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« On ne sait jamais si le moment est bien choisi » : quand faut-il dire à un enfant que le père Noël n’existe pas ?

Apprendre à son enfant que le père Noël n’existe pas est un moment redouté par de nombreux parents, qui ne savent pas toujours quand et comment s’y prendre.

L’annonce a été brutale. Aussi imprévue qu’incomprise. Franck, six ans à l’époque, était « assis à l’arrière de la voiture de [son] père » quand celui-ci, alors en instance de divorce avec sa mère, lui a vendu définitivement la mèche. Non, le père Noël n’existe pas. « Tout ça, ce sont des conneries », lâche-t-il dans un moment de grande tension, au détour d’une simple allusion aux cadeaux, sur le trajet du domicile maternel. La fin d’un monde pour l’enfant qu’était Franck, encore marqué par le regard de son père « dans le rétroviseur ». Aujourd’hui quadra et père d’un fils de six ans et d’une fille de quatre ans, Franck s’est promis de ne pas répéter la même erreur avec ses enfants.

Comme chaque année, à l’approche des fêtes de fin d’année, de nombreux parents doivent se confronter aux interrogations naissantes des plus petits sur l’existence de l’homme à la barbe blanche. « Comment peut-il apporter des cadeaux à tout le monde en même temps ? » interrogeait, il y a quelques semaines, la fille de Lucie*. « Les rennes ne peuvent pas voler », soupçonnait de son côté la fille d’un autre père de famille qui a répondu à l’appel à témoignages de franceinfo. Souvent pris au dépourvu, ils sont nombreux à botter en touche, par manque d’anticipation.

« On ne sait jamais comment s’y prendre ni si le moment est bien choisi », confie Laëtitia. Ne vaut-il pas mieux faire perdurer la magie encore un peu ? La mère de famille savoyarde admet ne pas savoir comment aborder le sujet. Son fils, âgé de huit ans, est encore en pleine magie : « Il y croit dur comme fer. » Elle a bien essayé d’amener la conversation, il y a quelques mois, lorsque son garçon lui a avoué ne pas croire en la petite souris. En vain. « Bien sûr que le père Noël existe ! », lui répond-il alors, offusqué. La réponse est si ferme que Laëtitia se résout à l’évidence : il va encore falloir attendre un peu.

« Quand je vois la joie dans les yeux de mon fils à l’ouverture des cadeaux, je me dis que je ne peux pas briser son rêve. »

Laëtitia, mère d’un garçon de huit ans

à franceinfo

Pour de nombreux parents, il est difficile d’envisager de « briser le mythe » pour leurs enfants. Surtout quand il s’accompagne de rituels bien ancrés. Chez Yan, père d’une fille de sept ans dans le Rhône, la préparation de Noël est rodée. Verre de lait servi pour l’invité près de la cheminée, liste envoyée par La Poste, ouverture des cadeaux au pied du sapin le 25 décembre… « Nous suivons même le trajet du père Noël sur un site internet dédié », précise-t-il. Avec tout ce protocole, Yan admet avoir peur de la réaction de sa fille quand elle verra ce monde s’effondrer. « Elle a déjà pleuré l’année dernière, lorsqu’elle a compris que nous cachions les chocolats de Pâques nous-mêmes. »

Une majorité de parents interrogés admet se questionner sur une éventuelle limite à ne pas franchir. « Y a-t-il un âge pour croire au père Noël ? Et si mon enfant continue d’y croire passé l’âge de dix ans, va-t-on se moquer de lui ? » Une pression superflue pour la psychothérapeute Aline Nativel Id Hammou. Selon elle, la plupart du temps, les enfants découvrent le pot aux roses eux-mêmes, influencés par leurs camarades.

