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EXCLUSIF – Ce que propose Laurent Wauquiez sur l’Europe

Une partie des Républicains ont conditionné leur maintien dans le parti à votre ligne sur l’Europe. Le projet des Républicains en 2019 sera-t-il pro-européen ?

Qu’est-ce qu’être pro-européen aujourd’hui ? C’est toute la question. Je comprends très bien qu’il soit difficile pour Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin de voir que la construction de l’Europe que leur génération a portée n’arrive plus à faire la démonstration de son efficacité et à parler aux peuples. Mais mon devoir, c’est de ne pas en rester à ce constat d’échec en tirant les leçons de ce désenchantement. Sauver l’Europe, c’est avoir le courage de la refonder, c’est avoir la lucidité de dénoncer ce qui ne marche pas pour enfin pouvoir tourner la page des aveuglements successifs qui ont conduit l’Europe dans une impasse. 

Depuis des années, quand on était pro-européen, on nous intimait d’être totalement béats sur ce que faisait la Commission, nécessairement pro-fédéraliste et de préférence utopique. Il y a cinq ans, quand j’ai écrit un livre tirant la sonnette d’alarme, j’ai été très critiqué. Aujourd’hui, qui peut encore contester ce constat que l’élargissement a fragilisé l’Europe, que l’incapacité à répondre à la crise migratoire est un talon d’Achille majeur et que nous n’avons pas de stratégie industrielle. Les eurosceptiques sont ceux qui persistent à ne pas ouvrir les yeux sur ce qui ne marche plus en Europe. Ceux qui sauveront l’Europe sont ceux qui auront eu le courage et la lucidité de la changer.

Mais diriez-vous que l’Europe est une nécessité vitale pour la France ?

Oui. Ma conviction, c’est que l’on a trahi l’esprit initial des pères fondateurs de l’Europe. On a laissé l’esprit européen se perdre, dans l’élargissement, dans le droit de la concurrence aveugle, dans notre naïveté dans les rapports de force avec le monde. Je suis impressionné de voir la vitesse à laquelle les choses se sont détricotées. Plus personne ne peut exclure une catastrophe dans la construction européenne. Prenons garde, sur la durée, au danger qu’il y a à ne pas écouter les peuples.

Pour moi, il y a deux dangers équidistants. D’une part la position de Marine Le Pen, qui prône  la sortie de l’euro , l’isolement de la France et donc l’affaiblissement du continent européen. Et de l’autre, l’utopie fédéraliste et technocratique portée par Emmanuel Macron , qui, de plus en plus coupé des réalités, veut continuer tout ce qui a amené l’Europe dans le mur : l’élargissement, l’extension de Schengen à la Bulgarie et à la Roumanie, l’augmentation sans contrôle des pouvoirs de la Commission, la poursuite d’une construction technocratique et peu opérationnelle de l’Europe. Le chemin des Républicains, entre ces deux dangers tout aussi extrêmes, c’est de porter le seul projet lucide qui peut permettre une renaissance de la construction européenne.

Macron et Le Pen, sur l’Europe, sont donc « bonnet blanc et blanc bonnet » ?

Ce sont deux postures diamétralement opposées mais qui conduisent l’une comme l’autre à l’échec de l’Europe. Le projet européen que nous voulons porter, c’est au contraire une Europe réaliste, capable d’assumer à la fois sa mission de protection et d’être à l’offensive. Je pense très profondément que l’on n’a jamais eu autant besoin de l’Europe. Et je pense, dans le même temps, que l’Europe que nous connaissons n’a jamais semblé à ce point incapable d’apporter des réponses aux défis que nous avons.

A vous entendre, on peut être à la fois proeuropéen et eurosceptique…

Tout cela est dépassé. Vouloir sauver l’Europe – donc être proeuropéen -, n’empêche pas d’être sévère sur ce que l’Europe est devenue. Oui je crois à l’Europe, mais pas à ce qu’elle est devenue. C’est pour cela que je veux la changer. Mais prenez garde à ne pas regarder la droite et le centre actuels avec les lunettes du passé ! Contrairement à ce que voudraient faire croire quelques voix de plus en plus marginales, les esprits ont beaucoup évolué. Plus personne à LR ne songerait à porter la parole d’un fédéralisme naïf, pas plus que celle d’un isolationnisme souverainiste. La nouvelle droite sera unie dans sa ligne européenne.

