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Etats-Unis : comment une poignée d’élus républicains paralyse l’élection du président de la Chambre des représentants

Depuis deux jours, la majorité républicaine n’arrive pas à élire de chef à la chambre basse du Congrès américain. La faute à des élus conservateurs qui refusent de soutenir le candidat désigné.

Ce ne devait être qu’une formalité. La Chambre des représentants américaine a dû se résoudre, mercredi 4 janvier, après deux jours de votes infructueux, à repousser une nouvelle fois ses débats au lendemain. La chambre basse du Congrès est paralysée par les dissensions dans les rangs républicains, qui rendent pour l’instant impossible la désignation d’un nouveau président, amené à remplacer au perchoir de cette assemblée la démocrate Nancy Pelosi.

Le républicain Kevin McCarthy était pourtant présenté comme le grand favori, mais son élection est pour l’instant rendue impossible par la fronde d’une vingtaine d’élus proches de Donald Trump, qui refusent de voter pour le candidat désigné par le parti.

Franceinfo vous explique cette nouvelle affaire qui secoue la classe politique aux Etats-Unis – un « spectacle jamais vu depuis 100 ans », selon le New York Times (en anglais) – et souligne plus que jamais les divisions au sein du camp de l’ancien président américain.

Un candidat qui a soufflé le chaud et le froid autour de Donald Trump ces dernières années

Depuis mardi, six votes ont été organisés pour élire un nouveau président à la Chambre des représentants. À chaque fois, Kevin McCarthy, membre de l’état-major républicain depuis plus de dix ans, a échoué pour obtenir les 218 voix nécessaires, faute du soutien de l’ensemble des représentants de son camp, en particulier de son aile droite.

À 57 ans, l’élu de Californie, qui dirige depuis 2014 le groupe républicain à la chambre basse du Congrès, avait pourtant été désigné en novembre par ses pairs comme candidat au poste de speaker of the House. Républicain à la ligne classique, axée sur la défense du marché et la réussite individuelle, Kevin McCarthy a pleinement endossé ces dernières années le glissement de sa formation politique sur l’immigration, la criminalité ou contre les droits des personnes transgenres. 

Mais, face aux allégations de fraude électorale martelées sans preuve après la présidentielle 2020 par Donald Trump, puis l’assaut du Capitole, il a opéré un pas de deux plus ambigu. Partisan du milliardaire républicain lors des primaires de 2015, Kevin McCarthy avait initialement soutenu sa croisade contre le résultat de l’élection. Puis, secoué par l’attaque contre le siège du Congrès le 6 janvier 2021, il avait rapidement déclaré que Donald Trump « portait une responsabilité » dans ces violences.

Mais une semaine plus tard, il se faisait pourtant photographier tout sourire à ses côtés dans les salons dorés de Mar-a-Lago, la résidence floridienne de l’ex-président américain, en louant les vertus d’un « mouvement conservateur uni ». Une ambiguïté qui lui est aujourd’hui reprochée par plusieurs élus trumpistes. « Si vous voulez assécher le marigot [l’un des termes utilisés par les populistes pour désigner le milieu politique de Washington], vous ne pouvez pas placer le plus grand alligator à la conduite de cet exercice », a notamment déclaré mardi le représentant Matt Gaetz, l’un de ses opposants.

Ce n’est pas la première fois que Kevin McCarthy est candidat à ce poste. En 2015, il avait déjà dû se retirer alors qu’il partait favori. Lors d’un entretien télévisé, il s’était vanté du fait qu’une commission d’enquête sur l’attentat contre l’ambassade américaine en Libye ait sapé les chances de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton dans la campagne présidentielle. Ses propos avaient été perçus comme l’aveu d’une instrumentalisation politique du drame, qui avait coûté la vie à quatre Américains, dont l’ambassadeur Christopher Stevens.

Des frondeurs qui n’écoutent plus Donald Trump

Au terme d’élections de mi-mandat décevantes pour les républicains, le parti dispose d’une fine majorité à la Chambre (222 élus contre 213 pour les démocrates). Cette situation politique donne un pouvoir démesuré à une vingtaine d’élus de la faction Freedom Caucus, membres de la frange la plus conservatrice du parti républicain. Ces « never Kevin » entendent bien profiter de la situation pour jouer les trouble-fête.

« Le temps est de notre côté », a lancé le représentant de Virginie Bob Good au New York Times (en anglais). « Cela vaut le coup de prendre quelques jours ou quelques semaines pour élire le meilleur speaker possible. Le pays ne peut pas se permettre de continuer comme avant ». Sur Twitter, il va même jusqu’à accuser Kevin McCarthy d’avoir « travaillé avec les démocrates pour faire passer leurs priorités législatives et leurs dépenses » pendant les huit ans où il a été le chef des représentants républicains.

Et ces irréductibles n’écoutent plus celui qui fut leur chef de file incontesté. Mercredi, l’ancien président Donald Trump a clairement tenté de siffler la fin de la partie en appelant les élus républicains à soutenir la candidature de Kevin McCarthy. « Il est désormais temps pour nos grands élus républicains à la Chambre de voter pour Kevin », a écrit l’ancien président sur son réseau social, Truth, marquant un rare soutien public au candidat désigné par son camp.

Il a même téléphoné à certains élus récalcitrants pour les convaincre de changer leur vote. Mais, l’une d’elles, Lauren Boebert (Colorado), a tout de même déclaré à la tribune que Donald Trump devait plutôt exiger le retrait de Kevin McCarthy.

Joe Biden se frotte les mains

La minorité démocrate à la Chambre des représentants regarde les républicains se déchirer avec gourmandise. S’il paraît hautement improbable, contrairement à ce que dénonce Kevin McCarthy, que l’actuel imbroglio aboutisse à l’élection d’un président démocrate, cette division est une aubaine politique pour Joe Biden. Le président américain, qui pourrait confirmer prochainement son intention de se représenter en 2024, aime endosser le costume du centriste amateur de compromis. 

Mercredi, lors d’un déplacement dans le Kentucky au côté du chef de file républicain au Sénat, il a commenté la pagaille en cours. « Je pense que c’est un peu embarrassant que cela prenne si longtemps, et aussi la manière dont ils se comportent les uns avec les autres », a-t-il dit. « Le reste du monde » observe ce qu’il se passe au Congrès américain et cela ne donne « pas une bonne image » du pays, a également déclaré le président américain à la presse, en espérant que les républicains « retrouvent leurs esprits ». En 1856, les élus du Congrès ne s’étaient accordés qu’au bout de deux mois et… 133 tours.


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