Cinéma

« La sortie de “Roma”, non pas en salle mais sur Netflix, est un moment triste mais qui fera date dans l’histoire du cinéma »

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Netflix dispose d’une force de frappe sans équivalent : 137 millions d’abonnés dans 190 pays qui diffusent « Roma » sous-titré en 28 langues.

Netflix dispose d’une force de frappe sans équivalent : 137 millions d’abonnés dans 190 pays qui diffusent « Roma » sous-titré en 28 langues. ALFONSO CUARON / NETFLIX

Chronique. Ce qui s’est passé vendredi 14 décembre fera date dans le cinéma. Un moment triste pour un film qui est pur bonheur. C’est un des paradoxes qui a entouré la sortie mondiale, ce fameux jour, de Roma, du Mexicain Alfonso Cuarón. Non pas en salle, en France, mais à la télévision ou sur un ordinateur, via Netflix.

Ce n’est pas la première fois, loin de là, qu’un film sort directement sur la plate-forme du géant du streaming payant. Un mois avant, il y a eu The Ballad of Buster Scruggs, des frères Coen. Dans quelques mois, parmi d’autres, il y aura le prochain Scorsese. Mais Roma, par son projet, sa réalisation, sa réception critique enthousiaste, les prix qu’il a reçus et ceux qui lui sont promis, l’attitude ambiguë du cinéaste aussi, est un moment-clé. Qui traduit un bouleversement dans la façon de voir les films.

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Cette histoire d’une employée de maison au service d’une famille disloquée de la bourgeoisie de Mexico, au début des années 1970, dans laquelle Cuarón emprunte à ses souvenirs, est un grand film de cinéma, sacré Lion d’or à la Mostra de Venise en septembre. Un film pour la salle, on s’en rend compte rien qu’en regardant l’énorme campagne de publicité agrémentée de critiques élogieuses tirées de la presse, notamment celle-ci : « Une magistrale leçon de cinéma ». Belle ironie, quand on lit en dessous : « Uniquement sur Netflix. »

Le débat autour de Roma a surgi en France, au dernier Festival de Cannes, qui n’a pu présenter le film sous la pression des salles : ces dernières ont l’exclusivité de projection pendant trois ans avant une diffusion sur une plate-forme. Cette polémique a masqué une autre question : pourquoi Alfonso Cuarón a choisi Netflix ?

Une force de frappe sans équivalent

Le cinéaste de 57 ans a réalisé huit films, entre expérimentation et grand spectacle, dont Gravity (2008), qui a obtenu sept Oscars. Il aborde ensuite Roma comme une pure création d’auteur. Il écrit le scénario, coproduit, tourne, en dirige la photographie, en est le monteur. Il fait tout en somme.

Le film que nous avons découvert à la maison via Netflix est dans cette logique, soit le fruit de partis pris formels qui aimantent le grand écran : format panoramique et son de haute qualité (deux facteurs pas à leur aise à la télévision), noir et blanc aux nuances infinies, travellings contemplatifs, caméra qui se tient à distance des personnages, plans complexes qui associent plusieurs actions, acteurs dont on devine à peine les visages au profit de silhouettes, perspectives virtuoses, fourmillement de détails tel cet avion dans le ciel, dialogues minimaux, bande sonore (sans musique) généré par la ville ou les vagues de l’océan. Tout cela se dissout sur petit écran, où le film se regarde mais ne se voit pas, exact contraire des séries télévisées rythmées par des gros plans envahissants, un montage rapide, des dialogues survitaminés.


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