Concrètement, que proposez-vous ?

D’abord l’arrêt de tout élargissement, tant il a miné l’Europe de l’intérieur. Ensuite construire une Europe qui fait clairement le choix du travail et des entreprises. Je ne peux pas accepter qu’un commissaire européen continue à nous dire qu’il ne fait pas la différence entre une entreprise chinoise et une entreprise européenne, au moment où l’on a, face à nous, les barrières protectionnistes de Trump et l’habileté des chinois à protéger leur marché intérieur. Il faut remettre à plat notre doctrine de la concurrence, qui est totalement folle.

Nous ne devons pas être les ravis de la crèche de la compétition mondiale. Il faut donc faire de la réciprocité le principe fondateur de notre politique commerciale. Et mettre en oeuvre la préférence communautaire pour réserver la préférence à nos propres entreprises sur un certain nombre de marchés publics. Pensez-vous un seul instant que l’armée américaine va se mettre à acheter autre chose que des avions de combats américains ? La préférence communautaire doit devenir la pierre angulaire de la construction européenne. L’Europe doit rapprendre à chasser en meute.

L’Europe à laquelle je crois et j’aspire, ce n’est pas celle du consommateur qui pousse son chariot au milieu de supermarchés dans lesquels les produits ont été fabriqués hors d’Europe. C’est une Europe qui a la fierté de défendre un continent, avec une vraie stratégie industrielle. Une Europe du concret, avec de vrais projets.

Par exemple ?

Le déploiement de la 4G et de l’implantation d’un internet très haut débit partout permettrait à l’Europe de refaire la démonstration de son efficacité et de reprendre un lien concret avec des réalisations emblématiques.

Que devrait faire l’Europe face à la crise des migrants ?

Déjà il faut reconnaître qu’il y a une crise migratoire, et ne pas être dans le déni comme Emmanuel Macron qui explique que ce n’est qu’une crise politique. Il est dans l’aveuglement. Le premier devoir d’une construction politique, observait déjà Montesquieu, est d’assurer la protection de ses compatriotes. La crise migratoire est le révélateur de l’incapacité européenne à protéger. La première urgence, c’est de reconduire systématiquement dans leurs ports de départ les embarcations de migrants afin d’éviter les catastrophes en mer et de neutraliser les filières mafieuses d’immigration clandestine. Cela nécessite la mise en place d’une force navale européenne pour contrôler la Méditerranée.

Enfin, il est évident que les demandes d’asile doivent être traitées en amont en dehors de l’espace européen. Créer des centres d’accueil sur notre sol serait catastrophique : nous savons très bien qu’une fois les migrants sur notre sol, ils ne repartent pas. Ce serait donc créer un nouvel appel d’air.

Voulez-vous toujours changer les institutions européennes ?

Les priorités ne sont plus là. Quand il y a le feu dans la maison, ce n’est plus le moment de revoir les plans. Les deux priorités sont d’arrêter la vague migratoire de masse – en conditionnant notamment une aide plus vigoureuse au développement de l’Afrique à une politique de lutte, dans les différents pays, contre le départ d’une immigration clandestine et illégale à destination de l’Europe – et de retrouver une stratégie économique et industrielle permettant de jouer le rapport de force sur la scène mondiale.

Vous mettez au second plan votre Europe des cercles concentriques, jugée « irréaliste » et « dangereuse » par Valérie Pécresse ?

Je n’ai pas changé de conviction : on ne peut pas continuer à faire semblant qu’à 27, on partage tous la même vision de l’Union européenne. Certaines critiques des cercles concentriques me font d’ailleurs sourire. L’Europe des cercles existe déjà, les 27 pays ne sont pas tous dans la zone euro ni dans Schengen. Valérie Pécresse juge-t-elle que l’euro est un projet irréalisable et dangereux ? Arrêtons de créer artificiellement des différences entre nous.

Pour changer l’Europe, il faut des partenaires. Où sont les vôtres ?

Un vrai mouvement s’est opéré en quelques mois. Angela Merkel a compris les erreurs dans lesquelles l’avait amenée une politique migratoire non régulée. L’Autriche a bougé, les pays de la Baltique aussi. Les Pays-Bas sont extrêmement vigilants sur cette question. Mais pas seulement sur les questions migratoires. Il y a un an, Emmanuel Macron était porteur d’un grand espoir. Aujourd’hui, il a isolé la France. Souvent, notre pays croit qu’il peut donner des leçons à tout le monde sans se les appliquer à lui-même.

