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TÉMOIGNAGES. « Je me lave au gant de toilette » : sept Français racontent comment ils ont réduit leurs factures d’énergie

La « fin du monde » et la « fin du mois » sont-elles devenues la même chose ? Alors que l’hiver approche, les raisons se multiplient de faire attention à sa consommation d’énergie. En réponse aux sanctions européennes liées à l’offensive russe, Moscou a quasiment arrêté les livraisons de gaz à ses voisins européens. Un mauvais timing pour la France, alors que la moitié de ses réacteurs nucléaires sont à l’arrêt en raison, notamment, d’un problème de corrosion.

A cause de ces ressources limitées et de l’inquiétude des marchés, les prix de l’énergie ont explosé. Le gouvernement a appelé les Français à la « sobriété énergétique » pour éviter les coupures cet hiver… mais aussi, à plus long terme, pour faire face à l’urgence climatique. Sept Français, qui s’estiment pourtant souvent « privilégiés », ont raconté à franceinfo leurs efforts au quotidien pour limiter leurs dépenses énergétiques.

Véronique : « Je n’allumerai qu’un seul radiateur »

Au téléphone, Véronique, infirmière tout juste retraitée, a la voix qui tremble. La veille, la Première ministre Elisabeth Borne a annoncé que les foyers français devraient faire face, début 2023, à une hausse de 15% du tarif réglementé du gaz et de l’électricité. Soit, en moyenne, 25 euros par mois supplémentaires pour les ménages qui se chauffent au gaz et 20 euros pour ceux qui se chauffent à l’électricité. « Je m’attendais à pire, merci le ‘bouclier tarifaire’, souffle cette habitante de Limoges (Haute-Vienne), dont la retraite s’élève à 1 420 euros mensuels. Ça veut dire renoncer à une sortie au cinéma, mais je peux l’absorber. »

Mais ce qui inquiète vraiment Véronique, c’est la fin du tarif réglementé du gaz, prévue le 30 juin 2023. « J’ai toujours refusé de quitter le tarif réglementé, car je m’y sentais plus en sécurité. Qu’est-ce que je vais faire ? Je ne sais pas vers qui me tourner », se désole la sexagénaire, qui refuse l’aide financière proposée par ses deux enfants par « fierté ».

« Je ne suis pas à 20 euros près par mois, mais à 60 euros, si. »

Véronique

à franceinfo

Anticipant la hausse des tarifs, Véronique a donc décidé de revoir de fond en comble son budget : elle conserve pour l’instant sa voiture, qu’elle utilise « pour rendre visite à [ses] vieux parents et à [sa] tante » installés dans la région, mais aussi un budget de plusieurs centaines d’euros par an pour rejoindre en train ou en avion ses enfants et petits enfants, à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône) et Vancouver (Canada). Côté privations, la retraitée de 64 ans s’est convertie au « discount » alimentaire et a drastiquement réduit sa consommation d’énergie : « J’éteins la box tous les soirs, je me lave au gant de toilette pour ne plus prendre de douche qu’une fois par semaine, et, cet hiver, je n’allumerai qu’un seul radiateur. »

Hedwige : « Mon fournisseur d’électricité verte m’incite à partir »

EDF, TotalEnergies, Mint Energie… Depuis 2018, Hedwige, 60 ans, locataire d’une maison à Tours (Indre-et-Loire), a changé à quatre reprises de fournisseur de gaz ou d’électricité. Une question économique, pour cette professeure de design industriel en lycée qui traque les bonnes affaires. Mais aussi un souci écologique : « Quand on a cinq enfants, on se préoccupe du monde qu’on va leur laisser ! » avance-t-elle pour justifier son choix de souscrire à un contrat d’électricité renouvelable, en 2020.

Mais début août, elle apprend que sa « facture d’électricité va doubler ». Son fournisseur, Mint Energie, la prévient que les tarifs seront « très élevés » à partir du 1er octobre, faisant passer sa mensualité de 43 euros… à 113 euros. Ce dernier l’incite même à repasser au tarif réglementé d’EDF, couvert par le « bouclier tarifaire », assurant qu’elle économiserait ainsi « 662 euros par an ».

