« L’Enfance d’un maître » : maître spirituel bouddhiste, un métier de chien
Le Kalou Rinpoché, à Paris. GEBEKA FILMS
L’avis du « Monde » – à voir
D’un geste boudeur, un petit garçon repousse la coiffe rouge traditionnelle que des adultes tentent de placer sur sa tête. Ces images, comme la plupart de celles de L’Enfance d’un maître, documentaire de Jeanne Mascolo de Filippis et Bruno Vienne, témoignent des tourments infligés, dès son plus jeune âge, au second Kalou Rinpoché. « Enfant, tout le monde était gentil avec moi… Dans mon pays, tous me disaient : “Tu es une personne très importante, tu es Kalou Rinpoché. Tu as tant de responsabilités” », raconte le jeune lama, aujourd’hui âgé de 28 ans.
Kalou Rinpoché a vécu la séparation avec le reste de sa famille comme « un cauchemar qui a duré dix ans »
Deux ans après sa naissance, en 1990 à Darjeeling (Inde), il est « identifié » comme la réincarnation de Kalou Rinpoché, l’un des plus grands maîtres contemporains du bouddhisme tibétain, mort en 1989 et comptant des disciples dans le monde entier. Son successeur est élevé par ses parents près d’un monastère, où se pressent les fidèles venus se faire bénir, ou tout simplement l’approcher.
Le jeune garçon se plie aux rituels avec malice, joue, voyage en Occident, passe même une journée au parc Eurodisney avec ses parents. Quelques instants de bonheur et d’innocence, qui deviendront de plus en plus rares. Lorsqu’il a 7 ans, son père meurt. On le coupe alors du reste de sa famille, considérée comme une « source de distraction ». « On m’a même interdit de poser la tête sur les genoux de ma mère, raconte-t-il. Mon tuteur me disait : “Non, Rinpoché, vous ne devez pas faire ça, vous ne devez pas toucher une femme”… » Cette séparation, il l’a vécue comme « un cauchemar qui a duré dix ans ».
L’impression de n’être nulle part chez lui
Face à la caméra, le Kalou Rinpoché dresse un bilan amer de son enfance et de l’homme qu’il est devenu, évoque ses phases de dépression, juge que les enfants ne devraient pas recevoir d’enseignement spirituel, admet ne pas croire à la réincarnation et ne pas prier. Il raconte comment son tuteur l’a battu le jour où, à 13 ans, il dit avoir rêvé qu’il se marierait. Aujourd’hui, il distingue clairement sa vie privée de son existence de lama, un « job » contraignant, fait de visas, de billets d’avion et d’un programme défini d’une année sur l’autre. Avec l’impression dérangeante de n’être nulle part chez lui.
Aux propos courageux du Kalou Rinpoché, la voix « off » du documentaire oppose un discourss plutôt consensuel, loin des polémiques
Aux propos courageux du Kalou Rinpoché, la voix « off » du documentaire oppose un discours plutôt consensuel, loin des polémiques. Ainsi, l’agression au couteau dont il a été victime, en 2009, n’est que brièvement évoquée – le secrétaire du maître, furieux d’apprendre qu’il serait remplacé, avait tenté de l’assassiner. Le conflit du centre d’études et de méditation de La Boulaye, dans le Morvan, est passé sous silence – en 2011, le Kalou Rinpoché avait suspendu trois lamas venus du Bouthan, qui étaient soupçonnés d’abus de faiblesse.
Surtout, aucune mention n’est faite de la vidéo diffusée par le jeune homme, en novembre 2011, dans laquelle il révèle avoir été violé, à l’âge de 12 et 13 ans, par d’autres moines bouddhistes. « Le Kalou Rinpoché souhaitait tourner la page », indique Jeanne Mascolo de Filippis, coréalisatrice. Mais à l’heure du mouvement #metoo, et de son pendant #metooguru, visant à dénoncer les abus sexuels dans les monastères, cette omission donne au documentaire une curieuse impression de contretemps.
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Documentaire de Jeanne Mascolo de Filippis et Bruno Vienne (1 h 15). Sur le Web : www.facebook.com/enfancedunmaitre et www.monalisa-prod.com/vf/production.php?id=26
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