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On vous raconte l’histoire des « Warming Stripes », le meilleur graphique pour comprendre le réchauffement climatique

On les a vues à l’Elysée lors d’un séminaire gouvernemental et à un concert de rock post-hardcore. A des défilés de mode et dans le dernier rapport du Giec, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Sur le visage du nouveau président chilien, Gabriel Boric, et sur des canettes de bière. Autour du cou d’un grand patron de la finance et sur les pancartes des marches pour le climat. Sur un maillot de football et sur la couverture du dernier livre de l’activiste Greta Thunberg.

On pourrait continuer cette liste longtemps : les « Warming Stripes », ou « bandes du réchauffement climatique » en français, se sont disséminées un peu partout depuis leur création en 2018 par le climatologue britannique Ed Hawkins, 45 ans. « Je n’aurais jamais imaginé aller un jour à la Fashion Week de Londres ou participer à un shooting pour un maillot de football. Ce n’est pas sur la liste des activités normales pour un climatologue », euphémise-t-il. A l’occasion de la COP27, qui se tient du 6 au 18 novembre à Charm El-Cheikh (Egypte), franceinfo vous raconte l’histoire de ces bandes au succès fou.

Au commencement se trouvent un bébé et une « accro » du crochet. Ellie Highwood, une consœur scientifique d’Ed Hawkins, prépare une couverture comme cadeau de naissance pour la fille d’une collègue. Elle décide de s’inspirer d’une pratique très répandue chez les « crocheteurs » : confectionner une rangée par jour et utiliser la température ou la couleur du ciel du moment pour en choisir la couleur. « Je me demandais ce que donnerait la série des températures mondiales sur une couverture. Et comme on explique souvent le réchauffement climatique en comparant les gaz à effet de serre à une couverture, je trouvais intéressant de faire le lien », expliquait-elle à l’époque sur son blog. Quelques mois plus tôt, une autre scientifique, l’Américaine Joan Sheldon, avait eu une idée similaire.

C’est là qu’intervient Ed Hawkins. Le scientifique de l’université de Reading (Royaume-Uni), coauteur des deux derniers rapports du Giec, s’intéresse depuis longtemps à la meilleure manière de représenter le réchauffement climatique. « J’ai créé des visualisations que je trouvais brillantes, mais que personne n’aimait », plaisante-t-il. Un an après avoir vu la couverture de sa collègue, il en reprend le principe en simplifiant le code couleur. En bleu, les années plus froides que la moyenne des températures entre 1971 et 2000. En rouge, les années plus chaudes. Le résultat montre clairement le réchauffement observé ces dernières années sous l’effet des activités humaines (consommation de pétrole, charbon et gaz, déforestation). Le succès est immédiat : en une semaine, les Warming Stripes sont téléchargées un million de fois sur le site monté pour l’occasion.

Comment expliquer un telle réussite ? Ed Hawkins l’attribue à la beauté de ces bandes et à leur simplicité (elles sont dépouillées d’axes et de chiffres), qui les rendent compréhensibles « pour les personnes qui n’ont pas aimé les maths ou les sciences à l’école ». La scientifique Mélissa Gomis, qui a travaillé sur les graphiques du dernier rapport du Giec comme membre du groupe technique, salue un exercice de communication visuelle très réussi. « Elles contiennent des données scientifiques, mais c’est presque plus une œuvre d’art. Le but n’est pas de communiquer sur le concept d’anomalie de température utilisé ici, il est de donner la sensation du changement climatique », détaille cette spécialiste des visualisations graphiques.

« C’est universel : le graphique peut être compris par un prix Nobel de physique comme par des personnes très éloignées de la science. »

Mélissa Gomis, spécialiste des visualisations scientifiques

à franceinfo

Simples à comprendre, les bandes sont aussi aisément déclinables, à toutes les échelles (monde, pays, ville) et sur tout type de support. Ed Hawkins a même mis au point une version où différents futurs climatiques se dessinent en fonction de nos choix et de nos décisions. Sa collègue Valérie Masson-Delmotte ne les utilise pas seulement dans ses présentations devant le gouvernement ou dans des écoles. Elle les porte souvent en écharpe, un cadeau de Hawkins à la COP26 de Glasgow en 2021. « Quand je prends le RER, des gens m’interpellent sur ce foulard, me disent ‘tiens, c’est le code-barre du climat’, sans me connaître », témoigne la coprésidente du groupe 1 du Giec. « C’est assez rare pour un objet scientifique de rentrer dans la culture populaire. »

La climatologue Valérie Masson-Delmotte avec son foulard des "Warming Stripes", le 4 mai 2022 à l'Elysée. (DANIEL PIER / NURPHOTO / AFP)

La climatologue Valérie Masson-Delmotte avec son foulard des "Warming Stripes", le 4 mai 2022 à l'Elysée. (DANIEL PIER / NURPHOTO / AFP)

Il suffit de pousser les portes du stade du Reading FC, l’équipe professionnelle de football de la ville où travaille Ed Hawkins, pour se convaincre de cette réalité. Les bandes de l’évolution de la température locale sont déclinées sur les manches des maillots pour la saison 2022-2023 de ce club évoluant en deuxième division anglaise. L’idée a germé lors d’une visioconférence avec l’université. « J’ai vu les bandes derrière lui. Je pensais que c’était un tableau, mais il m’a expliqué ce qu’elles représentaient », se souvient Tim Kilpatrick, directeur commercial du Reading FC.

