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Et si Macron (re)découvrait la France ?

Une idée pas tout à fait saugrenue nous court depuis quelque temps dans la tête : faire mieux connaître la France et les Français à M. Emmanuel Macron et à son équipe. Une visite « à l’ancienne », comme quand nos vieux monarques prenaient la route, lambinaient des semaines durant pour connaître leur royaume et rencontrer leurs sujets. Donc, cette fois, affréter un autocar où le président sera confortablement installé avec quelques-uns de ses conseillers et ministres, avec priorité à ceux qui pensent que ce pays n’a en tête que leurs lubies progressistes. Sans escorte, nous ferions vivre à la joyeuse bande le bonheur de se déplacer sans se soucier trop de son empreinte carbone.

Depuis trois siècles, tous les visiteurs de notre pays se sont extasiés devant la qualité de nos routes. L’autocar avance sans cahots. L’horizon se renouvelle à chaque virage, au milieu des champs et forêts travaillés depuis des siècles. La nature habitée et peignée par les hommes a pris les couleurs de l’automne. Bourgs et villages se succèdent, serrés autour d’un clocher (ce que Mitterrand avait bien compris), amoureusement entretenus par des Français périphériques qui aiment leur « coin » et leur vie, quelles que soient leurs difficultés. Parce que c’est un peu ça, la France : quelques millénaires de travail.

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C’est la même chose pour les Hommes. Génération après génération, ils ont formé un groupe policé, respectueux des lois et des voisins. Ce ne sont pas les derniers des Mohicans, mais des Françaises et des Français comme il en reste tant aujourd’hui, une fois passé le périphérique ou la Francilienne. Ça n’est pas une start-up, mais un vieux pays qui n’est pas né d’hier.

Nos voyageurs connaissent la carte postale et pourraient disserter des heures sur ce que la plupart d’entre eux ne connaissent pas vraiment. Montrons-leur ce qui l’anime. Destination : un bistrot, sur une place encadrée de platanes et un monument aux morts rappelant qu’en un siècle, quatre générations d’habitants de ce bourg-là ont donné leur vie pour la patrie. Le tout propret, à cent lieues des désordres parisiens et de nos villes. Ici, un rat n’est pas un surmulot, un élève doit apprendre à l’école et l’enrichissement vient du labeur. On lit encore un peu – jamais en écriture inclusive – et on croit qu’il y a bien une culture française, même si on ne connaît pas par cœur tous ses classiques.

Reproches amers

Dans la salle et au zinc, des clients sirotent leur apéritif et mêlent leurs conversations. Surprise : pas un mot sur le genre, le wokisme ou l’intersectionnalité. Rien non plus sur la fin de vie, la PMA ou la nomination tant vantée par le Quai d’Orsay d’un ambassadeur spécial pour les LGBT. Juste des étonnements : pourquoi la France importe-t-elle des produits alimentaires ? Pourquoi EDF n’assure-t-elle plus de l’électricité pour tous ? Pourquoi les Allemands ne sont-ils plus nos amis et l’Allemande van der Leyen prétend-elle se mêler de nos affaires ? Pourquoi ceux qui ont si longtemps cotisé ont moins que ceux qui viennent d’arriver illégalement ? Comment le « meilleur système de santé du monde » a-t-il pu se laisser à ce point surprendre par le Covid ? Pourquoi l’école préfère-t-elle cracher sur notre passé plutôt que de nous en rendre fiers ? Et, surtout, quand cessera-t-on de nous expliquer que nous n’y comprenons jamais rien et que la lumière vient de ces jeunes gens sans expérience ?

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Sport national, on parle politique avec M. Macron et ses amis que l’on a fini par reconnaître. C’est le moment ou jamais. Bien sûr, comme toujours, on s’enflamme à coups de « y-a-qu’à ». Eux répondent pour la plupart en trois parties : M. Attal y ajoutant des phrases complexes ; Mme Borne, le sérieux triste qui est sa marque ; M. Le Maire opine « en masse et en glissement » pendant que M. Dupond-Moretti roule des yeux avec un air méchant et que M. Ndiaye se demande s’il n’y aurait pas dans la salle un racialiste qui pourrait venir à son secours. D’un geste, le président a tout de même intimé à Mme Pannier-Runacher de ne pas recommencer son histoire de batteries de voitures qui renvoient leur trop-plein d’électricité sur le secteur.

Le président et son équipe reçoivent leur dose de reproches amers et aucun de leurs arguments n’accroche. Ils parlent de terre d’accueil et de bras ouverts, on leur répond « vivre tranquille chez nous ». Ils tentent les « valeurs de la République » et « l’avenir européen », on leur répond « prix de l’électricité et du gaz, respect des lois et absurdité de la concurrence entre services publics imposée par Bruxelles ». Ils devisent sur les recrutements de gendarmes et de policiers, on leur rappelle Lola, Samuel Paty et quelques autres, on leur demande des comptes sur les OQTF ou les étrangers en situation irrégulière qui commettent des infractions (comme M. Darmanin a été dispensé de terroir car il le connaît déjà bien, c’est M. Dupond-Moretti qui s’y est collé).

Ils disent « égalité », on leur parle « impôts et profits ». Ils tentent de se dégager en dissertant sur le réchauffement climatique, on leur envoie chaudière à changer et pays perdu sans transports en commun. Ils disent « ZAD », on corrige en « ZOI », zones occupées illégalement. On se parle, mais on ne s’entend pas. Le ton monte lorsque Mme Borne, lasse et approuvée par son garde des Sceaux, invoque que ces bistrotiers se laissent trop influencer par l’extrême-droitisation et font le jeu du Rassemblement national en passant par la zemmourisation islamophobe, raciste et intolérante.

Ronchon

M. Macron ne dit rien et reste pensif. On dit qu’il est un peu déprimé depuis qu’il n’est plus premier de la classe, en fait depuis les élections législatives. Il est un peu comme Louis XVI lors de son voyage en Normandie, la seule fois où il visita le royaume : intimidé et interdit devant ce qu’on lui reproche et qu’il trouve injuste, prêt à tout promettre pourvu qu’on le laisse partir. Décidément, ces « gens de peu » ne comprennent rien et ne savent pas prendre de la hauteur, les enquêtes quali-quanti et les sondages ne le montrent que trop. Il faudra bien faire leur bonheur avec ou sans eux, les emmener dans le nouveau monde à coups de pied quelque part. Pour finir, on remonte dans l’autocar et on rentre au Château.

Un peuple ronchon et goguenard par principe en est arrivé à la fureur (pour le moment rentrée) contre tout et tout le monde. Ça n’est pas qu’on (celle-zé-ceux) ne parle pas la même langue, c’est qu’on ne parle pas du même pays et des mêmes gens.

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