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Guerre en Ukraine : comment pourrait se terminer le conflit ?

Prenant la parole à un sommet pour la paix, dimanche 23 octobre à Rome, Emmanuel Macron a dessiné sa vision de la fin de l’invasion de l’Ukraine, lancée par la Russie il y a huit mois. « Imaginer la paix en temps de guerre » est « le plus grand des impensables », mais tous les conflits se terminent « autour d’une table », estime le président français, qui assure qu’il ne demande pas aux Ukrainiens de céder à Moscou, mais les invite à envisager de négocier « le plus tôt possible ».

Mais sur le terrain, tout indique que les opérations vont se prolonger. L’armée ukrainienne poursuit sa reconquête, et l’armée russe ses frappes. Dimanche, Moscou a accusé Kiev de se préparer à utiliser une « bombe sale », des propos que la Maison Blanche voit comme un possible « prétexte à une escalade ».

Comment ce conflit encore vif peut-il, un jour, prendre fin ? Alors que la situation semble toujours plus inextricable, franceinfo a interrogé des spécialistes pour comprendre comment se terminent les guerres, explorer les scénarios envisageables en Ukraine et leur probabilité de se concrétiser.

Scénario 1 : la Russie atteint ses objectifs

Pour connaître la probabilité d’une victoire russe, encore faut-il savoir quels sont les objectifs de guerre de Vladimir Poutine. « On sait ce qu’il voulait faire au départ, assure le chercheur en sciences politiques Julien Théron. A savoir provoquer un changement de régime à Kiev, pour y réinstaller un gouvernement aligné sur les intérêts du Kremlin. » Ce scénario s’est effondré dès les premiers jours de guerre, quand l’armée russe n’a pas réussi à prendre la capitale. Depuis l’échec initial, le cap suivi par le président russe est « complètement flou », observe le coauteur, avec Isabelle Mandraud, de Poutine, La Stratégie du désordre jusqu’à la guerre (éd. Tallandier, août 2022). « Il a d’abord visé les grandes villes. Puis, on a pensé qu’il voulait prendre l’intégralité de l’Ukraine. Puis, il a annoncé que la Russie se concentrait sur le Donbass ». 

Mais si personne ne sait plus vraiment ce que veut Vladimir Poutine, le président russe n’a manifestement pas renoncé. « Une guerre finit quand on a changé les attentes des acteurs », notamment quand la réalité du terrain « leur fait se rendre compte qu’ils n’ont pas les moyens d’atteindre leurs objectifs », explique Olivier Schmitt, chercheur à l’Université du Danemark du Sud. En l’occurrence, tout montre que Vladimir Poutine n’est pas convaincu d’être condamné à l’échec en Ukraine : « S’il a décidé de la mobilisation et de frappes stratégiques sur les grandes villes, c’est qu’il pense qu’il a encore les moyens de gagner. »

Pour ce spécialiste de la stratégie militaire, le Kremlin espère toujours que les Occidentaux, déstabilisés par la crise énergétique, cesseront de soutenir l’Ukraine et pousseront Kiev à capituler. Mais même en cas de retournement de la situation militaire, difficile d’imaginer les Ukrainiens cesser de combattre. Surtout, au vu de la dynamique de ces derniers mois, « la probabilité d’une victoire russe est faible », rappelle Olivier Schmitt. Il souligne en particulier le « différentiel d’épuisement » entre les troupes ukrainiennes et l’armée russe, « dont beaucoup d’officiers ont été tués, et qui doit envoyer des conscrits à la place de troupes professionnelles ».

Scénario 2 : l’Ukraine vainc l’armée russe

Au regard des derniers mois de conflit, une victoire militaire de l’Ukraine « devient du domaine du réalisable, estime Olivier Schmitt. Ils ont essuyé beaucoup de pertes, mais réussissent à former leurs soldats, à conserver un encadrement expérimenté, et on leur fournit du matériel. La dynamique militaire est en leur faveur ».

