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Élections législatives au Lesotho, pays pauvre, violent et politiquement fragmenté

Petit royaume de la taille de la Belgique de l’Afrique australe, le Lesotho tient vendredi 7 octobre des élections législatives. Retour en cinq rubriques sur l’histoire mouvementée de ce pays politiquement instable et économiquement dépendant du mastodonte sud-africain.

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Où ? Quand ? Comment ?

Le Lesotho est un petit pays enclavé au cœur de l’Afrique du Sud. Ancien protectorat britannique, indépendant depuis 1966, ce pays surnommé « le royaume dans le ciel » est connu pour la beauté de ses paysages montagneux, avec 80% de son territoire (30 355 km2) situés à une altitude supérieure à 1 800 mètres.

Petit pays de l'Afrique australe, le Lesotho est enclavé dans le territoire sud-africain.
Petit pays de l’Afrique australe, le Lesotho est enclavé dans le territoire sud-africain. © RFI archives

La nation sotho s’est constituée aux alentours des années 1820 autour d’un chef prestigieux, Moeshoeshoe 1er. La population du Lesotho (2,14 millions), composée de groupes historiquement disparates fuyant la guerre ethnique et les velléités expansionnistes de colons boers au XIXe siècle, est regroupée dans la partie la plus élevée (3 000 mètres) du massif de Drakensberg.

La capitale, Maseru, est la plus grande ville du pays, avec environ 350 000 habitants. Les deux langues officielles du Lesotho sont l’anglais et le sotho.

Une vie politique mouvementée

Monarchie constitutionnelle, le Lesotho a connu depuis son indépendance une histoire politique instable, rythmée de coups d’Etat militaires. L’année 1966 est l’année du couronnement du roi Moshoeshoe II, sous l’égide duquel se tiennent les premières élections législatives. Elles sont remportées par le Parti national basotho (BNP). Or dès 1970, la constitution est suspendue par le Premier ministre Leabua Jonathan à la suite des élections contestées, marquant le début d’une longue période de troubles et d’instabilité. Le roi en bisbille avec le Premier ministre est  contraint à l’exil.

En 1986, le régime d’apartheid en Afrique du Sud fomente un coup d’Etat dans le pays pour l’empêcher de servir de base arrière au Congrès national africain (ANC), fer de lance alors de la lutte contre le régime ségrégationniste. Entre 1986 et 1993, le pays est gouverné par un conseil militaire, avec à sa tête un haut gradé de l’armée, le général Justin Lekhanya.

Retour en 1993 à la monarchie constitutionnelle, avec la restauration du pouvoir civil à la suite des élections multipartites remportées par le Congrès du Lesotho pour la démocratie (LCD). En 1998, des troubles éclatent de nouveau, après la victoire écrasante du LCD aux législatives. Le scrutin est contesté par l’opposition qui fait descendre ses supporters dans la rue. Des manifestations, doublées de la mutinerie de l’armée, font 75 morts parmi les civils, entraînant l’intervention des troupes sud-africaines et du Botswana. Saccagée par les mutins, la capitale Maseru est un champ de ruines.

Le premier ministre du Lesotho Thomas Thabane (centre), la première dame Lady Maesaiah Thabane ( à gauche), avec le roi Letsie III (à droite), à l'occasion de la prise de fonctions du nouveau gouvernement à Maseru en juin 2017.
Le premier ministre du Lesotho Thomas Thabane (centre), la première dame Lady Maesaiah Thabane ( à gauche), avec le roi Letsie III (à droite), à l’occasion de la prise de fonctions du nouveau gouvernement à Maseru en juin 2017. SAMSON MOTIKOE / AFP

Au cours de la décennie écoulée, le Lesotho a renoué avec son instabilité chronique légendaire, comme en témoignent les nombreuses tentatives de coups d’Etat. Entre 2013 et 2020, quatre gouvernements se sont succédé à la tête du pays. Le dernier Premier ministre à faire les frais du chaos ambiant s’appelle Tom Thabane, nommé à la tête d’un gouvernement de coalition en 2017. Trois ans plus tard, il est poussé à la démission, en raison de soupçons de complicité dans l’assassinat de son ex-épouse. Avant d’être écarté du pouvoir, le chef du gouvernement avait paralysé le pays pendant six mois en refusant de démissionner.

