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Paris Photo : coup de projecteur sur neuf artistes, dans la ruche du Grand Palais Éphémère

Par un rapide calcul, ce serait plus de 5000 clichés qui sont présentés sur les cimaises du Grand Palais Éphémère. A Paris Photo, il y a les grands maîtres, William Klein récemment disparu, Martin Parr l’Anglais au regard à la fois narquois et tendre, ou les clichés noir et blanc de l’Europe de l’Est par Josef Koudelka, mais aussi la plus novatrice et contemporaine création photographique.

Des clichés à moins de 1000 euros jusqu’au des chefs d’oeuvre à plusieurs milliers d’euros. Coup de projecteur sur neuf artistes, tous genres confondus. 

Salgado surprend encore et toujours

Chez Polka, la star de la photographie réussit encore à surprendre. Le photographe brésilien nous a habitués à ses tirages fortement contrastés, accentuant parfois la violence de l’image. Pour Paris Photo, la galerie présente un paysage de Zambie, un tirage Platine-Palladium à la douceur surprenante. Adélie de Ipanema, directrice de Polka nous commente cette image : « Avec ce choix de tirage, Salgado donne une nouvelle lecture de ces photographies. Ici, ces gris délicats qui sont mis en avant avec beaucoup d’eau, de brouillard, de nuage, on a l’impression d’un paradis perdu ». 

Prix : 105 000 euros pour la N°4 de Kafue National Park, Zambia

 "Kafue National Park, Zambia, 2010" issue de la série Genesis.  (@Sebastião Salgado)

 "Kafue National Park, Zambia, 2010" issue de la série Genesis.  (@Sebastião Salgado)

A la recherche de Marguerite Duras 

Chez Clémentine de la Ferronnière, trois images au grain d’un autre temps attirent le regard. Ce sont les photographies de FLORE. Trois clichés élégants, mystérieux, qui dégagent de la mélancolie. Ce travail a été choisi par Rossy de Palma pour son parcours qui comporte 25 images à découvrir dans Paris Photo. 

FLORE, photographe franco-espagnole, parcourt depuis quelques années les territoires de Marguerite Duras. Qu’ils soient géographiques ou romanesques. Elle part sur les traces de l’écrivaine et réalise ces images d’une Indochine mythifiée. 

Elle décrypte ces photographies au tirage poétique : « C’est une tentative de voyage dans le temps, c’est l’idée de répondre à la prétendue vie de Duras, ce serait les souvenirs imaginaires de Marguerite Duras ». 

Le singe d'Emilie Pascal, 2022 Courtesy Galerie Clémentine de la Féronnière (@FLORE)

Le singe d'Emilie Pascal, 2022 Courtesy Galerie Clémentine de la Féronnière (@FLORE)

La photo comme au 19e siècle  

110 Galerie est née en juin 2022. Quatre mois plus tard, la jeune galerie est choisie par Holly Roussel dans le parcours Curiosa qui donne une visibilité à de jeunes artistes et à de jeunes créateurs. Pour son arrivée dans le temple de Paris Photo, la galerie a sélectionné un solo de Sara Imloul.

Sara Imloul est née à la fin du 20e siécle mais son procédé photographique date de 1841. C’est un procédé inventé par William Talbot : la calotypie. A l’époque du numérique régnant sur les images et sur les réseaux sociaux, cette artiste a choisi la lenteur, l’Arte Povera de la photographie. « Si je suis restée bloquée sur ce procédé qui est pénible et lourd, et qui a un temps de pose très long, c’est qu’il me rappelle aussi la pose des modèles de la peinture. À la base, c’est la mise en scène qui m’intéresse et c’est ainsi que je crée ce journal intime fictionnel ».

Le résultat : des images proches du surréalisme, des rêves ou des cauchemars, des souvenirs nébuleux avec un grain qui évoque le dessin au crayon. 

Selon le format : de 1300 à 6000 euros                                              

 

 

Redécouvrir des photographes disparus  

Paris Photo est aussi l’occasion de ressusciter des artistes perdus de vue, oubliés. C’est le cas de Roger Catherineau chez Les Douches La Galerie. Cette galerie présente Hervé Guibert, Sabine Weiss ou Frank Horvat, et sur les mêmes murs que ces artistes reconnus, deux photogrammes de Catherineau.

Le photogramme est une technique de l’image par contact et sans appareil, un procédé qui permet de composer des œuvres avec la seule lumière et l’empreinte de l’objet.

L’artiste décédé précocement en 1962 est dans les collections des musées mais il est rare de voir son travail en galerie. C’est une manière de replonger dans cet univers et pour Eric Remy, directeur de la galerie, « une manière de témoigner de cette virtuosité technique et de la grande liberté d’expérimentation de l’artiste trop tôt disparu ».

Prix : de 5000 à 7000 Euros 

Photogramme d'époque, réalisé par l'artiste Courtesy  Les Douches  (© Roger Catherineau)

Photogramme d'époque, réalisé par l'artiste Courtesy  Les Douches  (© Roger Catherineau)

Le peintre Morandi sous l’oeil du photographe 

Paris Photo abrite des galeries venus de 29 pays du monde. La Braverman Gallery de Tel Aviv a embarqué dans ses bagages un photographe israélien, David Adika.

