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Devoir de vigilance des entreprises : un premier bilan en demi-teinte

La redéfinition de  l’objet social de l’entreprise va être débattue d’ici à quelques jours à l’Assemblée nationale dans le cadre de la loi Pacte. Sans que l’on sache quelles seront les conséquences concrètes de cette réécriture du Code civil. En revanche, on commence à voir avec plus de netteté comment la loi sur le devoir de vigilance , qui poursuit les mêmes objectifs, se déploie dans les sociétés concernées. Ce texte, voté en mars 2017, impose aux entreprises de plus de 5.000 salariés en France (ou 10.000 si le siège social est à l’étranger) d’établir une cartographie exhaustive des risques sociaux et environnementaux découlant de leur activité et de celle de leurs sous-traitants.

Zones à risques

Sur les quelque 150 entreprises concernées environ, le cabinet EY, dans une étude sur le sujet que « Les Echos » ont pu consulter, en a recensé 68 qui ont d’ores et déjà rédigé un document relatif à leur devoir de vigilance. Les autres ont jusqu’à la fin de l’année pour le faire. EY a décortiqué une trentaine de ces documents. « En général, les grandes entreprises ont identifié les risques les plus évidents depuis longtemps. Avec le devoir de vigilance, cela leur permet de voir s’il n’y a pas de trous dans la raquette », explique Eric Mugnier, associé chez EY. Comme l’achat de « goodies » par exemple, qui ne fait pas partie du coeur de métier et dont la fabrication est souvent assurée par des sous-traitants de second ou troisième rang.

Même chose pour les zones géographiques : l’Afrique et l’Asie sont des continents à risque pour le travail des enfants ou le travail forcé. Mais les entreprises se sont rendu compte que l’Europe des Balkans, avec l’arrivée massive de migrants ces trois dernières années, devenait aussi une zone où les conditions de travail étaient à surveiller.

En rédigeant leur document, les entreprises ont pris conscience de la nécessité de prendre en compte l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement. Comme ce groupe français qui achetait du verre en Chine et qui s’est rendu compte que le verre en question était fabriqué à partir de sable importé du Vietnam et issu d’exploitations très destructrices pour les écosystèmes de la région.

Eviter les contentieux

La lecture des documents de vigilance reste toutefois décevante dans bien des cas. « Le paradoxe, c’est que les entreprises en font généralement plus sur la gestion des risques que ce qu’elles écrivent dans leur plan de vigilance », prévient Thomas Gault de EY. En mettant le doigt sur un risque donné, elles craignent de s’exposer à des critiques, voire des poursuites, sur la façon de gérer ce risque.

Si le  Conseil constitutionnel a invalidé la sanction financière qui pouvait aller jusqu’à 30 millions d’euros, l’entreprise qui ne respecte pas la loi pourra se voir mise en demeure par un juge. « Ce que j’espère, c’est que l’on n’aura pas besoin de passer par des contentieux pour rendre le dispositif plus robuste », déclare Dominique Potier, député PS et auteur de la proposition de loi qui a donné corps au devoir de vigilance. Pour lui, l’année 2018 est avant tout « une année d’apprentissage » pour les entreprises et il reconnaît qu’« il faut du temps pour mettre en place ce genre de processus ».

Les syndicats peu consultés

A la CFDT, on fait le même constat : « La loi NRE a mis une dizaine d’années avant de produire des résultats. Et aujourd’hui, ce sont les entreprises qui étaient les plus avancées dans leur politique RSE qui sont allées le plus loin dans le devoir de vigilance. » Les marges de progrès sont encore importantes : très peu d’entreprises par exemple associent leurs syndicats à la démarche. Plus préoccupant, seules cinq entreprises sur le panel étudié par EY ont soumis leur plan de vigilance au comité exécutif ou au conseil d’administration pour approbation.

« Les lois Grenelle, Sapin 2, le devoir de vigilance,  la loi Pacte  : il y a beaucoup de zones de recouvrement entre ces textes. C’est le rôle de l’Etat de réguler mais veillons à ne pas créer un surcroît de bureaucratie pour les entreprises, analyse Fabrice Bonnifet, directeur du développement durable du groupe Bouygues. Pour véritablement changer les modèles d’affaires, il faut arriver à leur démontrer qu’en passant d’un modèle économique prédateur à un modèle plus contributif, elles vont baisser leurs coûts et saisir des opportunités, et pas dans dix ans, mais tout de suite. »


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