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L’article à lire pour comprendre la crise que traverse la pédiatrie, au-delà de l’épidémie de bronchiolite

L’épidémie qui révèle la crise. La forte circulation de la bronchiolite, cette infection respiratoire virale qui touche principalement les enfants de moins de 2 ans, sature les services d’urgences pédiatriques depuis la fin du mois d’octobre. Au point qu’une trentaine d’enfants ont été transférés de l’Ile-de-France vers des hôpitaux situés à plus de 100 kilomètres de chez eux.

Cette flambée épidémique est surtout révélatrice d’une crise plus profonde. Conditions de travail dégradées, manque de personnel, spécialité dévalorisée… A l’aide de plusieurs acteurs concernés, franceinfo décortique cette crise qui secoue la pédiatrie.

Pourquoi parle-t-on de la crise de la pédiatrie aujourd’hui ?

L’épidémie de bronchiolite de cet automne, particulièrement précoce et virulente, est à l’origine de la prise de conscience. Durant la semaine du 31 octobre, Santé publique France a pointé des « nombres de passages aux urgences et d’hospitalisations pour bronchiolite très élevés et à des niveaux supérieurs à ceux observés aux pics épidémiques depuis plus de 10 ans ». Une situation exceptionnelle qui a forcé le ministre de la Santé, François Braun, à déclencher le plan d’urgence nationale à l’hôpital.

« C’est la bronchiolite qui a fait basculer les choses, mais c’était largement prévisible », estime Mélodie Aubart, neuropédiatre à l’Hôpital Necker-Enfants malades à Paris. Elle est également membre du Collectif Pédiatrie, à l’origine du courrier au président de la République, dans lequel plus de 4 000 soignants ont dénoncé, vendredi 21 octobre, « une dégradation criante des soins apportés aux enfants » qui les met « quotidiennement en danger ».

Cette crise peut-elle se résoudre à court terme ?

La crise va durer plus longtemps que l’épidémie de bronchiolite. Elle survient à un moment particulièrement tendu pour la pédiatrie, qui peine à attirer les praticiens. A titre d’exemple, à l’hôpital Lenval de Nice, faute de recrutements, impossible d’ouvrir les « lits d’hiver » prévus chaque année pour affronter l’épidémie de bronchiolite. « En hospitalisant 15 à 20 enfants par jour, il nous manque quatre à cinq lits pour fonctionner normalement », regrette Philippe Babe, chef du service des urgences pédiatriques de Lenval. « On est montés jusqu’à huit heures d’attente aux urgences, c’est inédit », s’inquiète le spécialiste.

La situation est identique dans tout l’Hexagone. Faute de personnel, 21 postes d’infirmiers sont vacants dans le service de réanimation pédiatrique de l’hôpital de Garches (Hauts-de-Seine), soit 50% des effectifs, relevait Le Monde en septembre.

A quel point la France manque-t-elle de pédiatres ?

L’hôpital n’est pas le seul à affronter une pénurie de spécialistes. La pédiatrie libérale connaît aussi « un recul démographique important« , pointait l’inspection générale des affaires sociales(PDF) dans un rapport de 2020. « Actuellement, huit départements connaissent une densité inférieure à un pédiatre pour 100 000 habitants », note encore l’Igas. Une étude de l’UFC-Que Choisir, publiée mardi 8 novembre, relève qu’un quart des enfants de moins de 10 ans vivent sans pédiatre à moins de 45 minutes de route.

La situation risque de s’aggraver à cause de nombreux départs à la retraite, qui ne sont pas remplacés, faute de jeunes praticiens disponibles. En tout, 44% des pédiatres libéraux avaient plus de 60 ans en 2020, selon l’Igas. Une conséquence directe du numerus clausus, qui a limité le nombre d’étudiants en études de médecine jusqu’en 2020. « Cela fait 20 ans que l’on réclame la formation de 600 pédiatres en internat par an, alors qu’à cette époque, seulement 250 pédiatres étaient formés », rappelle Brigitte Virey, présidente du syndicat national des pédiatres français (SNPF).

Pourquoi les soignants boudent-ils de cette spécialité ?

La pédiatrie n’attire pas les futurs médecins. Cela s’explique en partie par « une charge de permanence et de continuité des soins [les gardes effectuées la nuit, les weekends et les jours fériés] particulièrement importante, notamment aux urgences pédiatriques », selon l’Igas. S’ajoute à cela, un effet de génération : les praticiens plus jeunes refusent de sacrifier leur vie de famille. « On ne peut pas leur reprocher, concède Philippe Babe. En revanche, cela veut dire que pour remplacer un départ à la retraite, il faut 1,5, voire deux jeunes ».

Outre les conditions de travail, cette désaffection à l’égard de la pédiatrie s’explique par le manque de reconnaissance de la spécialité. Un manque de reconnaissance symbolique et financier. « Pendant des années, le mot d’ordre a été : ‘petits patients, petits moyens’, avec l’idée que n’importe qui pouvait faire de la pédiatrie », regrette la neuropédiatre Mélodie Aubart.