Une nouvelle coalition dirigée par le ministre des Finances dans l’équipe sortante gouverne le pays depuis mai 2020, avec pour feuille de route la mise en place de réformes de grande envergure destinées à mettre frein à l’instabilité politique. Faute de consensus au Parlement, le chantier de réformes n’a pas pu être mené à son terme et la stabilisation de la vie politique tant attendue par la population comme par les partenaires internationaux du Lesotho, est renvoyée aux calendes grecques.

Atouts et faiblesses de l’économie lesothane

Avec le PIB par habitant stagnant à 1000 USD (2020), le Lesotho fait partie des pays les plus pauvres de la planète. Près de 75% de la population vit en milieu rural et dépend directement de l’agriculture et de l’élevage.

Par ailleurs, le Lesotho est très dépendant des transferts de fonds des migrants, qui représentent plus de 20% du PIB du pays en 2020 et dont la grande majorité provient d’Afrique du Sud. Avec plus de 40 000 travailleurs lesothans dans les mines autour de Johannesburg, le Lesotho est devenu l’un des principaux pourvoyeurs de main d’œuvre pour les compagnies minières sud-africaines. La vitalité de l’économie sud-africaine en général fait de l’Afrique du Sud un véritable pôle d’attraction pour la population du Lesotho qui souffre d’un chômage chronique. Cette dépendance économique est renforcée par l’ancrage de la monnaie lesothane, le loti, au rand sud-africain dans le cadre de la zone monétaire commune entre les deux pays et le Botswana, la Namibie et l’Eswatini.

Travailleurs dans une usine textile au Lesotho
Travailleurs dans une usine textile au Lesotho Banque Mondiale/ J.Hogg

L’économie lesothane n’est pas toutefois dépourvue de quelques atouts, parmi lesquels il faut citer les secteurs textile et diamantifère dont l’activité représente 10% et 7% du PIB national respectivement. Le secteur de l’eau est également très stratégique pour l’économie du Lesotho, avec ce petit pays exportant une partie importante de ses ressources en eau vers son grand voisin sud-africain, via un système de barrages et de tunnels creusé dans les montagnes. Les réserves en eau abondantes du royaume sont très précieuses pour l’Afrique du Sud dont les grandes villes, notamment Pretoria et Johannesburg, sont approvisionnées par le spectaculaire barrage de Katse, construit en 1996, sur la rivière Malibamat’so. Last but not least, le tourisme représente aussi un secteur non-négligeable, évalué à environ 10% du PIB.

Dépendance sud-africaine

Cette dépendance n’est pas seulement économique, elle est aussi politique, comme en témoigne le rôle majeur joué par Pretoria dans la médiation des crises internes que connaît régulièrement le Lesotho. Cette monarchie turbulente a connu depuis son indépendance une demi-douzaine de coups d’Etat et de mutineries. De peur de voir les turbulences déborder dans ses provinces attenantes, les autorités sud-africaines ont souvent été tentées de s’interposer militairement dans les conflits internes lesothans pour imposer la paix. Mais depuis le fiasco militaire de 1998 lorsque l’armée sud-africaine est intervenue contre une tentative de coup d’Etat, Pretoria privilégie des solutions négociées aux règlements par les armes.

En 2017, c’est la médiation diplomatique de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), qui avait permis d’arracher le pays au chaos lors d’un énième coup de force de l’armée et de coordonner le retour au pouvoir de Tom Thabane démocratiquement désigné à la tête d’une coalition de partis. Pretoria a également pesé dans les négociations multipartites qui ont eu lieu sous l’égide de la SADC pour pousser Maseru à adopter des réformes institutionnelles indispensables pour mettre fin à son instabilité politique chronique.

Aux urnes, citoyens !

Une affiche du Premier ministre sortant Pakalitha Mosisili dans une rue de Maseru, capitale du Lesotho, le 30 mai 2017, à quatre jours des législatives du 3 juin.
Une affiche du Premier ministre sortant Pakalitha Mosisili dans une rue de Maseru, capitale du Lesotho, le 30 mai 2017, à quatre jours des législatives du 3 juin. GIANLUIGI GUERCIA / AFP

Les électeurs du Lesotho sont invités ce vendredi 7 octobre 2022 à élire leurs députés et à renouveler leur parlement. L’Assemblée législative compte 120 sièges dont 80 députés élus au scrutin majoritaire et 40 désignés à la proportionnelle. Dans ce régime parlementaire mixte avec un roi sans réel pouvoir et un Premier ministre aux commandes, la vie politique est très atomisée avec une soixantaine de partis participant au scrutin cette année. Aucun parti ne parvenant à remporter une majorité absolue aux urnes, le pays est dirigé depuis dix ans par des gouvernements de coalition. L’instabilité politique chronique dont souffre le Lesotho explique le manque de confiance de la population dans ses hommes politiques. En 2017, seuls 47% des plus de 1,2 millions d’électeurs s’étaient rendus aux urnes. 


