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Les pilotes d’Air France, soldats de l’ancien monde

Alors que la France compte  5,9 millions de demandeurs d’emploi , et que 20 % des jeunes de 18 à 29 ans vivent en dessous du seuil de pauvreté (source Insee), une bataille fait rage pour savoir qui fera perdre le plus de richesses et d’espoir à la France. Cette intersyndicale de l’anti-France voit s’affronter deux camps.

A mon extrême gauche,  SUD-rail, CGT-cheminots, et leurs complices objectifs de La France insoumise , qui rêvent tous à un nouveau Mai 68 – cet âge d’or du plein-emploi et de la consommation à outrance, ce moment de grâce de l’intelligentsia de gauche où il faisait bon comparer, vingt-trois ans après Auschwitz, les CRS aux SS. A ma droite extrême, le SNPL, représentant des pilotes de ligne d’Air France, qui vient de condamner leur entreprise et ses 80.000 emplois à une mort économique quasi certaine, parce que, décidément non, 250.000 euros de rémunération annuelle moyenne pour un commandant de bord aux responsabilités et horaires si allégés, c’est bien trop peu.

Les pilotes de ligne comptent pour un quatorzième des effectifs d’Air France. Or, à chaque plan de sauvetage, ce sont les autres (personnels au sol, ou navigants en cabine) qui réalisent les plus grands sacrifices, à la fois en termes de réduction d’effectifs et de compression salariale, pour protéger les rentes de cette triste clique.

Que faire, face à ce scandale qui dure ? D’abord, comme l’a souligné le ministre de l’Economie ce week-end, l’Etat ne saurait être davantage complice de ce chantage. A l’heure où des services publics essentiels (hôpitaux publics, forces de l’ordre, justice) viennent à manquer de ressources financières, l’idée que l’Etat verse un euro supplémentaire dans ce tonneau des Danaïdes est inacceptable. « Aucune entreprise n’est immortelle », comme  soulignait l’ancien président d’Air France, Alexandre de Juniac . Surtout quand ses cadres supérieurs veulent la tuer pour une augmentation supplémentaire.

Ensuite, l’épisode Air France montre hélas, une fois de plus, que l’Etat n’est pas toujours le meilleur actionnaire d’entreprises concurrentielles. Incarnant l’intérêt général, il est immédiatement pris en otage par des groupes de salariés sursyndiqués du fait même de sa présence : la CGT à la SNCF ou chez EDF, le SNPL chez Air France. Le coût de la présence de l’Etat, encourageant une dynamique revendicative, se retrouve dans la situation financière fragile de ces entreprises.

Le gouvernement, à rebours d’une logique libérale thatchérienne qui aboutirait à la privatisation-sanction de la SNCF, a décidé de continuer d’accompagner cette entreprise, qui est un de nos biens communs. C’est un choix courageux, et coûteux, qui permet la pérennité d’un groupe octogénaire. Sans doute est-il temps pour l’Etat, tout en gérant ces passifs accumulés par l’absence de décision et de courage des derniers quinquennats et septennats, de davantage préparer et financer l’avenir de nos entreprises stratégiques. Celles du XXIe siècle plutôt que des siècles précédents.

Investir dans la souveraineté

A ce titre, les recettes attendues des privatisations futures d’entreprises en bonne santé et n’ayant plus besoin de l’Etat à leur capital viendront  abonder un fonds pour l’innovation de 10 milliards d’euros , dont l’objet n’a jamais été aussi prioritaire. En effet, ces sommes ne seront pas de trop pour aider la France à rattraper son retard dans les domaines  de l’intelligence artificielle , de la robotique et, plus généralement, dans le domaine des plates-formes et infrastructures numériques, où notre pays est aujourd’hui en situation de dépendance plutôt que d’autonomie stratégique.

Lorsqu’une entreprise en partie française, comme PSA, se croit obligée de recourir  aux technologies du chinois Huawei pour connecter ses futures voitures, et en faire ainsi, potentiellement, des armes (en cas de hacking, ou parce qu’une autorité supérieure l’aura demandé à Huawei), nous avons un problème majeur. Et, à ce jour, une absence totale de solutions qui nous garantiraient ici notre souveraineté numérique – et la sécurité du territoire.

Certains sondages d’opinion suggèrent que l’action du gouvernement est trop rapide, va trop vite. On pensera ici exactement le contraire, dans le domaine du financement de l’innovation et de la souveraineté numériques. La vitesse de déploiement des réseaux numériques, le retard sinon l’indigence des précédents exécutifs à comprendre cet enjeu obligent à accélérer.

Un élément supplémentaire vient plaider en faveur de la mise en place – et donc de l’abondement – de ce fonds stratégique : nous savons ici, d’expérience, que l’euphorie financière du moment ne durera pas. C’est maintenant qu’il faut lever ces 10 milliards d’euros. Pas lorsque les marchés se seront retournés.

L’exemple de l’atome

Si la survie d’Air France n’est pas acquise du fait de ses pilotes de ligne, et que celle de la SNCF dépend de syndicats de cheminots dont on espère qu’ils ont davantage le sens des responsabilités, l’autonomie stratégique et la politique industrielle numérique de la France, conditions de notre survie et de notre prospérité future, dépendent, elles, du seul exécutif. S’il faut prendre un exemple historique concret, il est à chercher dans la décision du général de Gaulle de doter la France de l’arme atomique, quoi qu’il en coûtât alors. Soixante-dix ans après, nous continuons de tirer les dividendes stratégiques, diplomatiques et économiques de cette décision.

Il faut donc vendre sans tarder les réussites d’hier pour financer celles de demain. Plutôt que de renflouer ad nauseam les échecs et enfants gâtés du XXe siècle, qui n’ont plus leur place dans la France de 2018. La bonne nouvelle du progrès numérique est qu’il nous permettra, à terme, de nous passer des pilotes de ligne d’Air France. Mais pas de la qualité de service et du contact humain de ses personnels navigants et au sol.


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