Vient toujours un moment où l’homme au traîneau devient suspect aux yeux de ceux qu’il est censé couvrir de cadeaux. En moyenne, les enfants arrêtent de croire à l’existence du père Noël à l’âge de huit ans, selon une enquête britannique datant de 2018 (en anglais). D’après plusieurs pédopsychiatres interrogés par franceinfo, cela coïncide avec un moment charnière dans le développement de l’enfant : l’âge de raison. Une période durant laquelle les 6-10 ans commencent à s’interroger sur ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. « C’est le début de l’esprit critique », résume la pédopsychiatre Dominique Tourres. 

« A cet âge-là, le développement des capacités neurologiques de l’enfant fait qu’il va poser plus de questions, pointer davantage les incohérences dans ce que lui racontent les autres. »

Aline Nativel Id Hammou, psychothérapeute

à franceinfo

Des suspicions souvent favorisées par l’environnement scolaire. Dans la cour de récré, il arrive généralement qu’un camarade, au courant de la supercherie, commence à semer le doute dans les esprits. Avec les moqueries qui vont parfois avec. « On retrouve le fameux : ‘Toi, t’es un bébé ! Tu crois encore au père Noël », rappelle Aline Nativel Id Hammou. Influencés par ces premiers indices, les enfants se tournent alors vers leurs parents pour obtenir confirmation. A la fin, « ce sont eux », figures d’autorité, « qui ont le dernier mot », affirme Catherine Verdier, pédopsychiatre.

>> « Mentir, c’est moche » : des parents racontent pourquoi ils ne font pas croire au père Noël à leurs enfants

S’ils ne tranchent pas lorsqu’ils sont questionnés, beaucoup de parents noient le poisson par manque d’anticipation. « Pour l’instant, nous essayons de ménager la chèvre et le chou, admet Yan. On la laisse cheminer. » Lucie*, mère d’une fille de six ans et demi dans le Loiret, allait dans le sens de la féerie jusqu’à l’année dernière. Avec un intérêt. « Tu demanderas ça au père Noël ! » lançait-elle à sa fille lorsqu’elle réclamait des cadeaux. Pour Lucie, le père Noël devrait, dès le début, être présenté comme un personnage de conte classique et non comme une vraie personne. Un sentiment partagé par plusieurs parents interrogés, qui admettent avoir hésité à jouer le jeu. A chaque fois, c’est la pression de la société qui a eu raison d’eux. Résultat : « Nous nous retrouvons pris dans une spirale de mensonges », regrette Sylvia.

Derrière le mythe, une forme de culpabilité ronge certains parents. « Nous apprenons à nos enfants à ne pas mentir, et devons finalement leur avouer que c’est précisément ce qu’on fait depuis qu’ils sont petits », s’inquiète Laëtitia. A l’instar de nombreux parents, elle affirme ainsi redouter la réaction de son fils. « Et s’il nous en veut de lui avoir menti ? » s’interroge-t-elle. En réalité, estime Aline Nativel Id Hammou, cette déception inévitable n’est pas amenée à durer et ne sera pas « traumatique ».

« Contrairement aux ados, les enfants de 6-7 ans sont beaucoup plus dans l’instant présent. Ils peuvent difficilement être dans une rancune tenace ou dans une forme de haine contre leurs parents. »

Aline Nativel Id Hammou, psychothérapeute

à franceinfo

Pour éviter d’être brutal, les trois expertes interrogées préconisent néanmoins de privilégier la conversation. « Quand un enfant vous questionne, il est possible de lui retourner la question pour qu’il puisse lui-même aboutir à une conclusion », détaille Catherine Verdier. Dans tous les cas, « on ne peut pas aller contre sa rationalisation », ajoute de son côté Aline Nativel Id Hammou. Elle déconseille les réponses floues qui peuvent être génératrices d’angoisses. « Si un enfant est anxieux, il faut répondre à ses questions », avertit la psychothérapeute. Ainsi, « lui donner raison, au fur et à mesure que ses doutes grandissent », peut être une bonne solution, explique Dominique Tourres. L’enjeu est surtout, selon elle, de ne pas détruire l’esprit et la magie de Noël en même temps que le personnage qui l’incarne. Un « joli mensonge », en somme.


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