Si la désillusion s’est installée, c’est parce qu’Emmanuel Macron n’a pas fait le travail qui était attendu sur la France, le seul pays de la zone euro à ne pas réduire son endettement cette année, ne pas faire d’effort sur un déficit structurel avec un cycle de croissance aussi élevé, à augmenter encore sa dépense publique. Moi, dans ma région, j’ai baissé de 12 % les dépenses de fonctionnement en deux ans.

La première condition pour être crédible et pouvoir porter un projet européen, c’est que la France nettoie ses écuries d’Augias. Le facteur d’affaiblissement de la France est là mais Emmanuel Macron continue de faire croire qu’il peut effacer son inaction par la magie du verbe.

Emmanuel Macron a tout de même réussi à arracher à Angela Merkel un accord sur un budget de la zone euro…

D’abord je ne crois pas à la capacité du couple franco-allemand à imposer seul sa volonté sur la scène européenne. Ensuite, nous passons à côté des vrais enjeux. A l’heure où nous devons affronter une concurrence déloyale et le défi de la crise migratoire, notre priorité serait un budget de la zone euro ? Une nouvelle construction technocratique une solution à base de dépenses publiques, alimentée directement ou indirectement par de nouveaux impôts. C’est toute l’Europe dont les peuples ne veulent plus. Il faut revoir le fonctionnement de l’Europe et apporter la preuve qu’on peut avoir une Europe plus efficace, moins cher et moins technocratique. Le budget de la zone euro, c’est exactement l’inverse.

Faut-il revoir l’ampleur et la répartition du budget européen ?

Il a évidemment des curseurs à bouger. Plutôt que de saupoudrer les fonds européens, je préférerais qu’on les concentre sur quelques domaines, par exemple les réseaux de communications électroniques ou encore la recherche sur les maladies neurodégénératives. Mais en bon auvergnat, quand on me parle d’économie, j’aime bien qu’on fasse des économies sur le train de vie. L’Europe, c’est 10 milliards d’euros par an de fonctionnement administratif, sans compter ce qui est à la charge des Etats membres Il est urgent de simplifier, pour que cela soit moins cher et plus proche des réalités

Faut-il revoir l’attribution des compétences entre la Commission et les Etats ?

Il faut faire un grand soir des compétences et tout remettre à plat. Il y a des domaines où il faut rendre des compétences aux Etats-membres. La compétence normative donnée à Bruxelles est allée trop loin. Il faut aussi revenir sur le fait de donner toutes les clés des négociations commerciales à la Commission européenne. Notre rôle est de défendre les intérêts français.

Le contraste, d’ailleurs, est souvent énorme entre les deux côtés du Rhin. Quand Alstom a été vendu à Siemens il y a deux ans, les journaux français ont titré sur la naissance d’un géant ferroviaire européen alors qu’en Allemagne, la presse faisait sa une sur « Siemens s’offre le français Alstom ». Quand la France parle de l’Europe, c’est souvent pour oublier la France ; en Allemagne, c’est pour défendre les intérêts allemands.

L’euro est-il une réussite ?

L’abandon de la monnaie unique serait en tout cas une catastrophe. Les salariés et les épargnants seraient les premiers à payer les conséquences de la sortie de l’euro proposée par le Rassemblement national. Je refuse qu’on achemine la France vers ce chaos économique. Imagine-t-on un seul instant ce que serait la France, livrée à l’appréciation des agences financières, et dont l’état des comptes publics démontre notre incapacité à gérer correctement notre monnaie ? L’euro a des lacunes, la construction est imparfaite, mais c’est un bouclier.

Les problèmes de la France ne sont pas liés à l’Europe. L’Europe n’est pas exempte de toute critique mais le manque de compétitivité, le poids de la fiscalité, la dépense publique, ce sont nos problèmes et nous devons les régler.

Quel sera le profil de la future tête de liste de LR aux élections européennes ?

Une des erreurs majeures de la politique, c’est d’être obsédée par les castings et de penser que la communication a remplacé l’action. La tête de liste sera définie en fonction du programme ; pas l’inverse. Cela viendra plus tard.


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