L’hiver qui vient sera déterminant, estime la sociologue Anna Colin Lebedev, spécialiste des sociétés russe et ukrainienne. « On verra alors quelle sera la situation économique et humanitaire des Ukrainiens, notre propre détermination à les soutenir malgré les conséquences sur notre pouvoir d’achat, et comment cela affectera le front ». Malgré les conditions climatiques difficiles, les Ukrainiens n’ont pas l’intention de faire une pause dans leur contre-offensive, assurait le 12 octobre le secrétaire à la Défense des Etats-Unis, Lloyd J. Austin III, appelant les pays occidentaux à leur envoyer des équipements adaptés au froid, rapporte le New York Times (en anglais).

Reste à savoir l’étendue des territoires que Kiev compte reconquérir. « Est-ce qu’on parle des frontières effectives au 23 février 2022 [à la veille de l’offensive russe] ou de celles de 2013 [avant l’annexion de la Crimée et l’occupation d’une partie des régions de Donetsk et de Louhansk] ? La question peut devenir très sensible », souligne Anna Colin Lebedev. Et créer des dissensions entre l’Ukraine et certains de ses alliés. Car l’autre inconnue, dans le scénario d’une victoire ukrainienne, « c’est comment va réagir Poutine », rappelle Olivier Schmitt. Pour le chercheur, Vladimir Poutine « a trop investi dans ce conflit pour céder. Dans les régimes très militarisés comme le sien, la survie des dirigeants dépend des performances de leur armée, et ils ont tendance à doubler la mise plutôt que de renoncer ». Or, une guerre ne peut pas s’arrêter si l’un des deux belligérants continue à combattre.

Scénario 3 : Kiev et Moscou trouvent un accord de paix

Dimanche, à Rome, Emmanuel Macron a réitéré sa conviction que cette guerre se terminera par des négociations : « A un moment, en fonction de l’évolution des choses et quand le peuple ukrainien et ses dirigeants l’auront décidé, dans les termes qu’ils auront décidé, la paix se bâtira avec l’autre, qui est l’ennemi d’aujourd’hui, autour d’une table ». Un discours auquel il n’a pas renoncé malgré les critiques de Volodymyr Zelensky sur la volonté de la France de maintenir le dialogue avec Vladimir Poutine. La fin de cette guerre passerait-elle forcément par un accord entre Kiev et Moscou ? Olivier Schmitt liste trois variables déterminantes : le fait qu’au moins un des belligérants change d’objectif ; que la politique interne des pays impliqués soit favorable à la fin de la guerre ; et qu’il existe un « degré minimum de confiance » mutuelle sur le respect d’un accord de paix.

Côté russe, aucun de ces facteurs n’est acquis à ce jour. Si la Russie se présente comme ouverte à une médiation avec l’Ukraine, sous l’égide de la Turquie ou des Emirats arabes unis, son discours ne montre aucune concession. Et Vladimir Poutine continue d’afficher une confiance dans sa capacité à l’emporter face à l’armée ukrainienne. Le contexte politique russe semble l’encourager dans ce que Julien Théron qualifie de « fuite en avant ». Pour le politiste, « accepter de négocier le retrait des troupes russes serait contraire à la mythologie du poutinisme, qui repose sur l’image d’une ultrapuissance ». Le président russe a besoin de cette image « pour que personne ne puisse contester sa place ».

Les conditions d’un accord ne sont pas non plus réunies en Ukraine. « La population est à bloc. Si Zelensky annonce qu’il va négocier avec la Russie, un nouveau gouvernement le remplace immédiatement », pronostique Olivier Schmitt. « C’est la population ukrainienne qui conduit la guerre, qui s’engage dans l’armée, mais aussi qui assure la continuité de l’Etat, répare le réseau électrique… Son adhésion est centrale », insiste Anna Colin Lebedev. Volodymyr Zelensky, apprécié pour sa capacité à faire corps avec son peuple, « n’a pas le droit à l’erreur » dans son discours. Il continue d’ailleurs à refuser avec virulence toute proposition de négociations tant que Vladimir Poutine préside la Russie.

La confiance mutuelle nécessaire à un accord entre Kiev et Moscou n’existe pas non plus. « Les Russes ont pour historique de violer l’intégralité de leurs engagements. L’Ukraine n’a aucune raison de les croire », tranche Olivier Schmitt. La population ukrainienne « interprète de plus en plus cette guerre comme faisant partie d’un conflit existentiel avec la Russie », explique Anna Colin-Lebedev. Pour l’opinion publique, « un cessez-le-feu signé maintenant serait l’hypothèse la plus effrayante : cela reviendrait à donner à la Russie du temps pour se renforcer et attaquer à nouveau ».