C’est lui qui propose de les afficher sur le maillot. « Avec l’université, nous voulions que ce message atteigne un nouveau public, en l’occurrence nos supporters », poursuit le directeur commercial. Ce choix est la partie la plus visible d’une série de décisions pour réduire l’empreinte environnementale du club : panneaux photovoltaïques, score « climat » des différents menus servis au stade, maillots en polyester recyclé…

Deux footballeurs du Reading FC, Shane Long et Tom Ince, le 8 août 2022 à Reading (Angleterre). (JASONPIX / SHUTTERSTOCK / SIPA)

Deux footballeurs du Reading FC, Shane Long et Tom Ince, le 8 août 2022 à Reading (Angleterre). (JASONPIX / SHUTTERSTOCK / SIPA)

La créatrice de mode Lucy Tammam a, elle, découvert les Warming Stripes grâce à une amie. La cheffe d’entreprise de 39 ans, qui revendique une démarche « durable » et écologique, a tout de suite eu envie d’en faire des robes. « Mon premier objectif est de faire de beaux vêtements respectueux de l’environnement. J’aime aussi beaucoup l’idée d’utiliser la mode comme une voie vers le militantisme et l’éducation », confie-t-elle par e-mail. Les bandes se déclinent aujourd’hui sur des robes, des écharpes, des foulards et des manteaux. « La plupart des réactions sont positives, avec des gens ravis d’avoir découvert les ‘Stripes’ de cette manière », témoigne la créatrice.

Un défilé de mode de la maison Tammam, le 16 septembre 2022 à Londres (Royaume-Uni). (STEVE BEST / HOUSE OF TAMMAM)

Un défilé de mode de la maison Tammam, le 16 septembre 2022 à Londres (Royaume-Uni). (STEVE BEST / HOUSE OF TAMMAM)

Des réactions positives, et après ? Les retombées concrètes des Warming Stripes restent compliquées à évaluer. « Des millions de personnes les ont vues et les ont utilisées. Savoir si cela a provoqué des changements, c’est très difficile à dire », résume Ed Hawkins. Lui voit plutôt son graphique comme un nouvel instrument dans « la boîte à outils » pour communiquer et « démarrer une conversation » sur le réchauffement climatique. Le scientifique britannique raconte comment un Américain, qui avait recouvert sa voiture électrique avec les bandes, a pu déclencher des débats sur le sujet dans des salons automobiles. « Je pense que c’est bien plus efficace que de recevoir une leçon sur le sujet. Les gens sont intrigués et posent des questions », assure le climatologue.

« C’est un moyen de parler du climat dans différents cercles sociaux. C’est, de manière générale, ce que doit faire la communauté climatique : inspirer cette conversation dans d’autres cercles. »

Ed Hawkins, climatologue

à franceinfo

Pour favoriser une large diffusion, les bandes du réchauffement sont en licence libre. « Les gens peuvent l’utiliser et nous ne pouvons pas dire non », résume Ed Hawkins. Lui assure ne pas avoir d’exemples négatifs en tête, mais le risque de greenwashing, c’est-à-dire leur utilisation par des acteurs peu respectueux de l’environnement pour verdir leur image, est bien là. On peut par exemple relever que le club de foot de Reading n’a pas renoncé à renouveler chaque saison sa gamme de maillots, une pratique qui pousse ses supporters à la consommation. Larry Fink, le tout-puissant patron du groupe de gestion d’actifs BlackRock, qui arborait une écharpe aux couleurs des Warming Stripes en 2020, a annoncé en mai la fin de son éphémère soutien aux actionnaires pro-climat, comme le raconte Le Monde.

Malgré cet angle mort, la démarche a donné des idées aux défenseurs de la biodiversité. Miles Richardson, professeur de psychologie à l’université de Derby (Royaume-Uni), a mis au point cet été des « Biodiversity Stripes » pour rendre compte de l’effondrement des populations de mammifères, d’oiseaux, de poisons, d’amphibiens et de reptiles. « Elles vont du vert de la nature au gris, pour représenter la perte de couleur au fur et à mesure que les espèces disparaissent. Le monde devient plus gris, plus urbain », détaille l’intéressé. Les données viennent du Living Planet Index de l’ONG WWF.

Le scientifique s’est lancé dans cette visualisation parce qu’il regrette que la biodiversité soit « le parent pauvre du réchauffement climatique, qui est beaucoup plus traité dans les médias ». Miles Richardson espère que son graphique connaîtra le même succès que les Warming Stripes d’Ed Hawkins : « Ce sont toutes les deux des crises environnementales qui menacent, à terme, l’existence humaine. »


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