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Mouloudji aurait cent ans : dix chansons emblématiques pour redécouvrir l’artiste

Rien ne prédestinait Marcel Mouloudji, né dans une famille pauvre de l’Est de Paris le 16 septembre 1922, à la carrière brillante et éclectique qu’il a connue. Fils d’un maçon kabyle et d’une femme de ménage bretonne internée pour démence alors qu’il a dix ans, il se passionne pour la chanson d’amour : elle devient son refuge, son gagne-pain précoce – il chante au départ avec son frère – et lui vaut bientôt le soutien de deux personnalités, le poète Jacques Prévert et le comédien et dramaturge Jean-Louis Barrault. Ce double parrainage lui ouvre la voie du cinéma dès 1936. Il marque les esprits dans des films comme Les Disparus de Saint-Agil (1938) de Christian-Jaque et, plus tard, Nous sommes tous des assassins (1952) d’André Cayatte. Insatiable touche-à-tout, il démarre aussi une carrière d’écrivain, publiant romans et récits autobiographiques, écrit des pièces de théâtre. Après la guerre, c’est le Mouloudji chanteur qui séduit Saint-Germain-des-Prés et prend son envol. Sa timidité maladive a-t-elle un effet sur sa voix si particulière, à la fois profonde, théâtrale mais aussi légèrement tremblante ? Cette timidité et sa modestie l’ont empêché de se mettre trop en avant. Mais Mouloudji, si touchant avec son visage doux et mélancolique, se disait très reconnaissant de ce que la vie lui avait apporté : « La chanson a été pour moi un métier extraordinaire. Que je puisse chanter et qu’en plus on me paye, j’ai trouvé ça surprenant et immédiatement providentiel », a-t-il confié un jour à la télévision.

Comme un p’tit coquelicot (1951)


Romantique et poétique, c’est la chanson la plus emblématique de Mouloudji. Écrite durant l’été 1951 par le parolier Raymond Asso et composée par la pianiste Claude Valéry (par ailleurs épouse de l’auteur), elle a été proposée en octobre de la même année à Maurice Chevalier qui l’a refusée, la jugeant trop éloignée de son style. L’anecdote a été relatée par Jacques Canetti, célèbre producteur, agent artistique, dénicheur de talents, patron du club parisien Les Trois Baudets où il avait engagé Mouloudji. Canetti était présent quand Asso a présenté la chanson à Chevalier. C’est lui qui a suggéré à l’auteur de la confier au jeune homme de 29 ans, son dernier coup de cœur musical en date. La biographie Mouloudji (2009) de Gilles Schlesser évoque la version de Canetti et celle d’Asso qui aurait destiné initialement la chanson à Yves Montand qui était alors une grande vedette. Quoi qu’il en soit, Comme un p’tit coquelicot remportera le Grand Prix du Disque et deviendra la chanson fétiche de Mouloudji dont elle propulsera la carrière.

Un jour, tu verras (1954)


Figurant aujourd’hui parmi les grands succès de Mouloudji, cette chanson a été écrite par l’artiste et composée par Georges van Parys pour le film à sketches Secrets d’alcôve (1954) de Jean Delannoy. Mouloudji y joue le rôle d’un chauffeur routier qui chante sa belle ballade à une jeune femme interprétée par Françoise Arnoul. La version discographique est enregistrée avec un orchestre dirigé par Michel Legrand. La chanson n’est pas un tube immédiat mais fait son chemin et s’impose bientôt parmi les incontournables du répertoire de Mouloudji.

Le Déserteur (1954)


Cette chanson au texte puissant et au parcours mouvementé a été écrite par Boris Vian et composée par ce dernier, avec Harold Berg, en février 1954, durant la guerre d’Indochine. Son sujet : une lettre adressée aux autorités de son pays par un homme qui refuse de se plier à l’ordre de mobilisation qu’il vient de recevoir. Au départ, Vian la propose à différents interprètes mais personne ne veut se risquer à chanter ce texte hostile à la guerre. Alors c’est Mouloudji, l’artiste intimement ancré à gauche, communiste comme l’était son père, proche des milieux ouvriers, qui se lance. Il demande cependant à Boris Vian de changer certaines paroles. Pacifiste et antimilitariste, il refuse notamment de chanter les dernières phrases « Prévenez vos gendarmes/ Que je tiendrai une arme/ Et que je sais tirer. » La chanson se terminera finalement ainsi : « Prévenez vos gendarmes/ Que je n’aurai pas d’armes/ Et qu’ils pourront tirer. » Par un concours de circonstances, la chanson est créée sur scène et enregistrée en mai 1954, juste au moment de la chute de Diên Biên Phu, défaite décisive de l’armée française. Elle fait scandale et se retrouve interdite sur les ondes nationales, le comité de censure considérant qu’elle porte atteinte à l’image de la France. Le disque est retiré de la vente. Le Déserteur freine un temps la carrière de Mouloudji qui fera l’objet d’une attention accrue de la part de la censure à la suite de cette affaire. Mais ce titre s’imposera au fil du temps comme un monument de la chanson française, et sera repris par de nombreux artistes, de Serge Reggiani à Joan Baez, alors que le trio folk Peter, Paul and Mary la reprendra pendant la Guerre du Vietnam…

La Complainte des infidèles (1951)


Historiquement, c’est son premier grand succès en tant que chanteur. Mais c’est dans un film, La Maison Bonnadieu (1951) de Carlo Rim (avec Bernard Blier dans le rôle principal), que Mouloudji, incarnant un chanteur des rues, crée La Complainte des infidèles. En écho à l’intrigue du film, cette chanson, « triste ritournelle », sonne comme un avertissement aux « femmes infidèles » qui connaîtront à leur tour « le désespoir et les larmes ». Le titre, qui figure dans la bande originale du film, fait l’objet d’un deuxième enregistrement discographique en 1956. Et Mouloudji rejoue le chanteur des rues pour la télévision en 1961.

