Fusion nucléaire : cinq questions sur « l’avancée scientifique majeure » qui suscite beaucoup d’espoir autour de cette énergie du futur
Elle est considérée comme une future alternative aux centrales actuelles, capable de produire une énergie abondante et décarbonée. Mais rendre cette solution viable à l’échelle industrielle prendra « des décennies », selon une responsable scientifique.
L’énergie des étoiles bientôt maîtrisée par l’homme ? Des scientifiques américains et le gouvernement des Etats-Unis ont annoncé, mardi 13 décembre, avoir réussi une percée majeure dans le domaine de la fusion nucléaire. Cette prouesse se retrouvera « dans les livres d’histoire », a estimé la ministre de l’Energie américaine, Jennifer Granholm, lors d’une conférence de presse. Les Américains assurent, pour la première fois, avoir produit en laboratoire davantage d’énergie que celle utilisée pour provoquer la réaction. Pour y voir plus clair, franceinfo revient sur cette annonce en cinq questions.
1 C’est quoi, la fusion nucléaire ?
Dans les centrales nucléaires actuelles, la technique utilisée est celle de la fission. Elle consiste à casser les liaisons de noyaux atomiques lourds pour produire de l’énergie. La fusion nucléaire est le processus inverse. Il s’agit de faire fusionner deux atomes légers (de l’hydrogène) pour en créer un lourd (hélium), une action qui produit dix fois plus d’énergie que l’autre technique.
Ce procédé se retrouve dans les étoiles, comme notre Soleil. La fusion y est possible grâce à la température gigantesque (15 millions de degrés) et à la pression extrême. Le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) l’a détaillé dans cette vidéo (à partir de 3m40) datant de 2019.
2 Qu’ont annoncé les scientifiques et le gouvernement américains ?
Le cœur de l’annonce porte sur une expérience menée par des scientifiques du Laboratoire national Lawrence Livermore (LNLL), basé en Californie et qui dépend du ministère américain de l’Energie. C’est là que se trouve le National Ignition Facility (NIF), le plus grand système de lasers du monde, qui fait la taille d’un stade de sport.
Les chercheurs ont pointé, le 5 décembre, 192 lasers vers une cible de la taille d’un dé à coudre. Ils y avaient placé une capsule minuscule en diamant contenant des isotopes de l’hydrogène. Les lasers ont produit une température avoisinant 150 millions de degrés, provoquant la fusion des atomes d’hydrogène. Le laboratoire l’a illustré avec une image mardi.
Avec cette fusion, les scientifiques disent avoir produit environ 3,15 mégajoules d’énergie, alors qu’ils en avaient délivré à l’origine 2,05 mégajoules. C’est là que réside la prouesse technique et historique. « C’est une avancée scientifique majeure », a résumé Greg de Temmerman, spécialiste de la fusion nucléaire.
« C’est la première fois dans l’histoire de la fusion, une recherche qui dure depuis soixante-dix ans, qu’on génère plus d’énergie que l’on en a en entrée. »
Greg de Temmerman, spécialiste de la fusion nucléaireà TV5 Monde
Un bémol est à soulever : 300 mégajoules d’énergie tirée du réseau électrique ont été nécessaires pour activer les lasers. Un apport qui rend l’opération globalement déficitaire. Toutefois, les scientifiques assurent que ce problème sera résolu à l’avenir. « Nos calculs suggèrent qu’il est possible, avec un système de lasers à grande échelle, d’atteindre un rendement de plusieurs centaines de mégajoules », a expliqué Kim Budil, la directrice du Laboratoire national Lawrence Livermore, citée par l’AFP.
3 Pourquoi est-ce important ?
La fusion nucléaire est considérée comme l’énergie du futur, offrant de nombreux avantages potentiels. Elle ne produit pas de dioxyde de carbone (CO2), principal gaz à effet de serre, elle génère moins de déchets radioactifs que les centrales actuelles, et ne présente pas de risque d’accidents nucléaires. « Si jamais il manque quelques lasers qui ne se déclenchent pas au bon moment, ou si jamais le confinement du plasma par le champ magnétique (…) n’est pas parfait » la réaction s’arrêtera, assure à l’AFP Erik Lefebvre, chef de projet au CEA.
Grâce à l’énergie libérée, la fusion nucléaire pourrait régler une bonne partie des problèmes énergétiques à l’échelle planétaire. Des spécialistes espèrent qu’elle permettra de tirer un trait sur les énergies fossiles, dont l’extraction et l’utilisation génèrent des émissions de gaz à effet de serre, moteurs du réchauffement climatique. En effet, la science a établi qu’il était indispensable d’abandonner rapidement l’exploitation du charbon, du pétrole et du gaz, pour limiter la hausse des températures à +1,5 °C.
