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Affaire Quatennens : comment Jean-Luc Mélenchon a déçu une partie de ses troupes sur la question des violences faites aux femmes

Sa prise de parole est très attendue, en particulier pour les militants de La France insoumise (LFI), troublés depuis une semaine par les prises de position de leur leader. Samedi 24 septembre, Jean-Luc Mélenchon est l’invité de « Quelle époque ! », le nouveau talk-show présenté par Léa Salamé, à 23h25 sur France 2, alors que l’affaire Adrien Quatennens fait les gros titres depuis plus d’une semaine.

Le jeune député LFI du Nord a été contraint de se mettre en retrait de ses fonctions au sein du parti, après avoir reconnu dans un communiqué, le 18 septembre, qu’il avait giflé son épouse Céline lors d’une dispute il y a un an. Et ce n’est pas la première affaire de violences faites aux femmes qui secoue le parti d’extrême gauche. Deux figures de La France insoumise avaient déjà été mises en cause (à des degrés divers) par des témoignages : l’éphémère candidat aux législatives Taha Bouhafs en mai et le président de la commission des lois Eric Coquerel fin juin.

Mais cette fois, la déflagration semble plus forte. Jean-Luc Mélenchon a apporté son soutien à l’ex-numéro deux du mouvement, saluant « sa dignité » et « son courage », sans condamner clairement ces violences conjugales. Une attitude choquante pour certains de ses lieutenants les plus fidèles, qui ont publiquement remis en cause les déclarations du leader insoumis pour la première fois depuis la création du parti en 2016. Franceinfo retrace le fil de cette semaine mouvementée pour Jean-Luc Mélenchon.

« Je me mets en retrait de ma fonction de coordinateur de La France insoumise pour protéger le mouvement, ses militants et toutes celles et ceux qui comptent beaucoup sur moi. » Après la révélation, mardi 13 septembre, par Le Canard enchaîné du dépôt d’une main courante visant Adrien Quatennens, le jeune parlementaire, qui s’était vu confier par Jean-Luc Mélenchon les fonctions de coordinateur du parti en juin 2019, a voulu prendre ses responsabilités, pour tenter de faire retomber la pression autour de cette affaire hautement sensible.

Mais la publication d’un tweet de soutien de son mentor, Jean-Luc Mélenchon, dimanche 18 septembre, a mis le feu aux poudres. En dénonçant « la malveillance policière, le voyeurisme médiatique, les réseaux sociaux » plutôt que les faits eux-mêmes, sans avoir un mot pour la victime, le leader de La France insoumise a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux.

Pour tenter d’éteindre l’incendie, l’ancien socialiste a alors publié un second message, sans vraiment revenir sur le contenu polémique du précédent tweet : « Céline et Adrien sont tous deux mes amis, écrit-il. Mon affection pour lui ne veut pas dire que je suis indifférent à Céline. Elle ne souhaitait pas être citée. Mais je le dis : une gifle est inacceptable dans tous les cas. Adrien l’assume. C’est bien. »

La mise au point, elle aussi critiquée, n’a pas empêché l’indignation de gagner les rangs du parti. Dès le lendemain, lundi 19 septembre, plusieurs parlementaires ont exprimé publiquement leur colère face à la réaction de Jean-Luc Mélenchon et d’autres ténors du parti. Pascale Martin, députée LFI de Dordogne, a ouvert le bal des critiques. « En tant que députée élue pour défendre le programme de La France insoumise et de la Nupes, mais aussi en tant que militante féministe, je ne peux pas rester silencieuse devant ses réactions. Elles sont insuffisantes et inacceptables à plus d’un titre », dénonce-t-elle dans un long communiqué publié sur Twitter

« Certains de ces tweets révèlent aussi une minimisation des faits qui ont été commis et une méconnaissance de la réalité des violences conjugales. Non, il ne s’agit pas d’un simple ‘divorce des camarades’. »

Pascale Martin, députée LFI de Dordogne

sur Twitter

D’autres figures de La France insoumise ont finalement décidé de sortir du bois. Dans les colonnes du Parisien, Clémentine Autain a ainsi accablé à son tour Jean-Luc Mélenchon. « Ce sont ses mots, pas les miens », explique la députée de Seine-Saint-Denis, en demandant à l’ensemble des membres de son parti à « dédier avant tout nos pensées à Céline Quatennens et à toutes les femmes qui subissent des violences ».

