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Grève dans les transports parisiens : pourquoi est-ce la pagaille depuis plusieurs mois dans les bus et métros ?

Biiiiiiip. La porte du métro se ferme devant vous. Pas de chance, il faudra attendre de longues minutes avant de retenter de grimper dans une nouvelle rame bondée. Une grève, très suivie à la RATP, perturbe fortement les transports en commun en région parisienne et un peu partout en France, jeudi 10 novembre. En cause, notamment, le manque de recrutements qui empêche l’augmentation de la fréquence des bus, tramways et métros en Ile-de-France et dans de nombreuses métropoles depuis des mois. A Paris et dans la petite couronne, plus d’un quart des bus ont « disparu » de la circulation en septembre 2022. A Lyon, 40 lignes de bus et de tramways sont réduites depuis novembre. A Bordeaux, certains départs ont été supprimés.

« Nous sommes dans une situation inédite », souffle Marc Pélissier, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) d’Ile-de-France. « Il y a eu d’abord le sujet des bus avant l’été qui s’est aggravé à la rentrée. Puis se sont ajoutées les difficultés importantes dans le métro, avec des temps d’attente que l’on n’avait pas l’habitude de voir et des rames surchargées », décrit-il. « On est consternés, mais on n’est pas surpris », analyse un syndicaliste de la RATP, avant de résumer la situation de manière triviale : « Personne n’est satisfait de faire un service de merde. »

Comment en est-on arrivé là ? Entre les opérateurs, qui gèrent les réseaux, les autorités organisatrices des mobilités, qui commandent l’offre aux opérateurs, et le gouvernement, qui décide des grandes orientations budgétaires pour les collectivités chargées des transports, on se refile la patate chaude. Chaque entité accusant les autres de porter la responsabilité de cette pagaille dénoncée par les usagers.

Pour comprendre les raisons de ces difficultés, il faut remonter un peu dans le temps, lorsqu’un virus a obligé la France à se confiner. « Le Covid-19 a été une énorme claque pour les transports en commun », résume Arnaud Bertrand, président de l’association d’usagers Plus de trains. La lourde machine du transport collectif a été stoppée net, avant de devoir redémarrer de manière chaotique, entre reconfinements, couvre-feu et télétravail.

Dans cette situation, Ile-de-France Mobilités, présidée par Valérie Pécresse, a décidé de réduire l’offre commandée aux opérateurs afin d’éviter la banqueroute. Concrètement, au lieu de demander à la RATP de faire rouler un métro de la ligne 1 toutes les 90 secondes aux heures de pointe, la commande pour 2022 a été d’une rame toutes les 105 secondes en station. Et ainsi de suite. 

Cette offre, « allégée » pour certains et « dégradée » pour d’autres, a peu à peu évolué pour suivre le retour des usagers sur les quais. En octobre 2022, entre 80% et 85% des voyageurs étaient revenus dans les transports collectifs franciliens, selon une étude de l’institut Paris région. Mais ce retour ne s’est pas fait de manière uniforme, avec un creux le vendredi. « Etant mal réparti sur la semaine, le télétravail n’a pas apporté tous les bénéfices escomptés sur les conditions de transport des Franciliens », rapporte l’étude.

Avec cette nouvelle donne, lle-de-France Mobilités assure avoir commandé à la RATP, en 2022, une offre de métro à hauteur de 98% par rapport à la normale, avant Covid-19. Un chiffre qui cache de grandes disparités selon les lignes et qui est surestimé, selon les calculs de Libération. La RATP, de son côté, se refuse à tout commentaire.

Cette offre « allégée » a rapidement concentré les critiques d’usagers et d’élus d’opposition. Sous pression, la présidente d’Ile-de-France Mobilités a finalement annoncé, dans un entretien au Parisien, le 6 novembre, « demande[r] à la RATP le retour à 100% de l’offre le plus rapidement possible »

« Il y a eu un problème d’anticipation de Valérie Pécresse », cingle son opposant David Belliard, adjoint à la mairie de Paris et vice-président d’Ile-de-France Mobilités. « Cela fait plus d’un an que l’on demande la remise à 100% de l’offre ! » Mais cette opération ne pourra pas être réalisée en un claquement de doigts.

« Quand on est à la tête d’Ile-de-France Mobilités, on est un peu comme le capitaine d’un gros bateau. Alors, quand on dit qu’il faut changer de cap, cela nécessite un peu de temps pour que le bateau tourne. C’est un secteur très lourd, très industriel. »

Arnaud Bertrand, président de l’association d’usagers Plus de trains

à franceinfo

Depuis plusieurs mois, la RATP rencontre déjà de grandes difficultés à respecter la commande – pourtant réduite – de la région. Sur les bus, la régie publique a reconnu n’effectuer que 75% de la commande à Paris et en petite couronne, en septembre 2022. Les difficultés se sont propagées dans le métro, avec un taux de performance de 93,3% le même mois. 

