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Vingt ans après, plongée au cœur de l’affaire d’Outreau

Qu’y avait-il encore à dire et à montrer de l’affaire d’Outreau, qui restera à jamais connue comme un des plus grands fiascos judiciaires français ? C’était tout l’enjeu du documentaire, dont les deux premiers épisodes seront diffusés mardi 17 janvier à 21 h 10 sur France 2, sobrement intitulé L’Affaire d’Outreau. En tout, quatre épisodes qui mélangent les genres, entre série, cinéma et théâtre, mêlant passé et présent et au cours desquels la caméra se faufile entre des décors montés pour des reconstitutions, des images d’archives, des plans actuels de la Tour du Renard – ensemble de HLM situé à Outreau où se sont déroulés les faits –, se fixant aussi devant des fonds unis, où l’on retrouve, assis, des protagonistes de l’affaire venus témoigner. Dans ce documentaire, pas de révélations, mais un travail de bénédictin pour remonter aux origines du mal : montrer comment la machine judiciaire s’est grippée et comment des vies en ont été brisées, à l’aide d’une mise en scène innovante.

Ainsi, l’on rappelle ce qu’est l’affaire d’Outreau : 12 enfants victimes de violences sexuelles, 4 adultes reconnus coupables, 13 autres innocentés après avoir passé trois ans en prison. « Trois ans, c’est long », dit l’un des acquittés d’Outreau face caméra. C’est Dominique Wiel, l’abbé Wiel, 64 ans à l’époque des faits. Le voici vingt ans après, les traits fatigués, mais le souvenir et la douleur intacts. Alors qu’il raconte la Tour du Renard au début des années 2000, avant que le scandale n’éclate, la caméra le quitte et va se placer devant un premier décor. On découvre une reconstitution de l’appartement du couple Badaoui-Delay, les parents des quatre enfants qui dénonceront bientôt des agressions sexuelles.

Dans cette pièce plus vraie que nature sont installés des acteurs, qui miment en silence leur quotidien de misère, fait d’alcool, de chômage, de violences, et, on l’apprendra plus tard, de visionnages compulsifs de films pornographiques. Puis une autre voix vient figer la scène. C’est un des fils du couple, Jonathan Delay, le vrai, désormais âgé de 32 ans, qui commente ce qui se passe devant ses yeux : « là, c’est Myriam Badaoui, ma maman, même si c’est dur de dire maman aujourd’hui […], et puis là, c’est moi », dit-il en regardant le petit acteur chargé d’interpréter son « rôle ». Il avait 6 ans et demi quand il a révélé devant les policiers qu’on lui avait « fait des manières ».

« Réaffirmer la vérité judiciaire »

Tout commence en décembre 2000, quand les quatre enfants du couple Badaoui-Delay, placés, révèlent les sévices dont ils sont victimes. Incarcérée, Myriam Badaoui va reconnaître les faits et multiplier les lettres à l’attention du juge chargé de l’instruction. Dans ses nombreuses missives, elle dénonce et énumère des noms de voisins qui auraient participé avec elle et son mari aux orgies incestueuses.

À l’été 2001, l’affaire déborde du cadre de la Tour du Renard. Les séances de viol impliqueraient un deuxième cercle de personnes. Les enfants ont cité de nouveaux noms, provoquant une vague d’arrestations. L’affaire va enfler à un point tel que les noms de 70 personnes seront cités par un des fils du couple. Le 1er juillet 2003, 17 personnes sont renvoyées aux assises pour « viols sur mineur de moins de 15 ans », « viols en réunion sur mineur de moins de 15 ans » et « proxénétisme ». Parmi eux, 13 innocents.

« C’est la première fois qu’un film dédié à l’affaire donne la parole à tous les protagonistes de cette histoire sans que cela soit partisan », explique Agnès Pizzini, qui a coréalisé le documentaire avec Olivier Ayache-Vidal. Elle s’est occupée de l’enquête et des interviews, lui de la mise en scène. Et le résultat est plus que réussi. D’une part parce que la trame narrative choisie sert parfaitement le propos et d’autre part parce que le documentaire offre, dans son ensemble, une photographie précise de ce qu’a été ce drame pour ceux qui l’ont vécu. « L’enjeu de l’écriture du scénario a été de rendre le plus compréhensible possible le fiasco judiciaire, rendre visible l’instruction et dérouler les événements pour réaffirmer la vérité judiciaire », confie Olivier Ayache-Vidal.

