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Biodiversité: le Québec face à ses responsabilités avant la COP15

À deux semaines de la COP15 sur la biodiversité qui se tiendra à Montréal, du 7 au 19 décembre, le Québec n’est toujours pas exemplaire en matière de protection des espèces, dénoncent des associations. La province canadienne peine à protéger des aires stratégiques face aux pressions économiques et des espèces emblématiques du pays sont menacées.

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De notre correspondant à Montréal, 

Dans l’imaginaire collectif, le Canada est un pays plutôt vert. Certes, ses exportations de pétroles et de gaz et son empreinte carbone par habitant, parmi les plus élevées du globe, en font un mauvais élève dans la lutte contre le réchauffement climatique. Mais on le pense souvent à l’avant-garde de la protection des espèces, et encore plus au Québec, province qui a su, depuis des dizaines d’années, promouvoir ses paysages grandioses et ses espèces emblématiques.

En octobre 2022, la WWF alerte pourtant que la biodiversité a chuté de 20% ces quarante dernières années sur le continent nord-américain. Le Québec n’est pas épargné : caribous et bélougas, pour les espèces emblématiques, mais aussi tortues des bois, baleines noires de l’Atlantique ou encore noyers cendrés sont en danger, accompagnant dans leur déclin des centaines d’autres espèces de la province.

Une situation dont les Québécois, comme le reste du monde, n’ont pas toujours conscience, remarque Catherine Hallmich, responsable des projets scientifiques à la Fondation environnementale David Suzuki : « On a parfois l’impression qu’un arbre coupé, il suffit de le replanter. Mais dans des écosystèmes plus complexes, restaurer un milieu, ça prend des années. »

Des espèces emblématiques

Le caribou, animal symbolique du Québec, est menacé par la déforestation et l’étalement urbain. Deux des trois espèces présentes au Québec sont au bord de l’extinction. Il ne reste plus que sept caribous forestiers à Val-d’Or, dans l’ouest du Québec, et 36 caribous montagnards en Gaspésie, à l’est.

Son déclin entraîne celui de nombreuses autres espèces. Mais cette interdépendance peut devenir un avantage, explique Marie-Audrey Nadeau-Fortin, chargée de projet pour Nature Québec : « Le caribou, c’est une espèce parapluie. Il a des besoins tellement précis qu’en protégeant ces besoins-là, vous en protégez d’autres qui sont moins spécifiques et qui vont profiter à d’autres espèces, que ce soient des plantes ou d’autres animaux, comme les martres par exemple. »

Nature Québec a donc lancé des campagnes pour définir des sanctuaires larges pour les caribous de ces trois régions.  « Ça fait des années qu’on sait ce qu’il faut faire pour les protéger et ça fait des années que des petits pas sont faits, mais il n’y a jamais rien eu de significatif pour arrêter le déclin de ces populations au Québec », dénonce Emmanuelle Vallières-Léveillé, coordonnatrice Biodiversité et Forêt au sein de Nature Québec.

Le caribou est loin d’être un cas isolé. Même le célèbre béluga peine à sortir la tête de l’eau. Il ne resterait plus que 900 individus, contre 10 000 au début du siècle dernier, victimes de la chasse, autorisée jusqu’en 1973, puis de l’augmentation des activités humaines le long du fleuve Saint-Laurent. Derrière ces êtres vivants emblématiques, ce sont également des milliers d’autres espèces, plus discrètes, qui déclinent.

Une COP15 attendue de pied ferme

Plus de 65 associations canadiennes, dont la Fondation David Suzuki et Nature Québec, ont lancé fin octobre le Collectif COP15, pour dénoncer les manquements en matière de protection des espèces et faire pression sur les gouvernements fédéral et provincial, en vue de la COP15 Biodiversité qui se tiendra à Montréal début décembre. Une initiative qu’a félicitée le ministre de l’Environnement québécois, Benoit Charrette : « Nous souhaitons réaffirmer notre disponibilité et notre intérêt à maintenir des échanges en continu avec les différents acteurs de la société civile, notamment, les membres de ce nouveau collectif ».

Les autorités fédérales et les provinciales ont tendance à multiplier leurs efforts dans les territoires peu peuplés du nord du Canada et du Québec, pour délaisser les territoires du sud, où les enjeux économiques rendent de tels choix politiques plus dangereux. « La COP15 va sans doute pousser les gouvernements fédéral et provincial à viser les 30% d’ères conservées en 2030, comme tous les pays, mais il faut que ces 30% soient répartis équitablement entre le Nord et le Sud, parce que ce sont des écosystèmes différents, qui doivent tous être protégés », insiste Emmanuelle Vallières-Léveillé. Actuellement, un peu moins de 14% du territoire canadien est conservé. Le gouvernement québécois affirme, dans une réponse écrite, que réduire ce déséquilibre est la priorité de son nouveau mandat, débuté fin octobre.

Des propositions concrètes

Les associations demandent aussi l’arrêt de l’étalement urbain, explique Catherine Hallmich, de la fondation David Suzuki : « L’étalement urbain est neuf fois supérieur à ce qu’il était il y a 50 ans. C’est une des causes premières de la destruction des milieux naturels, avec la perte et la fragmentation de l’habitat. » 70% des financements des municipalités dépendent des taxes foncières, ce qui les encourage à s’étendre. Il faudrait donc changer la fiscalité, pour inciter les municipalités à réduire l’empreinte au sol de leurs communes.

Autre demande, la protection des milieux humides, qui regorgent de biodiversité. « On a mis une loi en place en 2017 avec un objectif de zéros pertes nettes. Mais depuis que la loi est en place, on a quand même perdu 12 km² de milieux humide », regrette Catherine Hallmich. En effet, une disposition de cette loi autorise la destruction des milieux en échange d’une compensation financière. « Le problème, c’est que reconstruire des milieux humides, ça ne se fait pas facilement et l’argent récolté dort dans les caisses de l’État. Il vaut mieux protéger celles qui existent déjà qu’en reconstruire ! », résume Marie-Audrey Nadeau-Fortin.

Toutes ces propositions prendront du temps à faire leur chemin chez les politiques. Le gouvernement du Québec déclare avoir conscience qu’il doit aller plus loin. Dans une réponse écrite, il affirme à plusieurs reprises qu’il « reste des défis à relever », notamment en matière de protection des milieux humides, de travail avec les communautés autochtones et de pratiques agricoles durables, et que la biodiversité et le réchauffement climatique feront partie « des priorités pour la prochaine décennie ».

Déjà, pour le caribou du Québec, le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, s’est engagé à agir d’ici à la COP15, et déclare que le « party est fini » en matière de destruction des habitats d’espèces menacées. Un signal faible, mais qui prouve que le sommet influence déjà les réflexions des gouvernements.


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