La RATP traverse une crise d’une ampleur inédite : en septembre, il lui manquait 800 chauffeurs de bus pour assurer un service optimal. Au niveau national, la pénurie de conducteurs atteint même 3 000 à 4 000 postes, selon l’Union des transports publics, perturbant les transports scolaires et d’autres réseaux de grandes villes, comme Lyon et Bordeaux.

Du côté de la RATP, on se réfugie ainsi derrière l’absentéisme et la pénurie de chauffeurs pour expliquer les difficultés du moment. « Cette situation, exceptionnelle, n’est pas propre à l’entreprise et concerne, à des degrés divers, l’ensemble des opérateurs de transport en Ile-de-France et en province », assure la régie à franceinfo. Sauf qu’« il y a eu également un manque d’anticipation », assure Marc Pélissier, président de la Fnaut Ile-de-France.

« Quand le cap est à la réduction de l’offre, l’opérateur freine et n’embauche plus. Ensuite, inverser la vapeur, c’est très compliqué. »

Arnaud Bertrand, président de l’association d’usagers Plus de trains

à franceinfo

Tous les rouages de l’établissement public semblent s’être grippés. Le schéma peut être résumé ainsi : avec le Covid-19 et les baisses de commandes, la RATP a moins embauché, moins formé et n’a pas remplacé les départs. A la reprise, elle se retrouve avec un manque de bras difficile à combler et qui se propage à toute l’entreprise, les chauffeurs de bus d’aujourd’hui étant amenés à devenir les conducteurs de métro de demain et de RER d’après-demain, à la suite de formations et d’évolutions internes. Cette pénurie est encore aggravée par les retards de l’automatisation de la ligne 4, qui devait libérer de nombreux conducteurs, rappelle BFMTV.

Les syndicats de la RATP pointent un autre facteur de crise : la mise en concurrence. En 2025, la régie publique perdra son monopole dans la zone centrale de l’agglomération parisienne. Or, pour s’adapter à la bataille face à d’autres opérateurs, la RATP a déjà modifié les conditions de travail de ses conducteurs de bus. « L’ouverture à la concurrence a complètement cassé les conditions de travail », dénonce Jean-Christophe Delprat, ex-conducteur de métro et secrétaire fédéral FO transport et logistique. « Quand je suis entré en 1994, je frisais deux fois le smic. Aujourd’hui, on en est loin. »

« On fait fuir les employés qui ont de l’expérience et on n’attire plus les jeunes. »

Jean-Christophe Delprat, secrétaire fédéral FO transport et logistique

à franceinfo

Certains avantages ont ainsi été revus et le temps de travail a augmenté, provoquant des grèves dans plusieurs dépôts de bus d’Ile-de-France. « Pour nous, il s’agit de dumping social. Les conditions de travail sont harmonisées vers le bas », complète Vincent Gautheron, secrétaire CGT-RATP. 

Dans ce contexte social bouillonnant et face aux difficultés de plus en plus visibles, la RATP et Ile-de-France Mobilités ont multiplié les annonces ces dernières semaines. A la clé : une prime de 300 euros si un salarié recommande un candidat embauché comme chauffeur à la RATP, une autre de 450 euros pour lutter contre l’absentéisme et encore une supplémentaire de 2 000 euros pour les demandeurs d’emploi souhaitant devenir machinistes. Ajoutez à cela de nouvelles formations proposées par la région et une grande campagne d’affichage pour recruter massivement.

Cette mobilisation commence à porter ses fruits. Début novembre, la RATP assure ne chercher plus que 400 machinistes, mais prévient qu’il faudra encore de longs mois avant de retrouver un service équivalent à l’ère pré-Covid.

Des inquiétudes subsistent aussi concernant la situation financière d’Ile-de-France Mobilités, qui a dû emprunter des centaines de millions d’euros à l’Etat durant la pandémie. Le syndicat des transports bataille aujourd’hui pour trouver quasiment un milliard d’euros afin de boucler son budget 2023. Et l’Etat se garde bien d’embarquer à nouveau dans cette galère, malgré les appels du pied de Valérie Pécresse afin d’obtenir des marges financières supplémentaires. Les « leviers qui seront activés par Ile-de-France Mobilités pour son budget 2023, je ne les connais pas et ce n’est pas à l’Etat d’en décider », a sobrement commenté le ministre des Transports, Clément Beaune, le 4 octobre.

Reste un levier à activer : le prix payé par l’usager. La menace d’une hausse du tarif du pass Navigo est de nouveau brandie pour 2023. Jusqu’à atteindre les 100 euros par mois ? La piste a été écartée par Valérie Pécresse, mais une augmentation des prix pourrait être annoncée dans les semaines à venir. « Les usagers subissent une détérioration du service et on va leur demander de payer plus chaque mois ? s’insurge Arnaud Bertrand, de l’association Plus de trains. Ce serait une catastrophe ! Beaucoup vont se détourner des transports en commun alors que c’est la solution à privilégier. »


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