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« La tension est palpable » : l’ambiance à l’Assemblée nationale va-t-elle (encore) tourner au « bazar » ?

On les a quittés survoltés, au cœur d’un été en tous points bouillant. Dans quel état d’esprit les 577 députés vont-ils regagner les bancs de l’hémicycle, pour la nouvelle session parlementaire qui s’ouvre officiellement lundi 3 octobre ? L’ambiance va-t-elle retomber, quelques mois après la recomposition inédite de l’Assemblée nationale, à l’heure d’étudier des textes aussi capitaux que ceux sur l’assurance-chômage, le budget 2023 ou le projet de loi de financement de la Sécurité sociale ?

« Il ne faut pas que ce soit le bazar », a prévenu la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, dans les colonnes du Parisien, dimanche 25 septembre. Mais de l’avis de nombreux parlementaires contactés par franceinfo, les débats s’annoncent plus tendus encore que cet été. « Ce sera pire ! » lance d’emblée Sacha Houlié (Renaissance). « La tension est palpable », assure le député LFI Aurélien Saintoul. « C’est sûr, anticipe l’écologiste Sophie Taillé-Polian, il va y avoir de la conflictualité. » « Plus c’est un mur qu’on a en face de nous, plus les interventions vont être musclées », juge quant à elle la parlementaire EELV Sandra Regol, pour qui le Palais Bourbon est devenu un lieu de tensions à cause de l’attitude de la majorité.

Pour les parlementaires de Renaissance, du MoDem et d’Horizons, c’est au contraire l’agenda politique des oppositions qui génère un climat propice aux invectives. « Tous les partis vont être en congrès dans les mois à venir, des communistes au Rassemblement national (RN), prévient Sacha Houlié, par ailleurs président de la commission des lois. Pour le projet de loi concernant les énergies renouvelables, le RN et LR vont rivaliser dans leur discours anti-éolien et je crains qu’EELV ne nous soutienne pas non plus. » « Cet été, prolonge le député LR Philippe Gosselin, on était sur un sujet principal, le pouvoir d’achat, où il pouvait y avoir des jonctions politiques en dehors des sentiers battus. »

« Là, les sujets qui arrivent peuvent être plus compliqués et plus clivants, comme les retraites. »

Philippe Gosselin, député LR de la Manche

à franceinfo

Dans ce contexte de veillée d’armes, c’est La France insoumise qui devrait incarner, comme cet été, le groupe parlementaire le plus offensif à l’égard de la majorité. « Ce n’est pas un chahut parlementaire que l’on mène, c’est la manifestation d’un rapport de forces exprimé dans le pays. Si l’Assemblée nationale ne vivait pas, il n’y aurait pas cette catharsis », se défend Aurélien Saintoul, élu LFI des Hauts-de-Seine. « S’il y a de la colère et de l’espoir, c’est normal que cela se répercute dans l’hémicycle », acquiesce son collègue écologiste au sein de la Nupes, Benjamin Lucas.

Pour le chercheur à Sciences Po Olivier Rozenberg, il faudrait avant tout distinguer l’agitation des débats d’un véritable immobilisme parlementaire : « L’Assemblée nationale vit avec les invectives et les insultes depuis longtemps. Certes, cela peut prendre une dimension plus forte, mais cela n’empêche pas l’Assemblée de fonctionner. » Et Benjamin Lucas de rappeler « des débats majeurs beaucoup plus brutaux qu’avant cet été », comme l’affrontement quasi-physique entre François Hollande et Dominique de Villepin, en 2006.

Reste que les députés ont compris l’intérêt de jouer avec une forme de « théâtralité » pour intéresser le grand public, admet le député LFI Christophe Bex. « Autour de moi, il y a de plus en plus de gens qui regardent La Chaîne parlementaire ou Public Sénat pour suivre les débats », appuie le parlementaire de Haute-Garonne. Durant la session extraordinaire de l’été, LCP a ainsi vu ses audiences doubler sur les tranches parlementaires, relève Le Figaro (article payant). L’engouement va-t-il perdurer avec les débats endiablés autour du budget ou de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (Lopmi) ? « Oui, il y a plus d’intérêt qu’avant, avec davantage de suspense et de coups de théâtre », concède le spécialiste Olivier Rozenberg, qui nuance cette passion nouvelle pour une Assemblée turbulente.