Malgré un bureau politique consacré lundi à l’affaire Quatennens, la conférence de presse organisée le lendemain par le groupe parlementaire de La France insoumise révèle au grand jour l’embarras de nombreux élus et élues face aux récentes prises de position de Jean-Luc Mélenchon. « Nous avons un communiqué de presse réalisé par la coordination des espaces de La France insoumise dans lequel nous nous retrouvons toutes et tous », botte en touche Mathilde Panot, la présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale. Un communiqué qui se borne en trois phrases à « saluer » la décision d’Adrien Quatennens et à rappeler l’engagement sans faille du mouvement dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

Dans la même journée, une tribune de militantes LFI et d’autres partis de gauche publiée par Libération continue de mettre la pression sur le patron des insoumis. « Nous condamnons avec la plus grande fermeté les réactions de Jean-Luc Mélenchon et de ses pairs, qui renforcent la culture patriarcale. Ne nous méprenons pas : si le non-respect du secret souhaité par la victime est une violence supplémentaire, le manque de solidarité et la minimisation des faits contribuent à la culture des violences sexistes et sexuelles », écrivent-elles, exigeant la démission d’Adrien Quatennens de son mandat parlementaire. Les signataires demandent aussi que la cellule contre les violences sexuelles et sexistes de La France insoumise « envisage sérieusement tous les degrés de sanctions disponibles ».

Mais Jean-Luc Mélenchon persiste et signe. « Est-ce que vous regrettez les tweets que vous avez publiés ? », lui demande un journaliste de l’émission « Quotidien » jeudi 22 septembre. Jean-Luc Mélenchon ricane puis répond en tapotant sur la joue de son interlocuteur : « Monsieur, je pèse mes mots tout le temps, c’est vous qui regrettez ce que vous êtes en train de me dire. » Un nouvelle sortie polémique et un geste déplacé qui enflamme à nouveau les réseaux sociaux.

Ç’en est trop pour certains parlementaires. Sans citer son nom, la députée Danièle Obono prend l’initiative de publier, dans la foulée, un texte sur les réseaux sociaux. « Notre programme prône la lutte contre ces violences. De manière intelligente, humaniste, émancipatrice. Mais de manière à les éradiquer. Toutes », écrit l’élue parisienne. Et de conclure : « Ce n’est rendre service à personne, ni aux victimes, ni au mouvement, encore moins au personne mises en cause, que de les minimiser ». 

Cette nouvelle affaire de violences conjugales au sein de La France insoumise fracture le parti en interne. Deux lignes politiques s’affrontent désormais. La première, incarnée par des députés comme Alexis Corbière ou Manuel Bompard, qui défendent bec et ongles leur leader. « Jean-Luc Mélenchon n’est pas soupçonnable de ne pas avoir, sur le combat des violences faites aux femmes, une position claire », a martelé le premier dans l’émission « Les 4 Vérités » sur France 2, vendredi 23 septembre. Le second s’est quant à lui embourbé sur CNews en affirmant qu’une gifle « n’est pas égale à un homme qui bat sa femme tous les jours ».

« On sait ce qu’on lui doit. Et on sait surtout au fond de nous qu’il a fait des violences faites aux femmes sa priorité. »

Un cadre de La France insoumise

à franceinfo

La seconde ligne politique, davantage portée par des responsables femmes ou de jeunes militants, n’hésitent pas à dénoncer « la minimisation » des faits par Jean-Luc Mélenchon dans cette affaire, sans se désolidariser officiellement de lui.

Dans Le Parisien, la députée Clémentine Autain, impliquée de longue date dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, ne semble pas vouloir accabler Jean-Luc Mélenchon. « Je sais combien cet évènement est douloureux à gérer pour nous parce qu’il concerne un camarade, l’un de nos plus brillants dirigeants. Il n’est pas toujours évident de trouver les mots, mais il me semble indispensable de ne pas perdre le fil de nos engagements fondamentaux », confie-t-elle dans les colonnes du quotidien.

Contactée par franceinfo, Danièle Obono assure de son côté que les divisions n’existent pas au sein de La France insoumise. « Non, il n’y a pas deux lignes ni de fractures. Il y a un collectif humain qui a subi un choc et qui travaille à le surmonter. »


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