Scénario 4 : Poutine est renversé

En Ukraine, rien ne semble menacer la popularité de Volodymyr Zelensky tant qu’il continue le combat contre l’envahisseur. En Russie, en revanche, l’échec militaire et les difficultés économiques peuvent affaiblir les fondements du pouvoir de Vladimir Poutine. « Les Russes sont historiquement habitués aux dirigeants durs, mais ils ont aussi pris goût à la consommation et aux voyages », souligne Julien Théron. « Un grand nombre de personnes seraient prêtes au changement », analyse Anna Colin-Lebedev, qui observe « une augmentation du nombre de mécontents » dans les administrations locales, en première ligne pour faire appliquer la mobilisation générale voulue par Poutine et subir au quotidien la colère des Russes. Mais le Kremlin a toujours les moyens d’assurer la répression. « L’étincelle ne viendra probablement pas de la rue », juge la sociologue.

Pour l’heure, aucun signe ne laisse non plus présager une révolution de palais, qui viendrait de proches du chef d’Etat russe. Mais « plus les soldats russes perdent, plus ça devient envisageable », estime Olivier Schmitt. Cependant, « il n’est pas inimaginable que Poutine soit remplacé, mais que le régime ne tombe pas », prévient Julien Théron. Une partie des élites russes partagent depuis longtemps son discours de haine de l’Occident. Les critiques de plus en plus audibles en Russie ne viennent pas d’opposants à l’invasion de l’Ukraine, mais de partisans d’un durcissement. « L’alternative à Vladimir Poutine ne serait pas nécessairement meilleure », conclut donc Olivier Schmitt.

Scénario 5 : le conflit se transforme en guerre nucléaire mondiale

Pour faire douter les alliés de l’Ukraine, Vladimir Poutine laisse planer la menace d’un recours à l’arme nucléaire. Il l’envisagerait, dit-il, en cas de menace sur « l’intégrité territoriale » de son pays. L’Ukraine n’a aucune intention de mettre un pied en Russie, mais elle ne reconnaît pas l’annexion de la Crimée en 2014 ni celle, fin septembre, de quatre régions du pays, où les soldats ukrainiens mènent une contre-offensive.

Vladimir Poutine peut-il considérer qu’il s’agit d’une attaque du territoire russe, et franchir cette ligne rouge ? La question fait débat parmi les spécialistes. « Je pense que la probabilité est faible, moins de 10%, mais qu’elle augmente un peu » du fait des difficultés de l’armée russe, estime Olivier Schmitt. « C’est un dictateur, qui peut considérer que c’est sa moins mauvaise option ». Les Etats-Unis assurent n’avoir observé aucun signe d’une frappe nucléaire imminente. Mais le fait qu’ils aient publiquement averti Moscou des conséquences d’une frappe nucléaire montre « qu’ils pensent que c’est une possibilité », estime le chercheur.

Le scénario envisagé est celui d’une frappe tactique, c’est-à-dire l’emploi d’une arme nucléaire de moindre puissance (qui resterait cependant dévastatrice). Elle ne mettrait pas fin au conflit : impossible de détruire l’armée ukrainienne, qui combat sur des fronts étendus sur plusieurs milliers de kilomètres, en une seule frappe localisée. En revanche, la riposte occidentale serait « si puissante que l’armée russe sera[it] anéantie », a déjà prévenu le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell.

Une frappe nucléaire en Ukraine pourrait-elle alors accélérer une défaite militaire russe ? Ou conduire Kiev et ses alliés à capituler de peur d’une escalade ? Ou encore accélérer un changement politique en Russie, en mécontentant les alliés de Moscou ou la population ? « Je pense qu’on changerait de monde », analyse Olivier Schmitt. Les alliés occidentaux de l’Ukraine riposteraient, pas forcément de façon nucléaire – Emmanuel Macron l’a exclu, le 12 octobre – mais par des frappes conventionnelles. « La Russie aurait alors le choix : arrêter là ou passer à des frappes nucléaires stratégiques contre des grandes villes », résume le chercheur. A l’époque de la guerre froide, déjà, les spécialistes étaient conscients « que si un conflit devient nucléaire, il a très peu de chances de rester limité ».


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