Liesl Louw-Vaudran: « Aucun parti n’a de réelle chance de remporter une majorité absolue au scrutin du 7 octobre »

Spécialiste de l’Afrique australe, Liesl Louw-Vaudran est analyste (senior researcher) à l’Institut d’Études de Sécurité à Pretoria. Entretien.

RFI : Quels sont les grands enjeux du scrutin du 7 octobre ?

Liesl Louw-Vaudran : Les élus seront-ils à la hauteur des problèmes graves de survie au quotidien et de développement que connaît la population lesothane ? Tel est le principal enjeu de ce scrutin démocratique. Une soixantaine de partis politiques participent à ce scrutin, proposant de représenter 1,38 millions d’électeurs en âge de voter. Dans ce contexte, le paysage politique post-électoral promet d’être profondément fragmenté, avec un personnel politique motivé avant tout par ses propres intérêts plutôt que par le souci de servir les intérêts de la population. Dans un pays comme le Lesotho où 30% de la population vit avec moins de 1,90 dollars par jour et où le chômage est rampant, les électeurs s’attendent à ce que les hommes politiques les aident surtout à trouver des solutions à leurs problèmes économiques. Enfin, la criminalité est un défi majeur que le prochain gouvernement devra relever à bras le corps. Le petit Lesotho connaît le taux le plus élevé de mortalité par assassinats, juste derrière l’Afrique du Sud. La guerre des gangs représente un problème majeur pour la population.

Quels sont les principaux partis politiques au Lesotho ?

Il y a plusieurs grands partis politiques, mais aucun parti n’a de réelle chance de remporter une majorité absolue vendredi. La Coalition de quatre partis actuellement au pouvoir emmenée par la Convention de tous les Basotho (ABC) risque d’être le grand perdant de ce scrutin face à la popularité croissante d’un nouveau mouvement lancé par Sam Matekane, un célèbre homme d’affaires. Son parti, qu’il a baptisé la « Révolution pour la prospérité », pourrait créer la surprise. L’homme a promis de soutenir, s’il est élu, les petits entrepreneurs et de s’occuper sérieusement des problèmes économiques.  

Comment s’explique l’instabilité chronique dont souffre le Lesotho ?

La corruption de l’élite politique et le système institutionnel sans de véritables garde-fous favorisent les querelles intestines, qui à terme affectent l’espérance de vie des coalitions au pouvoir depuis dix ans. Même les forces de sécurité sont politisées, avec l’armée et la police prenant position dans les batailles que se livrent le pouvoir et l’opposition. Le système électoral mixte de représentation proportionnelle n’est pas étranger à l’émiettement de la vie politique à laquelle on assiste, avec la création incessante de nouveaux mouvements et partis et le nomadisme politique. Les réformes, si elles aboutissent, permettront de freiner cette dernière pratique. Elles prévoient que le monarque constitutionnel devienne le commandant en chef des forces armées à la place du Premier ministre.

Il semble y avoir un consensus autour de ces réformes, mais jusqu’ici toute tentative de réformer la vie politique s’est soldée par un échec…

Les négociations pour améliorer le système politique lesothan ont commencé dès 2014, au lendemain du dernier coup d’Etat écartant du pouvoir le Premier ministre de l’époque. Le processus a manqué son échéance de juillet 2022 lorsqu’il a fallu dissoudre le parlement et convoquer de nouvelles élections législatives. Reste à savoir si ceux qui arriveront au pouvoir après les élections remettront les réformes sur les rails…

Craignez-vous que les électeurs ne boudent le scrutin ?

Oui, je le crains, car la population ne fait plus confiance à la classe politique. Malgré les conférences nationales qui avaient largement entériné les réformes, le parlement tarde à les adopter. Cela dit, le lancement de son nouveau parti par l’homme d’affaires Sam Matekane pourrait contribuer à créer une nouvelle dynamique électorale.


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