A la Une

Chine : « zéro Covid », pression de la rue, flambée des contaminations… Le tout-puissant Xi Jinping fragilisé par trois ans de pandémie

L’abandon soudain de la politique « zéro Covid » par le gouvernement chinois en décembre effraye les citoyens du pays, alors que les contaminations grimpent et que les services de santé sont surchargés. De quoi faire tanguer le pouvoir communiste ? Pas si sûr.

De président tout-puissant à leader fragilisé. Le président chinois Xi Jinping, en poste depuis 2020, semblait au sommet de son pouvoir en octobre dernier, après avoir été réélu en grande pompe à la tête du parti communiste. Une étape qui l’assure d’être réélu président en mars 2023 pour un troisième mandat, solidifiant son emprise sur le régime. Mais les manifestations liées à sa politique « zéro Covid » et le chaos créé par renversement total de la politique de santé sont passés par là. L’explosion des contaminations depuis début décembre – 13 millions selon le gouvernement, un chiffre largement sous-estimé d’après  l’ONU* – pourrait fragiliser le pouvoir en place.

Rembobinons. Début 2020, critiquée pour avoir mal communiqué et géré l’apparition du Covid-19 à Wuhan, la Chine souhaite apparaître comme un modèle en termes de gestion de la pandémie. Très vite, elle définit sa doctrine, caractérisée par le triptyque « tester, tracer, isoler ». Grâce à des confinements ciblés, des campagnes de dépistages massives et un déploiement impressionnant de moyens, le pays réussit à réduire considérablement les contaminations et le nombre de morts liés au Covid-19. 

Le pouvoir ne cache pas son sentiment de supériorité, alors que l’Europe et les Etats-Unis enchaînent les vagues de contaminations. « Quand on regarde la situation au début de 2021, la Chine sort quand même plus ou moins gagnante de la lutte contre la pandémie avec un nombre de morts très bas », relate Jean-Louis Rocca, professeur à Sciences Po et spécialiste de la Chine. Après le cafouillage du début de la pandémie, « la politique ‘zéro Covid’ a permis de prouver au monde que la Chine avait mieux géré les choses que les autres pays », mais aussi « de montrer aux Chinois que le gouvernement était capable de les protéger », résume le chercheur.

La situation évolue au cours de l’année 2021. Les pays occidentaux abandonnent peu à peu les confinements, à mesure qu’ils vaccinent leurs populations. La Chine, elle, s’accroche à sa politique « zéro Covid ». Pékin ne bouge pas non plus lorsque, début 2022, des pays comme Taïwan, l’Australie ou la Corée du Sud, qui avaient adopté une stratégie similaire, décident de s’ouvrir au reste du monde. « A partir de ce moment-là, le gouvernement verse dans l’autosatisfaction et s’affranchit de la réalité », estime Steve Tsang, le directeur de l’institut chinois de la School of Oriental and African Studies à Londres.

Le choix des autorités chinoises s’explique en partie par l’échec relatif de sa campagne de vaccination. Pékin refuse notamment d’utiliser des vaccins étrangers alors que les vaccins chinois sont moins efficaces, selon une étude publiée par The Lancet* en avril dernier. La vaccination des seniors est aussi à la peine. En novembre 2022, seuls 68,2% des plus de 60 ans avaient reçu trois doses de vaccin, rapporte Reuters*. En découle un risque de congestion du système hospitalier, déjà saturé, en cas de vague de contamination. 

Résultat : les confinements de grandes villes s’enchainent en 2022, au prix d’une organisation souvent dysfonctionnelle. « La Chine est très forte dans les situations d’urgence, explique Jean-Louis Rocca. Mais le problème, c’est que la politique du ‘zéro covid’, était gérée sur le long terme par les autorités locales, qui n’avaient pas toujours les compétences et qui n’ont parfois pas fait les bons choix. » La politique anti-Covid a « fait dérailler l’économie », explique le HuffPost, avec une croissance ralentie et de plus en plus de personnes au chômage. Un problème pour Xi Jinping, qui a fait des bons résultats économiques un des arguments de sa mainmise sur le pouvoir.

Les trois années de confinements répétés finissent par agacer une partie des Chinois. Fin novembre, un peu plus d’un mois après la réélection triomphale de Xi Jinping à la tête du parti communiste, des manifestations éclatent dans plusieurs grandes villes chinoises, notamment Shanghai et Pékin. Ces rassemblements inquiètent le pouvoir. « On ne peut pas dire qu’elles sont sans précédent, puisque les grèves pour des revendications précises sont courantes en Chine », précise Jean-Louis Rocca. Mais « c’est la première fois depuis 1999 que les manifestants demandent au gouvernement de démissionner, et que les revendications portent sur la politique globale des autorités », complète Steve Tsang. 

