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YVES CROZET. : « La gratuité des transports publics est un leurre »

Oui. Aujourd’hui une trentaine de villes pratiquent la gratuité totale. La plupart sont de petite taille, puisque seules trois communes ont plus de 100.000 habitants : Aubagne, Niort et Dunkerque. Mais en réalité, ce mouvement vers la gratuité paraît inexorable, il se prépare de manière sous-jacente depuis des années. En trente ans, les villes n’ont eu de cesse de baisser les tarifs de leurs titres de transport. Dans les villes de plus de 100.000 habitants, le ratio de « couverture » des dépenses d’exploitation par les recettes commerciales n’est plus que de 28 %, contre plus de 50 % dans les années 1990. Seule Lyon fait exception à la règle.

Il y a fort à parier que cette question de la gratuité s’invitera dans la campagne des municipales de 2020.

Cette politique de gratuité est-elle efficace ?

Elle n’a que peu d’effet sur le report modal et la congestion automobile. Il y a, généralement, une hausse de fréquentation, mais qui n’est pas forcément synonyme de l’arrivée de nouveaux usagers. La voiture reste reine dans les petites villes où le transport collectif est marginal. Il peut y avoir une certaine logique pour elles à basculer vers la gratuité, qui ne leur coûte pas très cher, et qui est source d’économies dans un premier temps (billettique, contrôleurs..). 

Mais cela ne règle rien. La gratuité est un leurre, une solution de facilité, qui ne réduit pas les nuisances automobiles, déresponsabilise les usagers, et prive les collectivités d’un levier d’action, celui de la régulation du trafic par la tarification horaire et sa modulation. Elle créé aussi une dépendance à la dépense publique.

Justement, quelle équation financière sous-tend la gratuité ?

Les collectivités peuvent être tentées de sous-investir et, partant, de marginaliser encore plus ce transport. Se pose alors le risque d’un système à deux vitesses : d’un côté des transports individuels performants car financés (véhicules autonomes, parkings intelligents…), de l’autre, des transports collectifs où la qualité de service n’est plus assurée. Pour cette raison, les acteurs du système, du GART (les entreprises) à la FNAUT (les usagers) en passant par les transporteurs, ne sont pas très favorables à la gratuité.

L’autre solution consiste à puiser dans les ressources de la ville. Certaines villes « rentières », comme Niort, ou Dunkerque ont des ressources fiscales suffisantes. Mais nombre d’autres sont dans une période délicate et une hausse d’impôts serait inévitable en cas de gratuité.

Les entreprises financent déjà une partie des transports.

Oui, et en ce sens, ce serait une folie que d’instaurer la gratuité à Paris, car elle les mettrait encore davantage à contribution. Entre le versement transport (VT) et le paiement du passe Navigo de leurs salariés, cela représente déjà 6 à 8 % de leur excédent brut d’exploitation.

En Ile-de-France, la gratuité permettrait d’économiser 150 millions d’euros de frais de fonctionnement, mais le manque à gagner serait de 2,5 milliards. Qui financerait la différence ? Certains parlent de créer un péage urbain, mais à 700 euros par an et par voiture immatriculée en Ile-de-France, il serait très impopulaire auprès des automobilistes. Reste l’Etat… ou les entreprises. Le VT dépasse déjà les 4 milliards d’euros. Leur demander un nouvel effort serait schizophrène au moment où Paris cherche à les faire venir en profitant du Brexit.

Que préconisez-vous ?

Avec le thème de la gratuité, la Mairie de Paris promeut sans le dire une politique de mobilité fondée sur le couple financement par l’impôt et régulation par la congestion, pour la route comme pour les TC. Mieux vaudrait pour les deux un financement par l’usager et une régulation par une tarification variable dans le temps et l’espace.


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