« Je suis sceptique sur le fait que les débats agités entraînent un suivi citoyen profond, car c’est toujours compliqué de comprendre qui vote quoi. »

Olivier Rozenberg, chercheur à Sciences Po

à franceinfo

Pour se faire entendre, certains groupes veulent également prendre le contre-pied des invectives. « Nous, on n’est pas là pour faire le tampon avec la Nupes ou rentrer dans leur concours de dingueries, on est là pour tracer notre chemin, prône le député RN Laurent Jacobelli. S’ils veulent faire leur cirque, qu’ils le fassent, mais on ne jouera pas ce rôle-là. » Depuis qu’il a envoyé 89 députés au Palais Bourbon, le parti d’extrême droite tente d’afficher sa respectabilité face à la coalition de la gauche, qu’il juge responsable d’« outrances » à répétition.

Les quatre partis qui composent la Nupes ne sont pas, quant à eux, unanimes sur l’attitude à adopter vis-à-vis des autres groupes parlementaires. « Nous, écologistes, on a affiché la couleur : quand ça va dans le bon sens, on peut soutenir des points précis », soutient la députée EELV Marie-Charlotte Garin. « On a une tradition parlementariste, renchérit Sandra Regol, autre membre du groupe. Le fait de ne pas avoir de majorité franche, ça fait partie des choses avec lesquelles on a l’habitude de composer, notamment au Parlement européen. » Pour les écologistes, il s’agit là d’une manière de se différencier de La France insoumise, sur la forme plus que sur le fond.

« Il y a une attitude tribunicienne chez LFI, mais ils travaillent de manière plus sereine quand il s’agit de s’atteler à des propositions concrètes en commission. »

Sandra Regol, députée EELV

à franceinfo

Les huit commissions permanentes de l’Assemblée nationale, c’est justement là où les députés se retrouvent en groupes réduits pour travailler sur des sujets liés à un thème précis : les affaires sociales, la défense ou encore le développement durable. « En commission, il n’y a pas d’invective, chacun déroule sa vision des choses », assure l’écologiste Sophie Taillé-Polian. « On peut exprimer nos divergences de manière assez calme, on s’affronte dans le dialogue », poursuit le RN Laurent Jacobelli. « Hors micro, il y a beaucoup de bonne volonté, mais la véritable question est de savoir comment les députés entraînent leurs collègues dans cette logique d’écoute », estime Sacha Houlié, qui a récemment organisé un petit déjeuner de la commission des lois « pour rappeler les règles » au sein de l’instance.

La commission, un espace apaisé ? Les débats peuvent y être aussi animés, comme l’a montré l’audition de Gérald Darmanin par la commission des lois, le 20 septembre, relayée par le HuffPost. « Si j’avais une boutade, je dirais que je préfère la gauche Roussel à la gauche Regol », y a lancé le ministre de l’Intérieur aux députés. « Sa réaction, c’est un peu : ‘On n’en a rien à foutre de ce que vous en pensez’, c’est d’une violence incroyable. Tout le monde était sidéré, car les attaques ad hominem ne sont pas acceptées par le règlement. Cela résume toute la tonalité de ce qu’on va avoir à l’automne », craint Sandra Regol. Par ailleurs, « même quand le travail est bien fait en commission, il peut y avoir des coups de théâtre en plénière », met en garde Philippe Gosselin, qui vient d’entamer son quatrième mandat de député.

De fait, l’hémicycle sera plus scruté que jamais cet automne, dans une configuration où la majorité n’est que relative. « A la Nupes, on est 150 députés, il faut qu’ils soient 170 pour tenir la majorité, calcule le LFI Christophe Bex. C’est mathématique : ça fait plus de bruit quand il y a plus de monde. » « Pour la majorité, il va falloir à tout prix une présence quasi-permanente en commission et en séance pour ne pas se faire bananer », assure Philippe Gosselin. En dehors de l’utilisation de l’article 49.3 une fois par session parlementaire, hors textes budgétaires, la coalition présidentielle ne devra pas trop s’éloigner du Palais Bourbon, au risque de perdre des votes cruciaux. Enfin, des séances organisées à 21h30 quatre fois par semaine, en octobre, peuvent conduire à des sessions nocturnes intenses, redoute Sandra Regol. Textes clivants, climat politique crispé, rythmes effrénés… Tous les ingrédients d’une Assemblée explosive sont réunis.


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