Pour un hôpital, un passage aux urgences est moins rentable quand il s’agit d’un enfant de moins de 15 ans que d’un adulte, depuis la réforme du financement des urgences, en vigueur depuis le 1er janvier 2022. Cette situation est vécue comme une injustice par les pédiatres et contribue, selon eux, à dévaloriser la spécialité.

Leurs confrères libéraux ne sont pas mieux lotis, puisqu’ils se situent en bas de l’échelle des revenus des médecins libéraux, avec un revenu inférieur à celui des médecins généralistes, relève encore l’Igas.

Dans ce secteur, la pénurie de soignants se limite-t-elle aux pédiatres ?

Non, elle concerne tous les professionnels de santé. Côté infirmiers, par exemple, les conditions de travail se sont dégradées au fil des années, selon Mélodie Aubart, du Collectif Pédiatrie. Les avancées technologiques et les réductions d’effectifs ont conduit à ce que seuls les enfants les plus gravement malades soient pris en charge à l’hôpital. Conséquence : les infirmiers doivent gérer des cas plus complexes techniquement et psychologiquement. « Les soignants sont davantage touchés quand il s’agit des enfants, explique Thierry Amouroux, du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI). Les problèmes sont décuplés par rapport aux adultes, car on n’accepte pas de voir que les enfants soient victimes d’une maltraitance institutionnelle pour des raisons économiques. »

Les infirmières puéricultrices et les auxiliaires de puériculture souffrent aussi du manque de reconnaissance de leur spécialité. Le diplôme d’infirmière puéricultrice n’a pas évolué depuis 1983. Surtout, cette spécialité n’est pas obligatoire pour exercer dans les services de pédiatrie à l’hôpital, « contrairement aux infirmiers anesthésistes, dont certains actes ne peuvent pas être pratiqués par d’autres infirmiers », argue Vincent Lautard, infirmier et juriste. Egalement en cause, la formation initiale des infirmiers « généralistes ». Depuis 2009, le cursus ne comprend plus de stage ni de formation obligatoire en pédiatrie. « Avec cette suppression, moins de personnes choisissent la pédiatrie », constate Thierry Amouroux.

Que réclament les soignants pour sortir de cette crise ?

Les professionnels de l’enfance demandent plus de moyens et une meilleure reconnaissance. « Il faut reconnaître l’expertise des pédiatres, fait valoir Brigitte Virey. On nous demande toujours de nous justifier, que ce soit au niveau des médecins généralistes ou des autres spécialistes, ce qui rend la spécialité très peu attractive. »

Pour l’hôpital, les responsables des services de réanimation pédiatrique réclament, dans une tribune publiée par le journal Sud-Ouest, le respect des ratios de personnel paramédical par rapport au nombre de lits ouverts, et une amélioration des conditions de travail. Dans son rapport, l’Igas préconise également de mieux former les médecins généralistes à la pédiatrie.

Comment le gouvernement répond-il à cette alerte ?

Le ministre de la Santé, François Braun, a annoncé le 2 novembre une enveloppe « de l’ordre de 400 millions d’euros«  d’aides aux services en tension, « dont les services de pédiatrie ». La semaine suivante, il a précisé qu’« un peu plus de 250 millions d’euros » seraient dédiés au « doublement des heures de nuit pour tous les personnels hospitaliers (sauf pour les médecins, où c’est multiplié par 1,5) », ainsi que la prime de soins critiques pour les infirmières puéricultrices et les aides-puéricultrices, « qui en étaient exclues jusqu’à présent pour des raisons techniques ». Mais ces mesures sont loin d’êtres suffisantes, selon le Collectif Pédiatrie.

Le ministre entend également réformer en profondeur le système de santé et la place accordée à la pédiatrie. Pour cela, il a annoncé la tenue des assises de la pédiatrie au printemps 2023.

J’ai la flemme de tout lire, pouvez-vous me faire un résumé ?

L’épidémie de bronchiolite revient tous les ans, mais cette année, les tensions liées au manque de personnel rendent la situation critique dans les services d’urgences pédiatriques. A tel point que de nombreux hôpitaux sont contraints de transférer des petits atients à des kilomètres de chez eux, faute de lits.

La situation n’est pas seulement tendue à l’hôpital, elle l’est également dans le secteur libéral. Un quart des enfants de moins de 10 ans vivent sans pédiatre à moins de 45 minutes de chez eux. La faute, essentiellement, à un départ massif des praticiens à la retraite, qui ne sont pas remplacés.

Selon Brigitte Virey, présidente du SNPF, cette pénurie de jeunes praticiens est due au numerus clausus, qui a limité pendant des années le nombre d’étudiants pouvant choisir la pédiatrie comme spécialité. Mais pas seulement. Les professionnels de la petite enfance dénoncent un manque de reconnaissance de leur spécialité. Idem dans les rangs infirmiers, où la spécialité dédiée aux enfants est peu reconnue.


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