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Benoît Battistelli : « La Chine dépose aujourd’hui 50 % des demandes de brevets dans le monde »

Le gouvernement britannique vient d’annoncer la ratification du traité sur la juridiction unifiée des brevets, préalable à l’entrée en vigueur du brevet unitaire européen. il suffit donc maintenant d’une seule signature, celle de l’Allemagne pour que le brevet unitaire européen devienne une réalité.

Le nombre de dépôts de brevets est un indicateur assez pertinent de la capacité innovatrice d’un pays ou d’une économie. Depuis 2010, les demandes de brevets auprès de l’OEB ont progressé de 10 % pour atteindre un total de 166.000 en 2017. Plus de la moitié de ces demandes provient de l’étranger, preuve que le marché européen reste très attractif et que les grandes entreprises considèrent qu’elles doivent y être présentes pour protéger leurs inventions et y investir.

Toutefois, au niveau mondial, l’augmentation est bien supérieure, du fait de l’explosion des demandes chinoises. Les dépôts de brevets en Chine sont passés de 500.000 à 1,5 million sur la même période, représentant 50 % des demandes déposées dans le monde en 2017.

Par ailleurs, les flux entre régions témoignent de la qualité des brevets européens qui s’exportent assez aisément dans tous les pays du monde. L’Europe « exporte » près de 100.000 demandes de brevets aux Etats-Unis, soit plus du double des demandes américaines reçues en Europe. Avec la Chine, la différence est encore plus flagrante : 36.000 demandes d’origine européenne arrivent en Chine, contre 7.200 en sens inverse. Avec la Corée du Sud, c’est le même ratio. Il n’y a qu’avec le Japon que l’échange est équilibré.

La présence de l’industrie européenne est relativement homogène dans tous les secteurs innovants : technologies médicales, biotechnologies, technologies vertes, transport, mobilité… à l’exception des NTIC. A l’inverse, les entreprises chinoises restent concentrées sur le seul secteur des nouvelles technologies de l’information et progressent à double chiffre chaque année.

Une étude de l’OEB sur la quatrième révolution industrielle et l’intelligence artificielle montre que l’Europe figure en bonne position, en particulier la France. Les demandes de brevets autour de l’IA ont progressé de 54 % en trois ans : systèmes 3D, interface utilisateur, etc. La France est le deuxième pays européen derrière l’Allemagne ; l’Ile-de-France est la première région en Europe devant la Bavière. La concentration de start-up, en particulier dans l’IA, en Europe et en France, nous place dans des positions permettant de fonder des espoirs pour l’avenir.

En Europe, on considère qu’un logiciel en tant que tel ne peut pas être breveté, parce qu’un algorithme n’est pas une invention. En revanche, nous n’avons aucun problème à breveter la dimension numérique de l’invention, donc des logiciels intégrés dans cette perspective technique. L’Europe possède vingt ans de pratique reconnue sur les inventions mises en oeuvre par ordinateur.

Avec l’IA, se pose aussi le problème de savoir qui est réellement l’inventeur. Jusqu’à présent, on a toujours considéré un individu ou une équipe à l’origine d’une invention. Or, les nouvelles technologies reposent sur des systèmes assez puissants pour apprendre et proposer de nouveaux développements. Faudra-t-il adapter des règles dont les principes de base ont été définis essentiellement au XIXe siècle ?

Diplômé de l’ENA en 1978, Benoît Battistelli a commencé sa carrière au ministère de l’Economie et des Finances, où il a aiguisé ses qualités de négociateur européen. A la fin de la décennie 1990, la propriété industrielle devient son cheval de bataille qui l’amènera à la direction générale de l’Inpi en 2004. Elu six ans plus tard président de l’Office européen des brevets (OEB), à Munich, ce ferveur défenseur du brevet unitaire ne verra finalement pas son entrée en vigueur sous son mandat, qui prend fin le 30 juin. En revanche, Benoît Battistelli aura réussi à mener à bien sa réforme en profondeur de l’OEB, faisant face à une forte résistance en interne.

Selon nos statistiques, sur l’ensemble des demandes de brevets que nous avons reçues en 2017, 69 % proviennent des grandes entreprises, 24 % des PME et 7 % des universités et centres de recherche publique. Je pense que le futur brevet unitaire aura un impact majeur, car de nombreuses PME françaises ont bien compris que leurs perspectives de développement se situaient davantage à l’échelon européen, mais elles rechignent à se protéger en conséquence pour une question de coût et de complexité. A mon avis, le pourcentage de PME déposantes de brevets européens va décoller grâce au brevet unitaire.

Le processus est anormalement long. Le traité entre les membres de l’Union européenne a été signé il y a maintenant cinq ans. La France a joué un rôle moteur car elle a été le deuxième pays à le ratifier dès 2014, après l’Autriche. Mais pour pouvoir mettre en oeuvre le brevet unitaire, il faut obligatoirement attendre  la ratification de la Grande-Bretagne  [la ratification britannique est intervenue la veille de la publication de cet article, ndlr] et de l’Allemagne qui sont, avec la France, les trois principaux pays en termes de nombre de brevets européens.