La Chanson de Tessa (1954)


« Si tu meurs, les oiseaux se tairont pour toujours… » C’est certainement l’une des chansons les plus belles et poignantes du répertoire de Mouloudji. Il s’agit d’un texte de Jean Giraudoux mis en musique par Maurice Jaubert. En 1934, Giraudoux a adapté au théâtre le roman Tessa, la nymphe au cœur fidèle (1924) de Margaret Kennedy. La version de Mouloudji sort en décembre 1954 dans le premier 45 tours de sa carrière, lit-on dans la biographie de Gilles Schlesser de 2009. La chanson, qui réunit deux thématiques importantes pour Mouloudji, l’amour et la mort, est accompagnée par trois autres titres dont Un jour, tu verras.

Autoportrait (1971)


« Athée, ô grâce à Dieu ! », s’amuse Mouloudji dans ce texte mis en musique par la compositrice et chanteuse Cris Carol. « Catholique par ma mère, musulman par mon père », attaque le chanteur dans un portrait de famille taillé avec un humour cinglant, et dans lequel il n’omet pas de conter les vicissitudes de son propre parcours. À sa sortie, la chanson connaît un grand succès dans la France de l’après Mai 68.

Le Mal de Paris (1951)


D’abord interprète des textes des autres, Mouloudji se met peu à peu à écrire et chanter ses propres textes. En juin 1951, Le Mal de Paris (dont la musique est signée Amédée Borsari) est la première chanson qu’il défend sur scène en tant qu’auteur, lors d’un spectacle sur le thème de la capitale avec plusieurs invités. Ce soir-là, au Théâtre des Champs-Élysées, il est repéré par l’incontournable producteur Jacques Canetti qui l’invite à se produire dans son club des Trois Baudets. Les thématiques de Paris et de la nostalgie sont très présentes dans l’œuvre de Mouloudji. On les retrouve aussi bien dans des chansons dont il est l’auteur comme Le Long des rues de Paris (musique de Charles Henry, 1957) que dans celles qu’il reprend en tant qu’interprète, comme Revoir Paris de Charles Trenet (Mouloudji a enregistré plusieurs chansons du Fou chantant, il a revisité aussi Georges Brassens, Barbara…).

Les Beatles de 40 (1965)


Frappé par la vague yéyé comme la plupart des grandes figures de la chanson française, Mouloudji crée son propre label dans les années 60, mais il ne se prive pas de continuer à chanter. Mis en musique par Gaby Wagenheim, Les Beatles de 40 constitue une réponse pleine d’humour aux nouvelles stars qui ont pris le pouvoir dans l’industrie musicale : « Quand on voit tous ces jeunots/ Avec leur vent dans le dos/ Qui nous poussent vers l’hospice/ On se dit que c’était bien la peine/ D’aller leur regagner l’Alsace et la Lorraine », clame le chanteur de 43 ans, porte-parole autoproclamé des « coquelicots fanés », des « blés sans or », des « vidés », des « fleurs bleues hors concours »

Faut vivre (1973)


Autre fruit de la collaboration entre Mouloudji et la compositrice Cris Carol, Faut Vivre pourrait être qualifiée aujourd’hui de manifeste de la résilience. Son message est simple et fort à la fois : vivons malgré tout, malgré les tourments, les déceptions amoureuses, le temps qui passe, nos illusions perdues, nos morts, notre mortalité. « Malgré qu’en nous un enfant mort/ parfois si peu sourit encore/ comme un vieux rêve qui agonise/ faut vivre… », chante Mouloudji au fil d’un texte bouleversant.

Un jour je m’en irai (1973)


Une poignante chanson comme une confidence, qui préfigure un adieu, écrite par Mouloudji, composée par Jean Musy. Il y transparaît toute la mélancolie de l’auteur alors âgé de 51 ans.

Il y aurait tant d’autres chansons à savourer, comme Mon Pot’ le Gitan (1955), les très beaux Cœur de rubis (texte de Jacques Prévert, 1959) et Six Feuilles mortes de San Francisco (1969), l’impertinent Tout fout le camp (1973) ou, bien sûr, L’Amour, l’amour, chanson sortie de l’oubli par une enseigne de supermarché pour un spot publicitaire… Il est grand temps de redécouvrir Mouloudji.

> À voir à Paris, au Hall de la Chanson : « Comme un p’tit coquelicot », spectacle musical pour le centenaire de Mouloudji, vendredi 16 septembre, dimanche 18 et 25 septembre 2022.

> À écouter et voir : « Mouloudji a 100 ans », coffret 3 CD (75 chansons) plus un DVD de passionnantes archives télévisées de l’INA (2h05 d’émissions), chez Mercury / Universal. Le même label sort également un album vinyle de compilation (12 titres), L’Éternelle Romance.


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