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« L’Affaire d’Outreau » : « L’idée était de raconter la mécanique infernale de cette affaire », explique Agnès Pizzini, coréalisatrice du docu-fiction

France 2 diffuse, les mardis 17 et 24 janvier, un docu-fiction en quatre épisodes intitulé  » L’Affaire d’Outreau » qui revient sur un fait divers hors norme survenu au début des années 2000 dans le Pas-de-Calais. Cette affaire de viols d’enfants avait abouti à de longues incarcérations pour des innocents.

Quatre épisodes pour revenir sur l’une des plus grosses affaires judiciaires françaises. L’affaire d’Outreau débute en décembre 2000, lorsque les services sociaux de Boulogne-sur-Mer signalent des soupçons d’abus sexuels commis sur des enfants, dans une commune du Pas-de-Calais. Une information judiciaire est ouverte le 22 février 2001, à la suite de laquelle les parents, Thierry et Myriam Delay (née Badaoui), sont mis en examen et incarcérés. Mais les accusations des enfants et de Myriam Badaoui conduisent également à l’incarcération de 14 personnes innocentes. L’une d’elles, François Mourmand, meurt en prison en 2002, sept sont acquittées en 2004, les six autres lors d’un procès en appel en novembre 2005. Deux réalisateurs, Agnès Pizzini et Olivier Ayache-Vidal, se sont emparés de cette retentissante affaire au travers d’un docu-fiction dont les deux premiers épisodes sont diffusés sur France 2 mardi 17 janvier*. Agnès Pizzini en retrace la genèse.

Franceinfo : Pourquoi un docu-fiction plutôt qu’un documentaire classique ?

Agnès Pizzini : L’idée de départ était de raconter la mécanique infernale de cette affaire et ses profonds traumatismes sous la forme d’un documentaire conventionnel. J’ai travaillé pendant des mois avec deux juristes sur le dossier d’instruction, qui était énorme. Et finalement, en décortiquant ce dossier de 38 tomes, je me suis rendu compte que là où devait émerger la vérité, l’instruction créait de la fiction. Je me suis donc dit qu’il fallait vraiment mettre en scène cette affaire et ne pas montrer de simples évocations. Et surtout, cette fiction devait raconter la fabrique de la fiction. Un documentaire, même si on a une intention dès le départ, se construit au fur et à mesure de l’enquête et des rencontres avec les gens qui décident de partir avec nous dans cette histoire. C’est une réflexion en mouvement. Je suis allée voir différents réalisateurs et c’est ainsi que j’ai rencontré Olivier Ayache-Vidal. Nous avons réfléchi à un dispositif qui puisse mettre en images cette volonté de raconter la mécanique de la fiction, d’où l’idée de tourner dans un grand studio. Le challenge était de montrer ce fiasco avec les incohérences, les errements qu’il y a dans le dossier d’instruction. L’idée était de raconter une histoire sur quatre épisodes avec différentes matières : interviews, archives de l’époque, extraits de la commission parlementaire… 

Avez-vous contacté le juge Fabrice Burgaud, qui a instruit l’affaire à l’époque ?

J’ai sollicité les différents protagonistes de cette affaire, dont le juge Burgaud, avec qui j’ai eu de longues conversations, mais qui a finalement refusé de participer à cette série. Mais c’était important pour moi qu’il ait voix au chapitre. Il fallait qu’on ait sa parole, qu’on puisse lui poser des questions et que l’on ait des réponses. C’est pour cela que nous avons intégré des extraits de la commission parlementaire, devant laquelle il a été auditionné en février 2006. Il fallait montrer cette instruction dans la mesure où le juge n’était pas là pour la raconter en direct. On a beaucoup parlé de « fiasco » judiciaire et pour moi, c’est important de préciser que c’est vraiment un fiasco et pas une erreur judiciaire. D’ailleurs, personne n’a été réellement sanctionné dans cette affaire. Le Conseil de la magistrature a juste donné un blâme au juge Burgaud, qui a poursuivi sa carrière. 