Les Britanniques n’avaient pas terminé le travail de ratification au moment où est arrivé le Brexit. Je ne dirais pas qu’il a retardé les choses, mais juste entraîné quelques mois de flottement post-Brexit. Très rapidement, le gouvernement a considéré qu’il était de son intérêt de mettre en oeuvre le brevet unitaire. S’agissant des négociations en cours sur le Brexit, deux situations doivent être envisagées : soit le brevet unitaire existe et fait partie de la négociation d’accès des Britanniques au marché unique, soit il n’existe pas et ils n’y auront évidemment jamais accès.

Le Parlement allemand a ratifié le traité, il y a près d’un an. La signature par le président de la République est cependant suspendue en raison d’un recours formé par un particulier devant la Cour constitutionnelle, laquelle pourrait prendre une décision avant cet été.

On peut espérer la délivrance du premier brevet européen unitaire fin 2018 ou début 2019. Je pense que ces combats d’arrière-garde ne vont pas remettre en cause la mise en oeuvre de cette très importante réforme. L’économie européenne et, en particulier les PME, ont besoin de cette amélioration. En effet, la simplification du système est considérable puisqu’au lieu de gérer plusieurs procédures nationales différentes et de payer autant de taxes nationales, vous n’aurez plus qu’un seul interlocuteur : l’OEB pour un brevet valable dans 26 pays de l’Union européenne. Il en résulte une  forte baisse des coûts , estimée à 70 % pour la même zone géographique.

Enfin, le contentieux du brevet unitaire relèvera obligatoirement de la compétence de la Cour unifiée des brevets et bénéficiera donc d’une plus grande sécurité juridique, évitant des jurisprudences nationales éventuellement divergentes.

Pour sa dernière cérémonie du Prix de l’inventeur européen, le 7 juin 2018, Benoît Battistelli a choisi pour écrin, le théâtre municipal de Saint-Germain-en-Laye (78), la ville dont il est maire-adjoint à la culture depuis 2008. Le futur ex-président de l’Office européen des brevets prendra, dès juillet, la présidence du Centre d’études internationales de la propriété intellectuelle (CEIPI) de l’université de Strasbourg, effectuant ainsi un chassé-croisé remarqué avec son successeur à l’OEB, le Portugais Antonio Campinos. La passation de pouvoir à l’Office aura lieu le 27 juin, lors de l’inauguration de son nouveau bâtiment conçu par Jean Nouvel, à La Haye.

Notre objectif essentiel fut de transformer une administration qui a toujours eu une préoccupation d’excellence technique, mais longtemps sans considération de contrôle des coûts, en une agence publique moderne, efficace et qui s’autofinance. Notre stratégie n’a pas été de réduire nos capacités, mais d’améliorer la production et la productivité, et donc la qualité de service aux entreprises.

De nombreux projets ont été mis en oeuvre. Les processus internes ont été totalement revus sur la base d’investissements IT d’un montant de 140 millions d’euros. L’automatisation de nombreuses tâches et la simplification des procédures nous ont permis de libérer près de 500 postes des fonctions support, réaffectés vers des emplois à plus haute valeur ajoutée dans le coeur de métier.

L’OEB a également mis en place un nouveau système des carrières basé uniquement sur la performance, qui a eu un effet majeur et immédiat sur nos résultats. Nous avons investi dans la formation et le recrutement de 1.000 ingénieurs en sept ans.

En trois ans, le stock des dossiers en attente de traitement à l’Office est passé de 27 à 19 mois d’activité. Depuis 2010, le nombre de brevets délivrés a augmenté de 82 %, sans baisse de la qualité, bien au contraire.

Au niveau budgétaire, ces effets sont très positifs. Ainsi, l’OEB a reversé l’an dernier 500 millions d’euros aux Etats membres de l’Organisation, dont 180 millions à l’Allemagne et un peu moins de 60 millions à la France. Des baisses du niveau des redevances ont également bénéficié pour la première fois aux utilisateurs, soit globalement 25 millions d’euros sur la seule année en cours.

Tout cela a été réalisé sans réduction du « paquet social » des employés : les rémunérations ont augmenté de 15 % en moyenne sur la période et de nouvelles primes ont été créées. L’Office est capable de couvrir la totalité de ses engagements sociaux, en particulier de son système de retraite. Notre fonds de réserve a dépassé les 8 milliards d’euros en 2018.

Il y a certainement plus d’une façon de réformer une entité, mais à mon avis la réussite dépend de la maîtrise, plus ou moins grande, d’un ensemble de facteurs : avoir une vision claire de la direction et une volonté politique, faire preuve de capacité d’écoute et de prise de décision, offrir des perspectives, développer les partenariats stratégiques, tenir ses engagements et communiquer de manière transparente.


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