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Présidentielle au Brésil : quels sont les enjeux de la (longue) campagne de Lula et Bolsonaro pour le second tour ?

L’entre-deux-tours doit durer quatre semaines. Le Brésil entame une seconde période de campagne électorale, lundi 3 octobre, au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle qui a vu l’ex-président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva, arriver en tête avec 48,43% des votes. Son rival d’extrême droite, le chef de l’Etat sortant Jair Bolsonaro, s’est lui qualifié avec 43,20%, d’après des résultats quasi définitifs (en portugais). Un écart bien plus serré que prévu.

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« C’est une nouvelle campagne qui démarre », estime le chercheur Christophe Ventura, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). De quelle manière cette période électorale, qui va s’étaler jusqu’au dimanche 30 octobre, date du second tour de la présidentielle, va-t-elle se dérouler ? Quels en seront les principaux enjeux ? Franceinfo a interrogé plusieurs spécialistes du Brésil à ce sujet.

Un calendrier encore à définir

« Demain, je commence à faire campagne », a lancé Lula dès dimanche soir, promettant « plus de déplacements et d’autres meetings » jusqu’au 30 octobreLe calendrier des quatre prochaines semaines reste à préciser, mais l’on sait déjà qu’‘il y aura forcément un débat télévisé, s’ils acceptent de participer », souligne le politologue Gaspard Estrada, spécialiste de l’Amérique latine à Sciences Po. Et d’évoquer la communication des candidats à la télévision, à raison de « dix minutes chaque jour ». Il s’attend donc à une « campagne très dynamique, très dure » entre Jair Bolsonaro et Lula.

« Les candidats sont en train de préparer leurs meetings et calendriers de campagne selon les résultats du premier tour », poursuit Frédéric Louault, professeur de sciences politiques et codirecteur du Centre d’étude des Amériques à l’université libre de Bruxelles (ULB). Selon l’auteur du Brésil en 100 questions : l’interminable émergence (éd. Tallandier), Lula va par exemple devoir aller chercher des voix parmi les abstentionnistes, et notamment dans le sud-est du pays, comme dans l’Etat de São Paulo. Le président sortant y a recueilli 47,71% des voix dimanche, rapporte le journal brésilien O Globo*. 

Des risques de tensions exacerbés

Avant le premier tour du scrutin, la campagne a été émaillée de faits de violence isolés, notamment dans les derniers jours précédant le vote. Un homme se présentant comme un électeur de Lula a ainsi été mortellement poignardé fin septembre, suivi le lendemain d’un soutien de Jair Bolsonaro dans le sud du Brésil, rappelle France 24.

Faut-il s’attendre à des violences plus régulières, moins isolées au cours des quatre prochaines semaines ? « Les risques demeurent très élevés », répond Frédéric Louault.

« Il n’y a pas vraiment de signaux d’un adoucissement de la campagne. Au contraire, les tensions risquent même de s’intensifier. »

Frédéric Rouault, politologue

à franceinfo

D’après lui, les militants bolsonaristes, déjà « très radicalisés », « se sentent confortés par les résultats d’hier soir » et « autorisés à exercer des pressions et intimider le camp adverse ». Plusieurs points « rassurants » sont toutefois à noter. Une grande partie des scrutins plus locaux de ces élections ont pris fin hier soir, réduisant ainsi les cas de violences autour de ces campagnes plus locales. Et « le premier tour a eu lieu sans incident majeur », pointe le chercheur.  

Au-delà de la campagne, les résultats du second tour joueront aussi sur les risques de confrontations. Pour Christophe Ventura, « plus on se trouvera dans un scénario où le score sera serré, plus cela sera propice à un scénario de non-reconnaissance par Jair Bolsonaro ». Le chercheur, évoquant « les franges les plus radicalisées du bolsonarisme qui sont prêtes à en découdre », craint « une espèce de spontanéisme nihiliste qui s’empare des rues » si Jair Bolsonaro perd de peu l’élection. Dans ce cas de figure, le rôle de l’armée sera décisif pour décider de l’issue de la crise.

L’économie au centre des débats 

Comme le souligne le Washington Post (en anglais), ces quatre semaines de campagne supplémentaires vont permettre à Jair Bolsonaro de mettre en avant l’amélioration de quelques indicateurs économiques, entre recul de l’inflation et du taux de chômage. La situation économique et sociale du pays reste néanmoins grave, 15% de la population brésilienne souffrant désormais de la faim – le Brésil a d’ailleurs fait son retour sur la carte mondiale de l’insécurité alimentaire.

Dans ce contexte, Lula pourra mettre en avant son bilan et notamment celui de la « Bolsa Familia », qui a permis de sortir, dans les années 2000, des millions de Brésiliens de la pauvreté et de la faim. L’économie s’annonce au centre de cette campagne pour le second tour, « et ce sera un débat sur le bilan » entre les deux leaders, pointe Frédéric Louault. Ce dernier rappelle que Jair Bolsonaro a récemment relevé les aides aux plus défavorisés, et ce jusqu’en décembre.

Le sujet de la défense de la démocratie et de l’Etat de droit sera également au cœur des débats, ajoute Gaspard Estrada. Pour Lula, « c’est la question centrale pour attirer l’électorat centriste de Simone Tebet et Circo Gomes », candidats de centre-droit et centre-gauche arrivés derrière les deux finalistes avec 4,16% et 3,04% des voix. Quant au président sortant, il devrait « mobiliser sur les valeurs » conservatrices, religieuses et familiales, comme il l’a fait jusqu’à présent. « Lula est très prudent sur ces questions sociétales », les milieux conservateurs étant très importants au Brésil, rappelle Christophe Ventura.

Un duel très polarisé

Jusqu’au 30 octobre, dans ce contexte de forte polarisation, le président sortant risque de garder son ton vindicatif, préviennent les chercheurs interrogés par franceinfo. « Cela fait partie de la dynamique de radicalisation de ce second tour », résume Christophe Ventura.

« Cela va être assez frontal entre eux. »

Christophe Ventura, politologue

à franceinfo

Selon le chercheur, « Bolsonaro va continuer de creuser son sillon », se présenter comme « l’homme qui représente le peuple au sein de l’establishment corrompu », Lula ayant été incarcéré 19 mois pour corruption avant l’annulation de sa condamnation. Comme le souligne Gaspard Estrada, l’issue du premier tour doit « l’encourager » sur cette voie, « car avec ce discours, il a obtenu 43% des voix ». 

Lula répliquera-t-il en adoptant un ton plus dur d’ici le second tour ? « Il n’a pas intérêt à rentrer dans le jeu de la provocation. Au contraire, il cherche à rassembler », décrypte Frédéric Louault. « Il doit jouer plutôt profil bas, se contenir et attaquer Jair Bolsonaro sur son bilan. » Le spécialiste note d’ailleurs que Jair Bolsonaro, à quelques reprises, « a commencé à faire ce geste, à modérer un peu son discours » même si, « bien sûr, il y aura des attaques. C’est son style ». 


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