Cela a-t-il été facile de convaincre six des victimes de cette affaire 

Cela n’a pas été facile. Vingt ans après une affaire, lorsqu’on arrive chez les personnes concernées en leur disant que l’on va reparler de cette histoire, évidemment elles ne vous ouvrent pas la porte directement. La grande chance que j’ai eue, c’est que le producteur de la série, Luc Martin-Gousset, avait produit, au moment de l’affaire, deux documentaires réalisés par un journaliste belge, Georges Huercano-Hidalgo. Ce dernier avait été, à l’époque, le seul journaliste à s’interroger sur la réalité de ce réseau pédophile. Il a été le premier à donner du crédit à la parole des protagonistes injustement accusés et, de fait, a gardé des liens étroits avec eux. Nous avons travaillé ensemble au début sur cette enquête et, grâce à lui, les portes se sont entrouvertes. Ensuite, cela a été de longs mois passés avec les uns et les autres afin qu’ils nous accordent leur confiance. Je voulais absolument que tous les interlocuteurs de cette série soient les protagonistes directs de cette histoire. Je ne voulais pas qu’il y ait des experts, des avocats, etc… C’était important. 

Les victimes de cette affaire semblent plutôt à l’aise à l’écran

Pour avoir souvent travaillé sur des faits divers qui soulèvent des problèmes de société, et pour lesquels je vais solliciter des gens ayant vécu des choses assez traumatisantes, je leur dis toujours : « Moi, je viens prendre quelque chose de vous, vous allez me raconter cette histoire, je sais que cela va être douloureux, mais surtout prenez des choses de moi. » Sur cette affaire, plus particulièrement, j’ai passé beaucoup de temps avec eux avant le tournage et surtout, j’ai toujours été très claire sur ma démarche. Ensuite, pour les interviews de chacune des victimes, nous avons passé une journée entière ensemble et forcément, au bout d’un moment, il se passe quelque chose, la qualité de la parole devient riche. C’est vrai que le fait de les avoir amenés sur le plateau de tournage et de les avoir fait entrer dans cette fiction, là où ils n’avaient pas prise à l’époque, leur a permis de se réapproprier cette histoire dont ils avaient été les acteurs impuissants et inaudibles.

Ce qui est étonnant également, c’est de voir comment chacun des acquittés a vécu cette épreuve différemment. Par exemple, le prêtre Dominique Wiel, aujourd’hui âgé de 86 ans, a toujours été dans le combat. Lorsqu’il était en prison, il n’a cessé de faire des demandes de remise en liberté. Il savait qu’il ne l’obtiendrait pas, mais cela lui permettait de solliciter son comité de soutien. Il s’est toujours battu et d’ailleurs, c’est celui qui a le mieux vécu le « post-Outreau ». Certes, il n’avait pas de famille, pas d’enfants, mais son positionnement de combattant lui a permis de traverser cette épreuve. Certains s’en sortent beaucoup plus difficilement. 

Avez-vous essayé de contacter Myriam Badaoui et Thierry Delay, deux des quatre condamnés ?

Au moment où nous avons commencé à travailler sur l’affaire, Thierry Delay a été incarcéré pour agression et harcèlement sexuel contre une femme handicapée qui était prise en charge dans le même centre de soins que lui – il est atteint d’une sclérose en plaques. Quant à Myriam Badaoui, elle a disparu des radars. Elle est sortie de prison en 2011 puis y est retournée un petit moment en 2019 pour vol avec violence et depuis, on ne sait pas où elle est. Même son fils Jonathan, qui témoigne dans le docu-fiction, n’a aucune nouvelle de sa mère depuis très longtemps.

Avez-vous compris pourquoi les enfants, à l’époque, ont accusé des personnes innocentes 

Il y a deux choses. D’une part les enfants Delay, qui ont vraiment été victimes d’abus de la part de leurs parents et d’un couple de voisins et, d’autre part, une vérité judiciaire qui a reconnu, lors du procès qui a eu lieu à Saint-Omer, en première instance, le fait qu’il y avait bien 12 enfants qui avaient été victimes de viols et d’agressions sexuelles. Et ce même si, des années plus tard, certains de ces enfants sont revenus sur leurs déclarations et ont avoué avoir raconté n’importe quoi pour faire comme leurs copains. J’y vois, pour ma part, une révolte des enfants. Car tous ces enfants vivaient dans un climat de violence physique et verbale évident. On le découvre lorsqu’on lit les procès-verbaux. Ils ont, en plus, été très jeunes confrontés à la pornographie, à une époque où les cassettes tournaient facilement. Ils étaient dans un univers très sexualisé et très violent. Et donc, à un moment donné, les enfants avec cette histoire ont pris le pouvoir et se sont vengés des adultes. 

* Les quatre épisodes du docu-fiction L’Affaire d’Outreau, réalisé par Agnès Pizzini et Olivier Ayache-Vidal, sont diffusés les 17 et 24 janvier à 21h10 sur France 2 et visibles sur france.tv.


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