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ENTRETIEN. Violences sexistes en politique : « Il faut externaliser les procédures » et fixer « des règles connues de tous », plaide Laurence Rossignol

Bien que différents, les faits reprochés aux députés de La France insoumise (LFI), Adrien Quatennens, et d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV), Julien Bayou, ont un point commun : ils viennent jeter le trouble sur la capacité des formations politiques à traiter de manière juste et efficace les affaires de violences sexistes et sexuelles (VSS). Auprès de franceinfo, Laurence Rossignol estime que « les procédures mises en place n’ont pas été opérationnelles ».

La vice-présidente socialiste du Sénat propose donc un « code de déontologie » qui permettrait aux partis de mieux s’emparer de ces questions, notamment pour « identifier des comportements problématiques en les désignant précisément ». L’ancienne ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes invite enfin la gauche à se concerter pour mieux lutter contre ce fléau.

Franceinfo : comment analysez-vous la gestion des affaires Quatennens et Bayou par La France insoumise et Europe Ecologie-Les Verts ?

Laurence Rossignol : Ce n’est pas la même chose. Dans l’affaire Adrien Quatennens, il n’y a pas de commission mais une information qui a été rendue publique et qui interpelle la direction politique du mouvement LFI. L’affaire Julien Bayou est différente, si j’ai bien compris les éléments rendus publics. Elle révèle une procédure périphérique à la cellule de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Le fonctionnement n’aurait pas permis au mis en cause d’être entendu.

On sait depuis #MeToo, quasiment depuis l’affaire Denis Baupin, qu’il y a nécessité pour les organisations politiques investies dans la lutte contre les VSS de traiter ces affaires de manière politique, sérieuse et juste, afin que la parole des victimes soit prise en compte, pour permettre l’élimination des violences faites aux femmes dans le militantisme et afin que les auteurs de violences ne soient pas en position de continuer à les commettre.

Que voulez-vous dire par « traiter ces affaires de manière politique » ?

Avant les sanctions se pose la question des investitures. Les partis politiques sont libres d’investir qui ils veulent. On peut investir et désinvestir des candidats. Depuis quelques années, on demande aux partis de vérifier au moment des investitures que les personnes investies ne sont pas mises en cause dans des affaires de VSS ou dans des affaires financières.

« Ainsi, au Parti socialiste (PS), il y a déjà eu des investitures refusées à des candidats aux municipales. »

Laurence Rossignol, sénatrice PS

à franceinfo

Ensuite, il y a les affaires qui viennent en cours de mandat ou en cours de responsabilité. Les récentes affaires révèlent que les procédures mises en place n’ont pas été efficaces et opérationnelles. Si on admet qu’il y a une nécessité d’avoir nos propres procédures, avec notre déontologie, pas forcément calquées sur les procédures judiciaires, il faut des règles connues de tous. Or, nous observons beaucoup de confusion, ce qui peut être préjudiciable aux plaignantes et aux mis en cause.

Vous défendez un « code de déontologie » pour traiter ces questions dans les partis politiques. Que changerait-il au traitement de ces affaires ?

Il permettrait d’identifier ce qui est acceptable et incompatible avec l’exercice de fonctions de représentation. Les infractions ne peuvent pas se décider au gré des événements. Il faut que tout le monde sache ce qui est admis et ce qui ne l’est pas. Concrètement, il faut identifier les comportements problématiques en les désignant précisément. Ensuite, il est nécessaire de déterminer une procédure pour les traiter. L’écoute des plaignantes n’est qu’un volet. Le but n’est pas seulement d’accompagner psychologiquement les victimes : cette prise en compte de leur parole peut aussi déboucher sur une décision politique, comme demander la mise en retrait ou la démission d’un élu.

Ne soyons pas naïfs : dans les partis, les gens ont des liens et des histoires et on n’est pas toujours capable d’agir de manière distanciée. Il faut donc déterminer des règles dans les procédures à mener : il faut une défense, un contradictoire, une collégialité des décisions et une confidentialité des éléments du dossier. De la même manière, il est indispensable qu’on sache qui peut avoir une parole publique, ou pas, et quand. Ce serait très protecteur pour nous tous. Au fond, il s’agit de déterminer ce qui n’est pas acceptable et ce qu’il faut faire pour traiter ces affaires.

Julien Bayou (EELV), Jean-Luc Mélenchon et Adrien Quatennens (LFI) à Paris, le 30 mai 2022. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Julien Bayou (EELV), Jean-Luc Mélenchon et Adrien Quatennens (LFI) à Paris, le 30 mai 2022. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Cela veut dire que les personnes qui traitent ces affaires doivent être indépendantes de la direction des partis ?

Au cours des quinze derniers jours, ma réflexion a évolué. Désormais, je suis pratiquement convaincue qu’il faut externaliser les procédures, pour écouter des témoins, instruire, savoir si la plaignante a parlé des faits au moment où ils sont arrivés ou après… En bref, c’est toute une enquête à faire.

« On ne peut pas, sous prétexte qu’on est une militante engagée, s’autoproclamer experte. »

Laurence Rossignol, sénatrice PS

à franceinfo

Des compétences et de l’expérience sont nécessaires pour s’occuper de ces affaires. Il est possible de se tourner vers des structures associatives, des avocats. Il y a une réflexion à conduire pour déterminer comment ces structures sont saisies et quelles décisions sont prises. Aujourd’hui, je suis frappée par une impression d’amateurisme dans le traitement de ces affaires. Il ne faut pas simplement des bons sentiments. C’est sérieux, il en va de l’honneur des plaignantes comme des mis en cause.

D’ailleurs, quels doivent être les liens entre les partis et la justice dans ces affaires ?

Ces instances, ces organismes ou ces structures externes pourraient transmettre leurs conclusions à leur client, donc aux partis. Mais les procédures judiciaires doivent continuer à être mobilisées. Tout ça existe déjà dans les entreprises, qui ont une responsabilité pénale, contrairement aux formations politiques. Cela les a amenées à élaborer des procédures pour ne pas être sanctionnées. On peut donc regarder comment font les entreprises en la matière et se rapprocher des structures qui travaillent avec elles.

Selon vous, les partis doivent se parler pour élaborer ensemble ce code de déontologie politique. Peuvent-ils le faire alors qu’ils sont actuellement dans la tempête ?

Ils feraient bien de le faire ! Cela concerne les partis féministes, où il y a des militantes féministes et où les femmes parlent. Ces partis, qui tous ont en commun d’en faire une cause et un sujet politique, sont crédibles parce qu’ils sont cohérents. Sinon, ce qui apparaît aux yeux des gens, c’est « faites ce que je dis, pas ce que je fais ».

C’est le cas aujourd’hui, au sein des partis de la Nupes ?

Pour l’instant, il y a un trouble. Tout cela n’incite pas les femmes à parler. Quand vous êtes une victime et que vous voyez ce qui se passe, ce n’est pas rassurant. Le premier sujet, c’est avant tout de faire reculer ces comportements qui déstabilisent des femmes. J’ajoute que systématiquement, les militantes féministes de ces partis sont sommées de s’expliquer et de répondre des comportements de leur parti, alors que le plus souvent elles ne le dirigent pas.

Avoir des règles définies serait protecteur pour tout le monde : pour les victimes, pour les mis en cause et pour les citoyens. Il serait aussi utile de préciser les contours de la nébuleuse des violences psychologiques : il peut s’agir de harcèlement, d’humiliations, de menaces… On ne peut pas se satisfaire d’une définition fluctuante.


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