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VRAI OU FAKE. La Ville de Paris peut-elle vraiment être mise sous tutelle en raison de sa mauvaise gestion financière ?

Paris doit-elle être mis sous tutelle ? Pour le ministre délégué chargé des Transports, le scénario n’est pas « exclu ». « Il y a une situation financière grave et qui n’est pas, comme le dit Anne Hidalgo [la maire de Paris], liée au Covid-19. Les chiffres sont éloquents : la dette depuis le début du mandat de madame Hidalgo en 2014 a doublé », a affirmé Clément Beaune au micro d’Europe 1, dimanche 27 novembre.

Une menace déjà brandie par Rachida Dati il y a un an. La cheffe de file de l’opposition LR à Paris jugeait, en décembre 2021, une mise sous tutelle « techniquement » possible face à une dette qui s’élevait à plus de « 7 milliards d’euros ».

Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la mairie de Paris, a balayé cette éventualité : « Rien ne justifie sur le plan juridique d’évoquer la ‘mise sous tutelle’ de la Ville de Paris », écrit l’adjoint d’Anne Hidalgo sur Twitter, en dénonçant une « surenchère nauséabonde ». Qui a raison ? La situation financière de la capitale justifie-t-elle réellement une mise sous tutelle ?

Lorsqu’elle est décidée pour une municipalité, la mise sous tutelle revient à transférer au préfet « le contrôle de ses décisions administratives et économiques », explique Lisa Thomas-Darbois, chargée d’études sur les finances publiques à l’Institut Montaigne. Cette procédure s’appuie sur « l’article 72 de la Constitution au nom duquel [dans les collectivités territoriales] le représentant de l’Etat, en l’occurrence le préfet, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ».

Le préfet peut effectuer une saisine auprès de la chambre régionale des comptes (CRC), qui va examiner la situation financière de la collectivité en question et émettre des recommandations pour son redressement, si une commune déroge « à la règle d’or des finances publiques locales qui assujettit les collectivités au principe d’équilibre réel de leurs comptes », explique Aurélien Baudu, professeur de droit public à l’université de Lille.

Concrètement, une saisine peut être sollicitée si une municipalité adopte un budget en déséquilibre ou si celui-ci n’a pas été adopté à temps, si des dépenses obligatoires comme le remboursement des annuités d’emprunt n’ont été pas été inscrites ou si son compte administratif, c’est-à-dire son bilan financier en fin d’exercice, est fortement déficitaire.

Sur la base des avis de la CRC, « le préfet formule ensuite ses propres mesures [de redressement des comptes] qui peuvent prendre la forme d’une augmentation des impôts ou d’une suppression de dépenses non obligatoires », précise Xavier Cabannes, professeur de droit public à l’université Paris Cité et président d’honneur de la Société française de finances publiques (SFFP).

« Dans le cas spécifique d’un vote d’un budget déséquilibré, les dépenses de fonctionnement de la commune seront limitées aux crédits votés lors du budget de l’exercice précédent », ajoute Michel Klopfer, consultant spécialisé en finances locales. Surtout, l’assemblée d’une collectivité mise sous tutelle préfectorale « n’a plus la possibilité d’adopter de nouvelles délibérations sur le budget » et perd en conséquence son pouvoir de faire voter de nouvelles dépenses, souligne Michel Klopfer. 

Mais la Ville de Paris pourrait-elle subir un tel sort ? « Je ne crois pas du tout que ce soit d’actualité. Les mises sous tutelle de commune, c’est rarissime » a tempéré sur BFMTV Gabriel Attal, ministre délégué chargé des Comptes publics, bien que dénonçant une « gestion financière calamiteuse » de la municipalité.

Le nombre de communes ayant été soumises à une tutelle préfectorale se compte effectivement « sur les doigts de la main », confirme Xavier Cabannes. Parmi les cas récents, on compte les communes d’Argenteuil (Val-d’Oise) et Marvejols (Lozère) en 2015, Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne) en 2003, Pont-Saint-Esprit (Gard) en 2008 et Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) en 2009.

Pour le moment, juridiquement, la situation financière actuelle de Paris ne peut justifier une tutelle préfectorale. Selon l’article L1612-14 du Code général des collectivités territoriales, une commune comme Paris ne peut faire l’objet d’une saisine que si elle présente « un déficit égal ou supérieur à 5% des recettes de la section de fonctionnement ».

Si on se base sur les recettes courantes de fonctionnement (en PDF) de la capitale, qui étaient de 8,6 milliards d’euros en 2021, le seuil de déficit susceptible de déclencher une saisine s’élèverait donc à 430,7 millions d’euros. Or, loin d’être en déficit, le budget de fonctionnement de la municipalité dégage un excédent chaque année depuis 2015 (sauf en 2020, exercice marqué par la pandémie de Covid-19), comme le note le dernier rapport de la CRC d’Ile de France (en PDF, page 19).

Si l’état actuel des finances de la Ville de Paris ne peut justifier juridiquement la mise en place d’une mise sous tutelle, les comptes de la capitale n’en affichent pas moins une situation de plus en plus dégradée. Dans son rapport, la CRC estime que « l’insuffisance de son niveau d’épargne, la perte de marges de manœuvre financières et l’impact durable de la crise sanitaire de 2020 devraient conduire [la municipalité] à réexaminer le niveau de ses charges de gestion et la soutenabilité de sa politique d’investissement ».

La progression prévue de l’endettement est particulièrement soulignée. Son niveau passerait de 6,62 milliards d’euros à la fin 2020 à 7,9 milliards d’euros ou 8,9 milliards d’euros en 2026, selon les scénarios. « La mairie de Paris s’est très déjà fortement endettée. Et dans le futur, elle va devoir emprunter à des taux de plus en plus élevés qui risquent d’entraîner une augmentation de la charge d’intérêts. Cela peut potentiellement entraîner un effet boule de neige », avertit Lisa Thomas-Darbois.

D’autant que le niveau des futures recettes semble incertain. « Les scénarios de la CRC prévoient un retour à un niveau d’épargne au niveau d’avant-crise en 2025, mais ils reposent sur des hypothèses de revenus qualifiées par la CRC elle-même d’optimistes », note la spécialiste des finances publiques. « Si l’évocation de la mise sous tutelle est, pour le moment, plus politique qu’autre chose », elle est, selon elle, « révélatrice » de la dégradation de la situation budgétaire de la Ville de Paris.


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