Economie

« Presque personne en dehors de Facebook ne connaît ce qui se passe à l’intérieur de Facebook »

Facebook va vivre une nouvelle journée difficile mardi, au lendemain d’une panne géante qui a paralysé ses plateformes, avec l’audition parlementaire d’une lançeuse d’alerte qui va exposer des dérives du groupe et réclamer au Congrès américain de mieux le réguler.

« Hier (…) durant plus de cinq heures, Facebook n’a pas été utilisé pour semer la division, déstabiliser des démocraties et contribuer à ce que des jeunes filles et jeunes femmes se sentent mal dans leur corps », devait dire l’ingénieure Frances Haugen en ouverture de son audition devant une commission sénatoriale. L’informaticienne de 37 ans faisait référence à la gigantesque panne qui a mis hors service les deux réseaux sociaux et les deux messageries du géant de Menlo Park (Californie), Facebook, Instagram, WhatsApp et Messenger.

Cette panne qui a duré environ sept heures est « la plus importante jamais observée » par Downdetector, un site qui recense les signalements d’utilisateurs, selon lequel « des milliards » d’utilisateurs ont été affectés.

Elle a été causée par un « changement de configuration défectueux » des routeurs qui « coordonnent le trafic entre les serveurs », a expliqué Facebook dans un communiqué publié sur son site dans la nuit de lundi à mardi. La perturbation technique a eu des « effets en cascade ».

L’incident a suspendu le vaste écosystème qui s’est créé autour de Facebook et de ses plateformes, rappelant, si besoin était, leur omniprésence, avec 3,5 milliards d’utilisateurs dans le monde. Il aura fallu cette panne pour qu’Instagram devienne l’application la plus téléchargée aux États-Unis lundi, suivie par Facebook, selon la société d’analyse de données SensorTower, les deux plateformes détrônant TikTok.

Les « dégâts » de Facebook

A peine remis de cette sortie de route inédite, Facebook va rester à la une pour la troisième journée d’affilée avec l’audition de Frances Haugen devant la commission au Commerce du Sénat américain.

Dimanche, cette ancienne cheffe de produit, qui a quitté l’entreprise en mai, s’était montrée pour la première fois à visage découvert lors d’une interview diffusée par la chaîne CBS et avait déjà porté un premier assaut contre son ancien employeur.« Je suis ici aujourd’hui parce que je crois que les produits de Facebook font des dégâts sur les enfants, sèment la division et affaiblissent notre démocratie », devait dire Frances Haugen en ouverture de son audition, qui devait débuter vers 14H00 GMT.

L’ingénieure s’appuie sur ses deux ans passés au sein de l’entreprise, mais aussi sur des milliers de documents qu’elle a emportés avec elle au printemps dernier.

Déjà présentés, pour partie, par le Wall Street Journal mi-septembre, ils montrent que les chercheurs de Facebook ont mis en évidence le fait qu’une partie des adolescentes utilisatrices d’Instagram sont encore moins à l’aise avec leur corps qu’elles ne l’étaient auparavant.

Frances Haugen affirme également que Facebook a supprimé, après l’élection présidentielle américaine, des filtres contre la désinformation, pour favoriser une augmentation de la fréquentation de ses plateformes. Ces dernières ont ensuite été utilisées par des internautes pour préparer le rassemblement du 6 janvier à Washington qui a mené à une intrusion au Capitole.

« Facebook est devenu une compagnie à 1.000 milliards de dollars en payant ses bénéfices avec notre sécurité, y compris la sécurité de nos enfants », devait-elle encore dire.

« J’ai pris l’initiative parce que j’ai réalisé une vérité effrayante: presque personne en dehors de Facebook ne connaît ce qui se passe à l’intérieur de Facebook. La direction de la compagnie cache des informations vitales au public, au gouvernement américain, à ses actionnaires et aux gouvernements du monde entier ».

Contenir l’incendie

Facebook a multiplié les efforts pour tenter de contenir l’incendie. « Si nous étions une société qui ne se préoccupe pas de sûreté, qui donne la priorité aux bénéfices, nous ne ferions pas ce genre de recherches », a fait valoir lundi Monika Bickert, vice-présidente de Facebook, au sujet des études internes montrant notamment que la santé mentale de certaines jeunes filles est affectée par Instagram.

Quant à l’impact du réseau social sur le climat politique, que Facebook n’a pas fait suffisamment pour contrôler selon Frances Haugen, un autre vice-président, Nick Clegg, avait jugé dimanche « trop facile de chercher une explication technologique à la polarisation politique aux États-Unis ».

L’enjeu pour Facebook réside dans son image, déjà ternie par des scandales à répétition, notamment l’affaire Cambridge Analytica en 2018, et dans l’élan que pourrait donner ces révélations au Congrès pour tenter de légiférer.

L’entreprise « ne sait pas se réguler elle-même », a commenté lundi la porte-parole de la Maison-Blanche Jen Psaki. Ces documents « prouvent les inquiétudes (…) au sujet du pouvoir que les géants des réseaux ont amassé ».