4 Quand pourrons-nous en bénéficier ?
Il va falloir patienter avant que cette première réussite en laboratoire ait des retombées dans notre quotidien. Le chemin est « encore très long » avant « une démonstration à une échelle industrielle, et qui soit commercialement viable », confirme Erik Lefebvre. Pour lui, de tels projets aboutiront d’ici à vingt ou trente ans. Kim Budil, directrice du LNLL, a, elle aussi, évoqué « des décennies », mais parie sur moins de 50 ans.
Le gouffre qui reste à franchir concerne notamment la quantité d’énergie produite, qui devra être largement supérieure à celle générée le 5 décembre. Lors de l’expérience, le gain d’énergie a été de 50% par rapport à ce qui a été investi. Pour un réacteur, il faudrait un gain d’énergie multiplié par 30 voire 50.
De plus, la manipulation historique du LNLL, qui a pris plusieurs jours de préparation, devra être réalisée plusieurs fois par seconde pour parvenir à une échelle industrielle. Greg de Temmerman pointe également un problème de production de combustible (surtout pour le tritium, qui n’existe pas à l’état naturel) et de matériaux capables de résister aux conditions extrêmes requises pour réaliser une fusion nucléaire.
« Nous faisons face à des barrières technologiques qui sont encore loin d’être levées. »
Greg de Temmerman, spécialiste de la fusion nucléaireà franceinfo
Après l’annonce venue des Etats-Unis, « ce que l’on peut anticiper, c’est une accélération des financements » qui va aider la recherche et le développement, estime le chercheur. « Plein de choses ont été démontrées à petite échelle, il y a eu plein de progrès récemment, observe-t-il. On arrive au moment où toutes les briques technologiques commencent à venir ensemble. Nous n’avons jamais connu ce moment-là jusqu’à maintenant. »
5 La France, forte de son expertise nucléaire, travaille-t-elle sur ce sujet ?
Oui, à plus d’un titre. Deux méthodes sont explorées pour reproduire la fusion nucléaire sur Terre. Le confinement inertie, avec les lasers, à l’image de l’expérience américaine. La France dispose, depuis 2014, du Laser Mégajoule (LMJ), situé à Le Barp, au sud-ouest de Bordeaux (Gironde), sur le site du Centre d’études scientifiques et techniques d’Aquitaine. Un bâtiment de 300 mètres de long et 50 mètres de haut l’abrite. Pour voir le jour, ce projet à trois milliards d’euros a réuni, pendant vingt ans, des centaines d’industriels et des milliers de personnes, rappelait en 2015 Pierre Vivini, chef de projet au CEA. Toutefois, le LMJ étant principalement à visée militaire, contrairement au NIF, Greg de Temmerman ne le range pas la même catégorie.
Le confinement magnétique constitue la seconde méthode pour reproduire la fusion nucléaire sur Terre. Elle se trouve au cœur du projet international ITER, actuellement en construction à Cadarache (Bouches-du-Rhône). Comme avec les lasers, des atomes légers d’hydrogène sont chauffés à 150 millions de degrés. Cependant, ils se trouvent, là, dans un immense réacteur appelé « Tokamak ». La matière s’y trouve alors à l’état de plasma, c’est-à-dire un gaz à très basse densité, un état différent de ceux du quotidien (solide, liquide ou gazeux).
Dans le Tokamak, la matière sous forme de plasma est contrôlée à l’aide d’un champ magnétique, qui est obtenu grâce à des aimants. France 3 Provence-Alpes-Côte d’Azur a présenté, en 2022, le gigantesque chantier en cours.
Le projet implique 35 pays (l’Union européenne, les Etats-Unis, le Japon, la Chine, la Corée du Sud, l’Inde et la Russie), un site de 42 hectares, quelque 2 300 ouvriers sur le chantier depuis 2010. La facture dépasse les 20 milliards d’euros, soit quatre fois plus que l’enveloppe prévue à l’origine.
Le projet est prioritaire au point que, malgré la guerre en Ukraine et les sanctions, Moscou a envoyé vers la France l’un des six aimants géants prévus. L’énorme bobine, qui fait 9 mètres de diamètres et pèse 200 tonnes, doit former la partie haute de la structure du Tokamak. Au total, six bobines sont prévues. Quatre autres capsules sont réalisées en Europe, une autre a été construite en Chine, sous responsabilité européenne. La France se trouve en pointe sur la fusion nucléaire en étant le pays hôte de ce projet pharaonique qui devrait se concrétiser en 2027.
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