« Pourquoi personne n’a été capable d’arrêter cette machine folle »

Il est un des grands absents mais reste omniprésent dans le documentaire : le juge d’instruction Fabrice Burgaud. Frais émoulu de l’École nationale de la magistrature, il a 29 ans quand il débarque au tribunal de Boulogne-sur-Mer, au début des années 2000. S’il a toujours refusé d’endosser la responsabilité du fiasco judiciaire, on le retrouve, joué par un acteur, dans son bureau de l’époque, mais aussi à travers des images d’archives, notamment celles de son audition devant la commission d’enquête parlementaire qui s’est tenue en février 2006 et qui constituera pour lui un énième naufrage. Le documentaire dévoile à travers le jeu d’acteurs ce qu’a été le quotidien de ce juge qui n’a jamais douté de rien – ni de Myriam Badaoui qui, depuis sa cellule, multipliait les lettres à son endroit pour dénoncer des femmes et des hommes dont elle assurait qu’ils avaient participé aux faits – ni de lui-même.

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Lors du premier procès de Saint-Omer, le juge Burgaud assurera avoir agi en pur technicien du droit et n’avoir rien à se reprocher. « Dans une instruction, il y a deux colonnes : d’un côté, les éléments à charge, de l’autre, les éléments à décharge. C’est mathématique », dira-t-il. « Notre ambition pour cette série a été de comprendre comment 13 personnes ont passé autant de temps en détention pour être ensuite acquittées par un jury populaire. J’ai voulu montrer comment et pourquoi aucun garde-fou, aucun policier, aucun magistrat n’ont été capables d’arrêter cette machine folle et alors même que certains d’entre eux continuent de prétendre, encore aujourd’hui, qu’ils n’ont fait qu’appliquer le Code de procédure pénale », lui répond – quelque part – aujourd’hui Agnès Pizzini dans sa note d’intention.

Montrer la réalité de ce dossier hors norme

Pour les reconstitutions, les réalisateurs se sont exclusivement appuyés sur les procès-verbaux de l’époque. Une manière, pour eux, de ne pas tordre la réalité de ce que fut ce dossier hors norme. « On montre la fabrication du film comme on montre la fabrication de l’instruction », dit Olivier Ayache-Vidal au sujet des plans qui emmènent le téléspectateur dans les coulisses de la fabrication du documentaire. « Ces voyages dans le temps étaient importants », abonde Agnès Pizzini.

Les interviews des protagonistes sont aussi une lumière dans ce documentaire. Quatre des six acquittés du procès en appel à Paris, le 1er décembre 2005, témoignent dans le film. Il y a donc le prêtre-ouvrier Dominique Wiel mais également Alain Marécaux, Thierry Dausque et Daniel Legrand fils. (Un homme répondant au nom de Dany Legrand sera à l’époque cité par les enfants. Une fois arrivés à son domicile, les policiers s’aperçoivent qu’il y a un Dany Legrand père et un Dany Legrand fils. C’est flou, mais, dans le doute, ils arrêteront les deux, ce qui donne à voir, a posteriori, la manière dont l’enquête a été menée.)

Ces hommes qui n’ont jamais cessé de clamer leur innocence témoignent d’une machine judiciaire qui s’emballe sans que leur parole soit entendue. Dans le documentaire, on les voit aussi découvrir ceux qui vont les jouer lors des reconstitutions. Des scènes d’une grande humanité et d’où jaillit encore une certaine détresse, même 20 ans plus tard. Témoignent également des professionnels qui, à l’époque, ont travaillé sur l’affaire. « Uniquement ceux qui ont travaillé dessus, précise Agnès Pizzini, on ne voulait pas faire venir des experts qui n’ont jamais été concernés. » L’objectif est clair : donner à voir et à entendre ce qui s’est passé. Et seulement ce qui s’est passé. Le sable et l’eau qui ont fini par créer le ciment d’une instruction démesurée.

« L’Affaire d’Outreau », série documentaire d’Agnès Pizzini et d’Olivier Ayache-Vidal, sur France 2 les mardis 17 et 24 janvier à 21 h 10. En intégralité sur france.tv


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