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COP27 : trois questions sur le projet de Grande muraille verte au Sahel, vanté par Emmanuel Macron

C’est l’un des projets mis en avant par Emmanuel Macron lors de sa visite, lundi 7 novembre, à la COP27, le sommet annuel de la communauté internationale pour lutter contre le réchauffement climatique. « Nous devons avoir des projets concrets avec les zones les plus touchées [par les effets du réchauffement] dans le cadre d’un partenariat qui fait vivre cette justice. C’est ce que nous avons voulu lancer avec la Grande muraille verte, du Sahel à la corne de l’Afrique », a déclaré le chef de l’Etat.

Alors que des annonces pourraient intervenir dans les prochains jours sur ce dossier, franceinfo vous explique en quoi consiste cette Grande muraille verte.

Qu’est-ce que c’est ?

Lancée en 2007 par l’Union africaine, la Grande muraille verte est un projet qui vise à lutter contre la désertification et la dégradation des terres au sud du Sahara. Le tout en séquestrant du carbone pour lutter contre le réchauffement climatique et en offrant des opportunités économiques à la population locale. A l’origine, il s’agissait de planter un corridor d’arbres de près de 8 000 km de long et 15 km de large, à travers 11 pays, du Sénégal à Djibouti. Les visuels utilisés pour promouvoir l’événement montrent une bande verte immense bordant le sud du Sahara.

Afrique : les difficultés du méga-projet de Grande muraille verte au Sahel
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La réalité du projet est un peu plus complexe. « Aujourd’hui, ce n’est plus uniquement la plantation d’arbres. Cette idée initiale n’était pas très faisable, ils ne pouvaient pas implanter des forêts sur des zones cultivées et pâturées », explique Manon Albagnac, chargée du projet Sahel Désertification à l’association Cari. La Grande muraille verte englobe « tout un tas d’actions pour préserver le potentiel productif des terres et l’agriculture ». Manon Albagnac cite l’exemple de l’ONG Tiipaalga, qui restaure des parcelles et développe des cultures fruitières et fourragères dans le nord du Burkina Faso.

Où en est le projet ?

L’objectif affiché est de remettre en état 100 millions d’hectares de terre à l’horizon 2030. Dans un rapport publié en septembre 2020 (PDF), la Convention de l’ONU contre la désertification estimait que seulement 4% de cette surface avait été effectivement restaurée sur la période 2011-2017, dont la moitié sur le territoire de l’Ethiopie. Environ un milliard de dollars (un milliard d’euros) ont été mobilisés, alors que les besoins de financement sont estimés à 43 milliards d’ici à 2030. Ce constat a déclenché « l’accélérateur de la Grande muraille verte », évoqué par Emmanuel Macron dans son discours de lundi, avec des promesses de financements de 19 milliards d’euros.

Insuffisants par rapport aux objectifs, ces chiffres sont à prendre avec des pincettes. « Personne n’est capable d’avoir un suivi des projets dans chaque territoire, c’est une vraie difficulté. On ne sait pas si les espaces considérés comme restaurés sont toujours en bon état », observe Manon Albagnac. De plus, selon elle, les fonds mentionnés par Emmanuel Macron sont « pour la plupart des lignes de financement déjà programmées » et non des nouveaux investissements.

Directeur de recherche émérite au CNRS, Gilles Boëtsch, qui travaille depuis douze ans sur le sujet, trouve « un peu dur » de résumer l’avancée du projet au chiffre de 4%. « C’est l’équivalent de la surface de la Belgique, ce n’est pas rien. Et il y a tout ce qui accompagne les arbres, les gens, les projets », argumente-t-il. L’anthropologue identifie cependant deux obstacles importants : le climat – « avec le réchauffement climatique, les pluies ne sont plus régulières comme avant, cela fragilise le projet » – et la guerre contre les groupes jihadistes qui occupent certaines zones du Sahel. « Vous ne pouvez pas planter des arbres au milieu de gens qui se tirent dessus », résume-t-il. Le président de l’institut Balanitès, une association qui promeut la coopération scientifique autour du projet, regrette enfin le manque d’investissements dans la recherche, « indispensable » à la bonne mise en œuvre de la Grande muraille.

Cette Grande muraille est-elle efficace ?

Malgré les difficultés, Manon Albagnac ne veut pas donner l’impression que « rien n’a été fait ». Elle mentionne la mise en place d’un cadre politique, décliné dans chaque pays, avec l’Agence panafricaine de la Grande muraille verte, pour coordonner les différentes initiatives. « Il y a des raisons d’espérer que ce soit un cadre politique mobilisateur et fédérateur », explique la chargée de mission de l’ONG Cari. Gilles Boëtsch y « croit aussi ». « Les gens sont impliqués localement, ce projet a de l’avenir », martèle-t-il.

Auteur d’une thèse sur ce projet, le géographe Ronan Mugelé s’était montré beaucoup plus sceptique en 2018 dans un article publié par le Bulletin de l’association de géographes français. La Grande muraille verte y était comparée à un « mirage », à la « réalité changeante selon la distance avec laquelle on l’observe ». Il « s’apparente soit à une modeste et énième opération de reboisement au Sahel, soit à une plateforme institutionnelle destinée à polariser les flux de l’aide, soit encore à une vieille utopie environnementale ressuscitée par une poignée de dirigeants soucieux d’améliorer leur image », écrivait-il.

Dans son rapport spécial sur les terres émergées publié en 2020 (PDF, en anglais), le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui synthétise l’état des connaissances scientifiques, s’était montré sceptique. « Par le passé, des programmes de reforestation au Sahel et en Afrique du Nord lancés pour lutter contre la désertification ont été mal pensés et ont coûté beaucoup d’argent sans résultat significatif », écrivaient les auteurs du rapport, avant de conclure : « Malgré les premières actions concrètes sur le terrain, la réussite des objectifs est incertaine et sera difficile sans financement supplémentaire significatif. »


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