Extrait d'un message de Mint Energie reçu par Hedwige à l'été 2022, l'incitant à changer de fournisseur. (DR)

Extrait d'un message de Mint Energie reçu par Hedwige à l'été 2022, l'incitant à changer de fournisseur. (DR)

« J’ai eu l’impression de me faire avoir, soupire-t-elle. Mon fournisseur prônait l’électricité verte et la défense du consommateur, mais finalement, il m’incite à partir. » Après s’être renseignée, c’est finalement TotalEnergies que l’enseignante a rejoint, pour une mensualité de gaz et d’électricité de 210 euros, bloquée pendant un an, soit l’équivalent de ce qu’elle aurait payé au tarif réglementé, assure-t-elle. « C’est un crève-cœur car je condamne ce que Total fait à la planète, mais j’ai trop peur que si les fournisseurs alternatifs disparaissent, EDF profite du monopole retrouvé pour augmenter encore plus les tarifs ! Et là, on n’aura plus d’alternatives. »

Aurélien : « Les aides du gouvernement ne sont qu’une goutte d’eau »

En 2012, Aurélien, fonctionnaire territorial, et sa femme, photographe indépendante, font l’acquisition d’une vieille bâtisse à Panossas (Isère), classée G sur le diagnostic de performance énergétique, ce qui en fait une « passoire thermique ». Les trentenaires, qui gagnent à eux deux 2 200 euros net par mois, n’ont pas les fonds pour tout rénover. Ils installent donc du double-vitrage et remplacent la vieille cuisinière avec bouilleur, qui chauffait la maison au charbon, par une chaudière à granulés de bois. Un investissement « écologique et économique », encouragé par l’Etat : le couple bénéficie d’une aide de l’Agence nationale de l’habitat de 6 000 euros, soit la moitié du prix de leur nouvelle chaudière.

Mais dix ans après, Aurélien déchante. Face à l’accroissement de la demande, mais aussi à l’explosion du coût des matières premières, de l’énergie et des carburants liée à la guerre en Ukraine, le prix de la tonne de granulés a bondi de 75% entre 2021 et 2022, passant de 309 euros à 540 euros. Résultat : le couple a préféré attendre que le prix redescende avant de passer à la caisse. « Il nous reste un peu des quatre tonnes commandées l’an dernier, précise Aurélien. Mais on ne pourra pas tenir tout l’hiver. On chauffera moins que les 19°C conseillés, c’est sûr ! » Remonté contre le gouvernement, qui n’a d’abord soutenu que ceux se chauffant au gaz et à l’électricité via le « bouclier tarifaire », le trentenaire estime que l’aide finalement promise par Elisabeth Borne pour le fioul et le bois n’est « qu’une goutte d’eau par rapport au raz-de-marée des augmentations ».

Alexandre : « Je fais d’abord des efforts pour préserver l’environnement »

Alexandre, lui, n’a pas lésiné sur les travaux. Dans son pavillon du Val-d’Oise, qu’il habite depuis quatre ans avec son épouse, professeure de musique, et sa fille de 7 ans, il a refait l’isolation de ses murs, installé un poêle à bois en 2018, isolé la toiture en 2021 et s’est doté de panneaux photovoltaïques en 2022 – pour « compenser » l’énergie utilisée par le véhicule électrique acheté la même année. Un investissement de plus de 20 000 euros, malgré les aides de l’Etat, que le couple de quadragénaires a pu se permettre grâce aux indemnités touchées par Alexandre dans le cadre d’un plan de départs volontaires. Cet ancien spécialiste des moteurs thermiques a quitté le monde automobile et assure désormais le support technique d’un groupe industriel.

Si les travaux entrepris ont permis de diviser par deux la consommation d’électricité de la famille et de supprimer quasiment entièrement la consommation de gaz, les bénéfices sur le porte-monnaie ne se font pas encore sentir. « Les efforts qu’on a fait nécessitent d’investir dans du matériel, on ne sera pas gagnants avant dix ou quinze ans », calcule Alexandre. Un gain secondaire, pour le couple qui gagne 4 300 euros net par mois. « Je trouve dommage de faire des efforts pour préserver son porte-monnaie en premier, et non l’environnement. »

Sylvie : « Je me suis demandée ce que je pouvais faire à mon niveau »

Sylvie a le devoir civique chevillé au corps. Cette officier de l’armée de terre de 59 ans, qui habite Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), a changé ses habitudes de consommation à cause de « l’actualité ukrainienne ». « Je savais qu’on allait manquer de gaz, alors je me suis demandée ce que je pouvais faire à mon niveau », explique-t-elle. 