Sous la pression de la rue, le gouvernement chinois finit par prendre, le 7 décembre, une décision considérée comme impossible quelques semaines plus tôt : l’abandon presque total de la politique « zéro Covid ». « Un retournement comme ça, c’est du jamais-vu », explique Stéphanie Balme, professeure, directrice de recherche au Centre de recherches internationales de Science Po et spécialiste de la Chine. « Cela montre la grande fébrilité des autorités. La réalité a été niée pendant très longtemps par le pouvoir, mais elle les a rattrapés et les digues ont sauté. »

Les conséquences de l’abandon des tests et isolements obligatoires ne se font pas attendre. Les hôpitaux et crématoriums se retrouvent très vite débordés par l’ampleur des infections et les médicaments viennent à manquer. Peu vaccinée, la population chinoise n’a pas développé d’immunité face au virus. Les autorités se retrouvent même incapable d’estimer l’ampleur réelle de la vague de contaminations, la Commission nationale de santé ayant arrêté de communiquer sur le sujet. Selon une estimation de l’entreprise spécialisée Airfinity* en date du 13 janvier, le nombre d’infections journalières serait de 3,7 millions. Un chiffre vertigineux.

La situation inquiète les citoyens chinois, d’autant que leurs dirigeants nient les problèmes.  « C’est simple, ils n’avaient rien prévu alors qu’ils avaient trois ans pour le faire », assène Steve Tsang. « Cette situation impacte fortement la relation de confiance de la société civile à l’égard du pouvoir, juge Stéphanie Balme. Beaucoup de gens se disent que les trois dernières années n’ont servi à rien. D’autres sont effrayés parce que le gouvernement leur a dit pendant trois ans que le Covid était extrêmement dangereux. » En une décision, c’est le contrat social entre le parti communiste et la population qui est remis en question : « Les Chinois acceptent que le parti gouverne en échange de protection et de prospérité, et là, ça n’est plus le cas », résume Jean-Louis Rocca.

La crise risque bien « d’affaiblir » la mainmise de Xi Jinping sur son parti, comme l’estime The Guardian*. Conscient du problème, le président a réagi en parant son discours de Nouvel An du 31 décembre d’un ton inhabituellement conciliant. Xi Jinping a ainsi jugé que « la prévention de l’épidémie rentrait dans une nouvelle vague », intimant les Chinois « de travailler plus dur, car la persistance et l’unité se traduisent par une victoire », rapporte Euronews*. « Son discours essayait de projeter la Chine dans l’avenir, en réaffirmant que le parti reste l’autorité suprême qui est à même d’assurer le bonheur du pays, analyse Stéphanie Balme. Il a lancé moins d’attaques contre l’Occident et s’est attelé à dire qu’il fallait respecter les opinions différentes des Chinois. »

Cette fébrilité du pouvoir est-elle suffisante pour remettre en cause la reconduction de Xi Jinping à la tête du pays, prévue pour mars ? « Le Covid a certes endommagé sa réputation, mais il reste en contrôle du parti et de l’armée, ça n’est pas suffisant pour le remettre en cause complètement », tranche Steve Tsang. Une opinion que ne partage pas Jean-Louis Rocca.

« Pour moi, Xi Jinping est surtout le symbole de l’unité du parti, si cette crise fragilise trop l’appareil de l’Etat, personne n’hésitera à le faire sauter. Il faut plutôt se poser la question du lien entre l’Etat et la population. » 

Jean-Louis Rocca, professeur à Sciences Po

à franceinfo

Difficile de savoir ce qu’il se passe au Comité central du parti communiste, petit groupe de personnes au sommet du pouvoir, tant les arcanes du gouvernement sont inaccessibles. Pour essayer de comprendre l’ampleur de l’impact de cette crise sur le parti communiste, « il faudra garder un œil sur les célébrations du Nouvel An chinois, le 22 janvier, ainsi que la rencontre des deux assemblées populaires prévues en février et le choix du prochain Premier ministre », suggère Stéphanie Balme.

La contestation des autorités par la population dépendra de la suite des évènements… et du nombre de morts. « S’il y a 1,7 million de morts d’ici à avril, comme le prédit Airfinity, alors cela pourrait avoir un impact sur le parti communiste », pense Jean-Louis Brocca. « Attention, le Covid seul ne fera pas tomber le gouvernement », rétorque Steve Tsang. « On parle quand même d’un parti qui a causé 40 millions de morts à la fin des années 1950 avec la grande famine cause par sa politique économique et qui est resté au pouvoir. »  

Le Covid n’est de toute façon pas le seul sujet qui occupe l’esprit des Chinois, mais « un élément parmi d’autres », selon Jean-Louis Brocca : « Les choses se jouent sur la question de l’emploi, de la prospérité et de la reproduction de la classe moyenne. » Si l’économie ne repart pas, les Chinois pourraient perdre la conviction que leur gouvernement fait mieux que les autres. Et cela « pourrait avoir des conséquences totalement imprévisibles », estime Stéphanie Balme.

* Les liens suivis d’un astérisque sont en anglais.


Continuer à lire sur le site France Info