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Vidéo à la demande: l’Europe entérine le principe d’exception culturelle

L’Europe reconnaît l’exception culturelle et par là même fait un joli cadeau à la production audiovisuelle française. Netflix et Amazon Prime Vidéo, et même Altice Studios, des services basés ailleurs qu’en France, vont en effet bientôt devoir se soumettre aux obligations de financement hexagonales. Cela pourrait représenter plus de 100 millions d’euros pour l’écosystème de la production hexagonale, estiment certains. En outre, tous les services de vidéo à la demande, par abonnement (SVOD) ou à l’unité (VOD), devront présenter en Europe au moins 30 % d’oeuvres européennes et les exposer correctement.

Les institutions européennes sont ainsi parvenues jeudi, en trilogue, à un accord sur la révision de la directive régissant les médias audiovisuels (directive « sma »). Bien sûr, il y a encore quelques étapes à franchir, notamment l’approbation finale par les instances européennes, mais au ministère de la Culture en France, qui était chef de file de la négociation pour le pays, on affiche sa confiance et on pense qu’on ne reviendra pas en arrière.

Pays ciblés par l’offre

La ministre française de la Culture, Françoise Nyssen, a salué « un texte ambitieux » qui « répond à la volonté de la France. » Notamment, « il oblige les services de VOD à contribuer au financement de la création dans le pays qu’ils ciblent quel que soit leur pays d’établissement », souligne-t-elle. Guillaume Prieur, responsables des questions juridiques à la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques), salue « pour le coup, un vrai pas en avant ».

Il note que l’Europe est allée à rebours de son dogme d’harmoniser les réglementations et d’ouvrir aux entreprises l’accès à tous les pays de l’Union dès lors qu’elles sont en conformité dans l’un d’entre eux. Avant ce texte, Netflix et Altice Studios étant aux Pays-Bas, ils ne pouvaient pas être soumis à des obligations de financement françaises.

Or en France, les obligations de financement sont particulièrement élevées. Les plates-formes par abonnement doivent consacrer 26 % de leurs revenus aux oeuvres européennes, dont 22 % aux oeuvres françaises (cinéma et audiovisuelles, sans distinction).

Si Netflix a 3,2 millions d’abonnés comme c’est parfois évoqué, il pourrait être mis à contribution à ce taux sur plus de 300 millions de chiffre d’affaires annuel, sachant que ce chiffre est en forte croissance. Guillaume Prieur note que la contrainte de la chronologie des médias pour le cinéma incitera les géants de la SVOD à miser davantage sur les séries. Il faut noter aussi que Netflix, Amazon et Altice investissent déjà dans la production française, à la fois en achat de droits et en préfinancement. Mais ce sera bientôt désormais pour eux bien plus encadré. Des taxes Netflix et YouTube ont en plus été mises en place.

Effet sur l’export

A titre de comparaison, les chaînes gratuites comme TF1 et M6 doivent consacrer 3,2 % de leur CA au cinéma européen (dont 2,5 % pour le cinéma français), et 12,5 % aux oeuvres audiovisuelles (20 % pour France Télévisions). Canal+ doit consacrer 12,5 % au cinéma européen (9,5 % au cinéma français) et 4,5 % aux oeuvres audiovisuelles. Les chaînes spécialisées comme OCS et Ciné + doivent consacrer 26 % de leurs ressources à ce type de financement.

Sur l’autre grand volet de cette directive « SMA », l’accord trouvé jeudi, deux ans après le lancement du projet, imposera donc aux services de vidéo VOD et SVOD de proposer un minimum de 30 % d’oeuvres européennes dans leur catalogue. Cette barre a été fixée au terme d’un âpre débat entre les pays d’Europe du Nord, partisans d’une approche assez libertaire d’Internet, et de l’Ouest et du Sud, plus soucieux d’« équilibrer le terrain de jeu » avec les télévisions, déjà tenues de diffuser au moins 50 % de contenus européens (en France, 60 %, dont 40 % de contenus français pour TF1, M6 et Canal+). « Au départ, la Commission était partie sur 20 % et beaucoup de pays sont aujourd’hui à zéro, se félicite-t-on au ministère de la Culture français. Cela signifie que le potentiel des séries européennes et donc françaises à l’export dans l’UE est amélioré ».

Impact limité ?

Cette approche par quota est dénoncée par les plates-formes, qui la jugent protectionniste et rétrograde. Bruxelles leur envoie un signal politique, ainsi qu’au secteur culturel. Mais l’impact sera en réalité limité pour les mastodontes du secteur, qui proposent déjà dans leurs catalogues européens quelque 20 % d’oeuvres locales selon les estimations de la Commission européenne.

Cela dit, en France, on veillera à ce que ces contenus ne soient pas enterrés au fond des catalogues. Au moment de la transposition de la directive en droit hexagonal, « des critères de mise en avant des contenus européens seront déterminés », assure-t-on au ministère.

« Nous avons enfin établi des règles du jeu justes en adaptant des règles importantes aux services de médias sur internet », s’est félicitée Sabine Verheyen, la négociatrice du Parlement européen. Le texte vient notamment aussi encadrer, avec Youtube et Twitter dans le viseur, la lutte contre les vidéos haineuses en ligne. Ils devront mieux protéger les mineurs contre certains contenus, avec des systèmes de notification. Le live streaming a été intégré au champ d’application.

La France satisfaite

Le texte n’évoluera plus dans ses grands arbitrages mais il doit encore être formellement adopté et publié d’ici la fin de l’automne. Les Etats auront ensuite un ou deux ans -ce point demeure à arbitrer – pour le transcrire dans leur droit.  La directive est aussi attendue par les chaînes de télévision . Elles exigeaient de pouvoir diffuser plus de publicité pour mieux réinvestir dans les contenus et lutter contre la concurrence en ligne.

Pub TV : un geste limité

Elles ont été en partie entendues : Bruxelles  n’augmentera pas la durée maximale de publicité autorisée (20 % du temps d’antenne) mais va assouplir sa répartition, en basculant d’une logique par heure (12 minutes maximum par heure) à une approche leur offrant plus de souplesse pour optimiser la répartition, notamment de 18 heures à minuit. Le recours au placement de produits et aux programmes « parrainés » sera aussi assoupli. « Depuis quinze ans, c’est vache à lait contre vache sacrée en termes de régulation, avec des télévisions commerciales toujours soumises à plus d’obligations face des plateformes qui n’en ont peu ou pas, explique Grégoire Polad, DG de l’ACT, le lobby à Bruxelles des télévisions commerciales. La révision permet plus de flexibilité sur la pub et c’est une bonne chose. Pour les plates-formes, on est encore loin d’avoir des obligations équivalentes, mais c’est un pas dans la bonne direction ».


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