« Certaines entreprises ne peuvent pas vivre sans gaz, mais moi, je peux réduire ma consommation pour qu’il n’y ait pas de ‘black out’ cet hiver. »

Sylvie

à franceinfo

En février dernier, la quinquagénaire a donc totalement cessé de chauffer son appartement la nuit en période de froid, préférant fermer ses volets à la tombée du jour pour éviter la fuite de chaleur. Elle a aussi réglé ses mitigeurs sur la position eau froide, pour éviter que de l’eau ne soit chauffée inutilement, a réduit le temps de sa douche et a espacé ses shampoings. « C’est un peu l’histoire du colibri qui essaie d’éteindre l’incendie », reconnaît-elle en détaillant ses petits gestes du quotidien. Mis bout à bout, ses nouvelles habitudes lui ont pourtant permis de réduire de 30% de sa consommation de gaz entre janvier et juin 2022, par rapport à la même période l’année précédente.

Nathalie : « Je croise les doigts pour que l’hiver soit clément »

Nathalie est « en colère ». Cette habitante de Brenouille (Oise) a dû diviser par deux sa commande de fioul domestique par rapport à l’année dernière. En cause : le doublement des prix en un an. « J’ai essayé de faire une commande groupée avec mes voisins pour réduire le coût, mais il fallait acheter au moins 1 000 litres par foyer, ce que ni moi ni eux ne pouvions nous permettre », se désole cette mère de deux jeunes adultes qui étudient à Paris. Alors, une fois le froid de retour, « je ne me chaufferai quasiment pas, sauf quand mes enfants rentreront à la maison. Je croise les doigts pour qu’on ait un hiver clément ! »

Nathalie a bien pensé à changer de mode de chauffage, mais compte tenu de son revenu confortable (3 500 euros net par mois), « je n’ai quasiment pas d’aide de l’Etat ». Pourtant, entre son crédit immobilier (1 200 euros mensuels), celui de sa voiture (540 euros) et le loyer de ses enfants (plus de 1 000 euros), elle n’arrive pas à mettre suffisamment de côté pour un tel investissement.

« Le fioul a beau avoir considérablement augmenté et être très polluant, ça reste l’énergie la moins chère pour moi. »

Nathalie

à franceinfo

Dans ces conditions, difficile pour elle d’entendre l’appel à la sobriété du gouvernement : « On a tous vu les images des voitures des ministres tournant à plein régime dans la cour de l’Elysée pour faire fonctionner la clim’. Quant aux aides annoncées, c’est toujours ça, mais c’est un pansement sur une jambe de bois. Moi, je suis privilégiée, mais les gens au smic ne peuvent plus s’en sortir. »

Philippe : « On a joué sur les tarifs en changeant de contrat »

Inquiet par la hausse des prix de l’énergie, Philippe, jeune retraité de l’informatique, a entrepris cet été un benchmarking des offres d’électricité et de gaz via le comparateur en ligne de l’association de consommateurs UFC-Que Choisir. « Comme on a changé de chaudière en 2012 pour une chaudière au gaz à condensation, on ne peut plus bénéficier d’aides de l’Etat pour modifier notre mode de chauffage. Donc on a joué sur les tarifs en changeant de contrat », justifie-t-il.

Côté électricité, cet habitant de Tourcoing (Nord) a troqué son offre au tarif réglementé chez EDF pour le tarif Tempo, chez le même fournisseur. Cette option lui permet de bénéficier d’un prix du kWh réduit 300 jours par an, d’un tarif identique au tarif réglementé durant 43 jours, mais le contraint à un tarif élevé 22 jours par an, lorsque le réseau est le plus utilisé. Le sexagénaire et sa femme espèrent ainsi « gagner presque 15% » sur leur facture annuelle en « s’organisant » : lors des journées au prix fort, « on ne fera pas marcher le lave-linge ou le lave-vaisselle, et on réchauffera des plats qu’on aura préparés à l’avance », détaille le retraité.

Côté gaz, le couple a opté pour l’offre EDF Avantage Gaz Durable, qui lui revient « 50% plus cher que le tarif réglementé, mais dont le prix est bloqué pendant quatre ans ». Un pari qu’il espère gagnant, alors que le tarif réglementé doit augmenter de 15% début 2023, avant de disparaître au 30 juin.


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