Législatives en Suède : comment l’extrême droite s’est rapprochée du pouvoir après une percée historique dans les urnes

C’est un tournant pour la Suède. Le bloc de droite a remporté de justesse les élections législatives, dimanche 11 septembre, selon des résultats partiels (en suédois) portant sur près de 95% des bureaux de vote. Avec 49,7% des votes, la droite a remporté 175 sièges, soit un de plus que le bloc de gauche, soutien de la Première ministre sortante, Magdalena Andersson. Si ces résultats sont confirmés après le dépouillement complet des votes par correspondance mercredi, Ulf Kristersson, le chef des Modérés (Parti modéré de rassemblement), est en bonne position pour former le prochain gouvernement du pays. Un changement majeur après huit ans de gouvernement social-démocrate. 

La Suède élit ses députés à la proportionnelle, une coalition sera donc nécessaire pour gouverner. A droite, il est acquis que celle-ci ne pourra pas se former sans le soutien du parti d’extrême droite, Démocrates de Suède, arrivé deuxième avec 20,6% des voix, derrière les sociaux-démocrates (30,5%). Jamais ce parti, fondé à la fin des années 1980 par des groupes néo-nazis, n’avait réalisé un score si élevé lors d’élections législatives. Résultat : il est impossible pour la droite suédoise de gouverner sans ce mouvement anti-immigration. Et si toute collaboration avec les Démocrates de Suède avait jusqu’à présent été refusée, l’option est désormais envisagée par plusieurs partis. Explications.

Une campagne focalisée sur l’insécurité et l’immigration

La deuxième place des Démocrates de Suède ne doit rien au hasard. La campagne, dominée par des discussions sur l’insécurité, l’immigration et les prix de l’énergie, a été particulièrement favorable au parti d’extrême droite, qui laboure ces sujets depuis des années. « Il ne faut pas prendre à la légère l’augmentation notable de la violence en Suède, notamment à cause des fusillades et règlements de comptes entre bandes rivales », souligne Nicholas Aylott, politologue à l’université de Södertörn (comté de Stockholm). « Il n’est pas surprenant qu’il y ait une réaction politique à ce sujet. » 

En imposant ses thèmes dans le débat, le parti d’extrême droite a réussi à devenir incontournable aux yeux des électeurs. « Les Suédois font le plus confiance à l’extrême droite pour gérer ces sujets, selon plusieurs études d’opinion », confirme Zeth Isaksson, sociologue à l’université de Stockholm. « Les mouvements d’extrême droite sont forts quand les gens estiment que leur pays va dans la mauvaise direction, et c’est ce qu’il se passe, surtout dans les endroits où le taux de criminalité est élevé. »

« Ce résultat est aussi le signe de la fin de l’exception suédoise à certains niveaux, notamment sur l’ouverture du pays à l’immigration, désormais remise en cause. »

Nicholas Aylott, politologue

à franceinfo

Ce score historique de l’extrême droite est aussi l’expression d’un profond ressentiment au sein d’une société suédoise de plus en plus polarisée, à l’image du résultat des élections, analyse Zeth Isaksson : « Tant qu’il y a des endroits, comme en campagne, où les gens pensent qu’ils n’ont pas d’importance, alors l’extrême droite sera haute. » Les Démocrates de Suède dépassent désormais les 40% dans certaines communes, notamment dans le sud du pays.

Une stratégie de « normalisation »

Les bons résultats des Démocrates de Suède ne tiennent pas qu’à l’actualité. Ils sont aussi le résultat d’une stratégie de « normalisation » débutée il y a plusieurs années par Jimmie Akesson, le leader du parti. L’homme politique de 43 ans, à la tête de sa formation depuis 2005, a pris soin de prendre ses distances avec le passé trouble des Démocrates de Suède, note le Guardian (en anglais), et de modérer certaines de ses positions. « Le parti a notamment abandonné son opposition à une adhésion à l’Otan et à la participation de la Suède à l’UE, note Nicholas Aylott. C’était une façon de permettre une collaboration avec les autres partis de droite, qui sont pro-européens.«  

Une stratégie gagnante pour un parti passé de 5,7% des voix en 2010 à 12,9% en 2014, puis 17,5% en 2018. « Cela en dit long sur le chemin parcouru, sur le petit parti dont tout le monde se moquait. (…) Aujourd’hui, nous sommes le deuxième parti de Suède », a jubilé Jimmie Akesson dimanche, devant ses partisans.

Né dans une famille de classe moyenne dans la petite ville de Sölvesborg (sud du pays), le très clivant leader d’extrême droite « est un vrai professionnel de la politique », estime Zeth Isaksson, qui note que, « pour 80% des électeurs, sa personnalité est une raison importante de leur vote [selon un sondage réalisé à la sortie des urnes]« .

La fin du « cordon sanitaire » à droite

Le parti des Modérés, principal mouvement conservateur qui a durci son discours pendant la campagne, n’exclut pas de travailler avec les Démocrates de Suède. Un tournant dans la vie politique du pays, alors qu’un « cordon sanitaire », selon Nicholas Aylott, avait été mis en place par le reste de la classe politique autour de l’extrême droite. La formation d’un gouvernement de droite en 2018 avait d’ailleurs échoué pour cette raison.

Cette fois, les premières tractations ont commencé avant même les résultats définitifs puisque Jimmie Akesson a été reçu par les Modérés lundi à Stockholm. Après sa visite, il s’est dit prêt, sur Twitter, « à participer de façon constructive à un changement de pouvoir ».

Mais face aux réticences des Libéraux, parti de centre-droit, l’extrême droite pourrait être contrainte de se contenter d’un rôle de soutien depuis le Parlement, sans accéder à des postes ministériels importants. Si les Démocrates de Suède n’intègrent pas une future coalition, la droite laissera le champ libre aux sociaux-démocrates, à la tête d’un gouvernement minoritaire avant les élections.

 « On peut s’attendre à ce que le futur gouvernement prenne des décisions fortes contre la criminalité, notamment en matière de justice, et restreigne les conditions d’immigration. »

Nicholas Aylott, politologue

à franceinfo

Les Démocrates de Suède auront quoi qu’il arrive une grande influence sur la future politique du gouvernement s’il est mené par Ulf Kristersson, le candidat du bloc de droite au poste de Premier ministre. Mais des désaccords pourraient tout de même rapidement émerger, notamment en matière de politique économique. « Les Libéraux et les Modérés sont en faveur de baisses d’impôts et d’un Etat plus petit. Ce n’est pas du tout le cas des Démocrates de Suède », souligne Nicholas Aylott.

La possible participation du parti d’extrême droite à un futur gouvernement met un peu plus à mal l’image d’un pays connu pour sa modération et son ouverture sur le monde. Reste que les Démocrates de Suède risquent de se heurter à la réalité du pouvoir et de perdre, à terme, une partie de leur électorat. « En prenant part au pouvoir, il devient difficile d’avoir un discours anti-élite, analyse Zeth Isaksson. L’arrivée au pouvoir de ce genre de parti se passe rarement bien, car il est plus facile de critiquer que d’agir. »


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