Economie

« Le système bancaire suisse ne s’est pas adapté au nouveau monde »

Les révélations sur la banque Crédit Suisse révèlent « le déni » et « le laxisme » du système bancaire national face à l’argent douteux, selon le professeur de politique économique internationale à l’Université de Londres et spécialiste des paradis fiscaux Ronen Palan, dans un entretien à l’AFP.

Que nous apprennent les nouvelles révélations d’un consortium de journalistes visant Credit Suisse ?

Elles nous montrent que Credit Suisse, et probablement le système bancaire suisse, ne s’est pas adapté au nouveau monde. Les banques suisses ont par le passé généralement servi à des clients fortunés, parfois du tiers-monde, à cacher des fonds issus de détournements ou de la corruption. Généralement la Suisse ne coopérait jamais.

Bien sûr, ces banques affirment qu’elles ont changé sur le secret bancaire,qu’elles se modernisent. Or, j’ai de sérieux doutes sur cette mue. Ces révélations montrent que, même si elles essaient, elles n’y parviennent pas car elles ne sont pas assez volontaires. Un exemple est que depuis de nombreuses années leur modèle commercial consiste en partie à opérer dans certains pays largement corrompus tels que l’Égypte ou la Thaïlande.

Même si elles essayent de changer de modèle, elles ne sont pas vraiment compétitives dans d’autres segments de la banque ou de la finance. Alors en attendant, elles se fient encore au vieux modèle modèle de refuge pour les fonds liés à l’évasion fiscale et aux activités criminelles.

Credit Suisse affirme que ces affaires relèvent du passé, et sont antérieures aux efforts réalisés en matière de conformité. Est-ce une défense crédible?

Ce n’est pas une défense crédible et cela montre que la banque est dans un déni institutionnel car l’argent issu de la criminalité et du blanchiment n’était pas plus légal ou moralement acceptable dans le passé que dans les années récentes.

Là où Credit Suisse a clairement failli, c’est sur la question des règles de conformité. Chaque banque doit s’assurer qu’elle connaît son client et l’origine de ses fonds. Credit Suisse aurait dû savoir que ces clients étaient suspects. Dans les faits, elle le savait très probablement et elle a fait preuve de cupidité, de laxisme et de faiblesse.

Concernant l’échange d’informations entre pays enfin, la difficulté est qu’il fonctionne en supposant que le gouvernement dans lequel un citoyen est basé fasse quelque chose des informations fournies. Par exemple, si la France apprend que vous avez caché de l’argent en Tanzanie, elle agira probablement. Mais si vous êtes un homme puissant du Kazakhstan et même s’il existe un accord d’échange d’informations entre ce pays et la Suisse, le Kazakhstan n’en fera peut être rien.

La régulation internationale progresse, mais les scandales financiers se poursuivent. Avance-t-on vers plus de transparence?

Nous réalisons des progrès, mais ces progrès ne servent pas un seul objectif ou un seul domaine de la régulation. Sur Credit Suisse, on peut imaginer que la banque a désormais plusieurs problèmes. L’un d’entre eux est celui de la réputation: de nombreux clients tout à fait légitimes, et certaines grandes entreprises, seront désormais plus réticents à être associés à cette banque, ce n’est donc pas une bonne opération pour eux d’un point de vue commercial.

De plus, de nombreux gouvernements ou agences gouvernementales à l’international vont surveiller plus étroitement les investissements de clients en lien avec cette banque, ce dont aucune entreprise n’a envie. Là encore, cela aura un effet sur la banque.

Enfin ces affaires ont un effet cumulatif et nettoient le système progressivement. Pas complètement, car certaines personnes essaieront toujours de cacher de l’argent et certains États chercheront toujours à en bénéficier. Mais ces opérations deviennent de plus en plus coûteuses pour les grandes institutions bancaires, et l’objet de frictions de plus en plus gênantes.