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Renault-Nissan ou la crise des nationalismes

L’ arrestation de Carlos Ghosn , qu’il soit coupable ou innocent, est évidemment un gros cadeau fait en France aux populistes en pleine tempête de démagogie sur le pouvoir d’achat. Cette élite payée des millions, des dizaines de millions, fraude en plus le fisc ! Les gilets dorés sont sans vergogne. Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et compagnie s’en sont donné à plein tweet.

Bien. Mais leur joie s’est arrêtée vite parce que le cas Renault-Nissan va, en réalité, exactement à l’encontre de toutes leurs thèses nationalistes. La question posée par cette « Alliance » est précisément celle du dépassement des nations dans le monde industriel, technique, capitalistique mondialisé actuel.

Renault est venu au secours de Nissan, le numéro 2 de l’automobile nippon, lorsque celui-ci était en pleine déconfiture, il y a vingt ans. A Paris, on estime que Renault « a sauvé Nissan » et que cela légitime la prééminence française ;  le groupe français possède 43 % du capital . Mais à Tokyo, on pense l’inverse. Aujourd’hui, les ingénieurs de Nissan lui ont permis d’atteindre le double de la taille de son sauveur et d’être en avance sur bon nombre de dossiers techniques, il est temps de redistribuer le pouvoir, de le rééquilibrer (Nissan n’a que 15 % de Renault), voire de l’inverser.

L’arrestation de Carlos Ghosn a peut-être  un motif personnel fiscal . Mais sa forme, en particulier le fait que Tokyo ne transmette pas le dossier juridique à Paris alimente une thèse du « coup monté par les Japonais » qu’il est difficile d’écarter. En tout cas, le contexte est celui d’une tension paroxystique du pouvoir binational. La crise au sein de l’Alliance est une crise des nationalismes.

La phase 2 de la mondialisation

Le moment est décisif. Nous sommes entrés dans une phase 2 de la mondialisation dans laquelle la question des retombées nationales est reposée de façon ardente à cause, justement, des dégâts de la mondialisation phase 1 sur les usines et les classes moyennes. Tous les gouvernements, pas seulement les populistes à la Trump, veulent réindustrialiser, accroître les capacités de recherche-développement sur leur sol et rapatrier des emplois ouvriers.

Mais le moment est décisif aussi à l’échelle européenne. La relance de l’Europe ne passera pas seulement par l’accord Macron-Merkel sur un budget, sur l’union bancaire ou l’harmonisation fiscale mais par une consolidation du marché unique, ce qui signifie d’aller bien plus avant avec des mariages transfrontières d’entreprises.

Hormis l’emblématique Airbus, il y en a eu très peu à cause des susceptibilités nationales, des normes, des coutumes, des rentabilités disparates et, par ailleurs de la politique de la concurrence. Mais face aux deux empires, l’Union doit resserrer les rangs, achever le marché unique et faire naître des projets dans Internet, l’espace, les télécoms, l’alimentation, la santé ou la finance. Devrait s’ouvrir une ère de consolidation indispensable face aux géants chinois et américains. Mais sur quel modèle ? Quelle forme pour les « alliances » ?

Trouver la bonne alliance

Il y en a quatre sur les étagères. Le premier modèle va être appliqué dans l’industrie de la défense. France et Allemagne vont faire tank et avion de combat communs sur le modèle des coopérations et de la distribution ultra-précise des rôles. Les crédits et les retombées de chacun sont prédéfinis et pesés au trébuchet. Ce modèle étatico-privé marche mais péniblement.

Le deuxième est, lui, simplissime : le schéma privé national. La firme du pays A achète une autre du pays B puis dirige tout. Ainsi PSA a pris Opel. Le troisième est le bi-national comme Airbus. L’équilibre est assuré au capital avec pour principe la rotation des dirigeants et la répartition équitable des retombées en emplois. Modèle né au départ proche de celui de la coopération, il essaie de s’en détacher mais avec difficulté. Le dernier modèle est celui du schéma a-national type HSBC : A épouse B, les deux deviennent apatrides et vont convoler dans un paradis fiscal.

Que choisir pour Renault-Nissan ? Le point dur reste que la fierté japonaise est égale à la fierté française. Personne ne peut être lésé sans dommage, ce qui semble exclure la solution 4 du mariage apatride (probablement désirée par certains dirigeants, dont Carlos Ghosn) et la 2 de la prise de contrôle de l’un par l’autre. Reste le modèle Airbus. La France ne peut vouloir garder la main, elle l’a en fait perdue. Le Japon croit reprendre la main, il ne faut pas le laisser faire. Le post-nationalisme équitable doit s’inventer sous nos yeux.


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