Rachid Taha, l’arrêt du cœur du rocker au grand cœur
Le musicien Rachid Taha, août 2011. © RFI/Edmond Sadaka
À quelques jours de ses 60 ans, Rachid Taha est mort d’une crise cardiaque dans la nuit du 11 au 12 septembre. Le rocker, né en Algérie et arrivé en France à l’âge de 10 ans, avait été le chanteur du groupe lyonnais Carte de Séjour, avant de s’imposer mondialement grâce à un répertoire riche de compositions et de reprises. Un nouvel opus était attendu au début 2019.
Dans quelques jours à peine, le 22 septembre prochain, Rachid Taha devait fouler la scène de l’Opéra National de Lyon, à l’occasion des 20 ans de la sortie de son premier Diwan. Album de reprises paru en 1998, ce 4e album de sa discographie avait été conçu comme une passation des savoirs, reliant la génération de ses parents venus du Maghreb à celles des enfants de France.
Un Diwan 2 avait vu le jour en 2006. Rachid qui réfléchissait depuis au répertoire qu’il présenterait sur la troisième livraison, attendait cette Nuit à l’Opéra avec impatience. L’idée de reprendre ces hymnes du patrimoine maghrébin dont le célèbre Ya Rayah de Dahmane El Harrachi, accompagné par ses musiciens (l’indéfectible Hakim Hamadouche au mandole, Kenzi Bourras aux claviers, Julien Perraudeau à la basse et Alberto Malo à la batterie), les cordes de l’Orchestre de l’Opéra et le producteur et guitariste Steve Hillage (Gong, System 7), ravissaient ce natif de Sig (Algérie).
Compagnon de route depuis 1984, le producteur britannique avait réalisé Rhorhomanie, le premier album de Carte de Séjour paru sur le label Mosquito. En pleine explosion du rock hexagonal et de la new-wave, ce jeune groupe lyonnais se démarquait, traçant « une filiation entre la babouche et la santiag » comme il aimait à le répéter, et livrant encore brûlant, un rock chanté en français et en arabe. « Je ne suis pas un chanteur de raï, scandait celui qui précisait alors, dans un éclat de rire singulier, compter les Chebs quand il avait du mal à s’endormir. »
La Douce France perd son poil à gratter
C’est une première reprise, celle du Douce France de Charles Trenet, distribué à sortie en 1986 avec l’accord du ministre de la Culture Jack Lang, à tous les parlementaires qui signa son premier succès grand public. Ce titre marqua aussi le renouveau de la musique de France.
Rachid Taha posait du coup à l’ensemble de la société française la question de l’immigration et de la place de la deuxième génération dont il se portait en héraut, en porte-voix. Devenu chanteur sous son nom, à la fin de Carte de Séjour, Rachid Taha enfilait à chaque crispation de la société française, son habit de grande gueule sur scène avec des titres forts comme Voilà, voilà comme sur les plateaux télé et dans les émissions de radios.
Curieux de l’autre et cultivé, sans interdit donc, Rachid Taha aimait débattre ; et c’est souvent avec un sens aigu de la provocation et un humour dérangeant qu’il emportait le morceau ; sans concession aucune aux extrémistes de tous poils.
Un parcours rare
« Tu connais beaucoup de rockers qui ont collaboré avec Steve Hillage, Mick Jones, Justin Adams, Santana ou Brian Eno ? » aimait à souligner avec une fierté non dissimulée celui qui donna du sens à l’étonnant attelage d’1, 2, 3… Soleil (Khaled, Faudel et lui-même).
En effet, à la différence de nombres de musiciens qui vont chercher l’onction suprême au contact de pairs illustres, Rachid attirait ces derniers comme la lumière fascine les lucioles. Condensé de sono-mondiale et de rock’n’roll attitude, il pouvait citer Johnny Cash, les Clash et Farid el Atrache dans la même phrase et savait tout des dernières tendances en matière de musique électronique.
Fin août, il était sur scène à Marseille au côté de son ami Rodolphe Burger pour un concert du CousCous Clan. Initié dans les années 80 avec l’accordéoniste Yvette Horner et le chanteur et joueur de kora Mory Kante, le KousKous Klan et ses trios K d’alors était une réponse aux premiers succès électoraux du Front national.
Récemment reformé dans des bars, puis sur scène avec l’ex-Kat Onoma, le C.C.C. était devenu une réunion de rockers alsaciens stricto sensu, tout aussi forte en sens, si ce n’est plus. Tous deux avaient grandi à Sainte-Marie-aux-Mines et auraient pu se rencontrer sur les bancs de l’école publique.
Récemment, il avait révélé les colonnes du quotidien algérien El Watan être atteint du syndrome d’Arnold Chiari, une malformation congénitale du cervelet qui l’handicapait, pas tant pour qu’on s’apitoie sur son sort que pour alerter les familles au bled des risques des mariages consanguins dont ce syndrome est une conséquence.
C’est sur sa terre natale qu’il sera inhumé à la demande de ses parents toujours en vie, l’ambassade d’Algérie se chargeant du rapatriement et des obsèques de Rachid Taha après un temps de recueillement ce matin à 10h à la Garenne Clichy*.
*1 av du Général Leclerc – 92110 La Garenne Clichy
À écouter : L’Algérie rend hommage à Rachid Taha (reportage du 12 septembre 2018)
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