Peinture et photographie, depuis deux siécles, se tournent autour, se croisent. La preuve avec David Adika. Il s’est installé en 2016 à Bologne, dans l’atelier du peintre Morandi. Giorgio Morandi, après-guerre, après le chaos, a peint et repeint des natures mortes dans son atelier. Le photographe a repris les objets du quotidien de l’artiste italien pour recréer cette contemplation, ce soin apporté à la lumière, ces couleurs délicates avec, à chaque fois, un petit quelque chose de différent.

Le visiteur s’immobilise devant ces photos comme devant un paysage d’intérieur, serein, équilibré, apaisant. Comme Morandi en cette période agitée et douloureuse, les images apportent de la tranquillité à l’intranquillité.

 

 

L’art brut cubain découpe les images

A la galerie Christian Berst Art Brut, c’est l’art brut, cette fois, qui s’immisce dans le domaine de la photographie. Le Cubain Jorge Alberto Cadi est connu dans les rues de La Havane comme « El Buzo ». Cet artiste cubain atteint, comme son frère, de schizophrénie, porte le surnom de « plongeur » parce qu’il est constamment à la recherche de matériel pour ses œuvres parmi les objets délaissés de la ville. A Paris sont présentées des images de magazines raccommodées, rapiécées, des cartes postales découpées comme des photo-montage surréalistes. 

« Nous sommes un peu cousus par le temps », confie-t-il dans un joli mot poétique et inquiétant. Et les images prennent un tour satanique, grotesque, drôle et si l’artiste n’y songe pas, le visiteur pense obligatoirement à la société décousue de Cuba. 

sans titre, 2015. Encre collage et couture sur photographie (@ Jorge Albero Cadi)

sans titre, 2015. Encre collage et couture sur photographie (@ Jorge Albero Cadi)

Le regard humaniste de Bernard Descamps sur l’Afrique

Durant 30 ans, Bernard Descamps a sillonné l’Afrique. La galerie Camera Obscura présente trois formats carrés qui démontrent le sens du cadre, l’élégance des lignes et l’humanisme du regard de ce photographe.

Loin du spectaculaire, en 2000, dans le livre qui lui est consacré aux éditions Filigranes, Bernard Descamps parlait ainsi de son travail : « A l’aube de la photographie, l’émerveillement devant les peuples de la planète a été offert aux photographes voyageurs. C’était un cadeau extraordinaire. Aujourd’hui, tout paraît à portée de regard, on a l’impression de tout connaître, mais c’est un leurre. Il reste tant à apprendre. La photographie est un échange. »

Ce berger peul, photographié en 1997 au Mali, sonne si juste à l’aune de ces propos.

Prix : 1500 à 4000 Euros 

  "Fleuve Niger, berger peul, Niger, 1997" (@Bernard Descamps)

  "Fleuve Niger, berger peul, Niger, 1997" (@Bernard Descamps)

La photographie de mode débridée de Mous Lamrabat

Une autre vision de l’Afrique nous est proposée par Mous Lamrabat, venu dans les bagages de la galerie Loft Art Gallery de Casablanca. 

Mous Lamrabat est un jeune photographe marocain vivant en Belgique qui emmêle les codes, les bouscule, les superpose. Ils utilise à outrance ceux de la mode et du luxe, parfois pour s’en moquer. Ces mannequins perdant toute identité de genre, posent extatiques dans les paysages désertiques de son Maroc natal. « Il veut lancer des slogans de paix, des mots d’ordre de vivre ensemble »,  déclare Yasmine Berrada Sounni, sa galeriste. 

En octobre 2021, il confiait au magazine GQ au sujet de ces mannequins dont on devine plus que l’on ne découvre le corps, contrairement aux défilés de haute couture :  « J’ai toujours été obsédé par la façon dont les personnes s’habillent (…). À travers la façon dont une personne s’habille vous pouvez en quelque sorte la mettre dans une boîte. Mais lorsqu’une personne est couverte ou porte un uniforme, tout cela disparaît soudainement. J’aime que vous deviez deviner les gens. » 

Prix : 6400 euros

 

 

Un album de famille exposé aux yeux de tous 

Pour Julien Magre, prix Niépce Gens d’images 2022, au contraire des photographes voyageurs, tout se passe en famille. « C’est un travail très intimiste, un très long travelling sur mon entourage. Depuis que j’ai rencontré il y a 23 ans, en 1999, celle qui est devenue ma femme, je photographie ma famille », nous dit-il en parcourant sa série accrochée sur les cimaises de la galerie Le Réverbère de Lyon, l’une des plus anciennes dédiées à la photographie. 

Avec ses séries composées d’images intimes et personnelles, de Sally Mann à Leah Edelman-Brier, en passant par Jacques-Henri Lartigue, le sentiment de voyeurisme s’efface peu à peu pour faire de cette famille une famille universelle.  Sa série s’intitule En vie, mêlant la vie quotidienne, simple et délicate à des paysages. Julien Magre, tout en étant membre de cette famille, en est l’observateur discret. Un étrange et réussi pari de vie.  

Photo : Julien Magre, Louise, série "Là" (@Julien Magre, prix Niépce Gens d’images 2022)

Photo : Julien Magre, Louise, série "Là" (@Julien Magre, prix Niépce Gens d’images 2022)

Paris-Photo jusqu’au dimanche 13 novembre au Grand Palais Éphémère – 13 Place Joffre, 75007 Paris – Metro : Ecole Militaire


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