Stupeflip reprend du service avec l’album « Stup Forever »
C’est une drôle d’armada amenée par un chanteur masqué. Stupeflip livre son 5e album en vingt ans de carrière, Stup Forever, et opère un retour aux sources bien maîtrisé. Où l’on suit avec passion les aventures de King-Ju, justicier qui produit des boucles de sons pleines d’images, derrière son ordinateur, et de ses drôles de copains.
La pochette du cinquième disque de Stupeflip nous évoque presque Don Quichotte. Montant son fidèle cheval au regard halluciné, on imaginerait volontiers Julien Barthélémy, alias King-Ju, combattre les moulins à vent et en profiter, avec ce Stup Forever, pour prêcher la bonne parole.
« Don Quichotte, ce n’est pas vraiment voulu, rectifie-t-il. Je voulais juste une image héroïque. Je me vois parfois comme un chevalier, mais un chevalier de l’impossible. » Rompant gentiment avec un épisode précédent qui était une superproduction, il livre un disque ancré dans les années 1990.
Le Stupeflip CROU (1) ne mourra jamais, comme il le répète tout le temps, et continue ses aventures à la manière d’un dessin animé. Est-ce qu’il ne devait pas rendre les armes voici cinq ans ? « C’est trop drôle parce que les gens n’ont retenu que ça !, s’exclame King-Ju. Mais Stupeflip, c’est un rêve ! C’est totalement hors du temps ! Je me moque un peu du monde, je joue avec les gens. Je fais un parcours comme un petit labyrinthe. Et à la fin, je dis que la sortie n’était pas là. Ce n’est parce que mon personnage dit, ‘C’est fini’, que c’est la fin. »
Un chanteur démasqué dans ses textes
Tout au long de ces cinquante minutes, ce groupe d’un seul homme s’en donne à cœur joie. Il convoque les fantômes de Public Enemy comme du vieux rap américain. Avec Dans ton baladeur, King-Ju pose les termes du débat de façon anachronique. Pour une fois, il abandonne sa position désengagée et dénonce la misogynie. Jamais exactement où on l’attend, Julien Barthélémy assure ne pas avoir attendu #MeToo pour penser à ça. « On parle souvent des victimes, qui sont les femmes, mais on ne fait pas parler les hommes », appuie-t-il.
Morceaux entre rap et rock à l’humour caustique, montages rigolos, et ego trip… On retrouve la petite mythologie et les personnages récurrents du CROU, Cadillac et MC Salo. Il y a aussi ce brave Pop-hip, qui meurt et ressuscite à chaque fois. « Pop-hip, c’est une parodie de musique des années 80. Ces morceaux-là, je les fais ultra-sérieusement, mais à la fin, c’est une blague, explique King-Ju. Je fais un album très dark, profond, et à moment donné, je pète un coup ! C’est pour ça que le milieu ne me comprend pas trop. Je ne suis pas le mec qu’on va inviter dans une émission de télé pour parler d’un sujet. »
À ceux qui croient que Stupeflip n’est qu’une simple parodie, il suffit d’écouter attentivement ses Etranges phénomènes pour se convaincre du contraire ! S’il brouille en permanence les pistes, c’est un Julien Barthélémy sans masque que l’on découvre dans ses allers et retours entre réel et science-fiction. « Rien n’est au second degré ! On peut me reprocher de beaucoup parler de moi. Mais c’est intéressant de parler de ce qu’on connaît. Je suis mon propre laboratoire, j’ai vécu des trucs et je les retranscris. Après, j’ai un petit peu honte, il y a des choses un peu impudiques parce que j’ai manqué de textes », poursuit-il.
Des sons comme des images
Depuis son premier tube plein d’autodérision, J’fume pu d’shit, et son pendant sombre, J’refume du shit, les morceaux sur le cannabis sont un passage obligé du « Stup ». La chanson s’appelle ici Tellement bon et traduit le rapport ambivalent à la chose de ce musicien et dessinateur de génie, qui passe son temps à créer des musiques sur son ordinateur en fumant des joints. « Il y a peu de gens qui produisent des images avec leur musique, à part Booba. Moi, je sais que mes musiques créent des images pour l’auditeur. Malheureusement, ça va un peu avec la fumette. Dès que j’arrête de fumer et qu’une semaine après, je reprends, j’ai un milliard d’idées dans la tête », explique-t-il.
Jamais satisfait de son travail, King-Ju voit la vie de musicien comme le fait de faire des disques. Après avoir arrêté la scène en 2013 et refusé de se produire dans des Zénith et à Bercy, il ne souhaite plus remonter sur scène. « Moi, je suis masqué, et je n’ai pas du tout envie de m’exposer. Je trouve ça mal élevé, dit-il. De quel droit un mec va faire un son et aller voir ses fans, en leur disant : ‘Oh, je vous aime !’ ? Pour moi, l’une des chansons les plus pathétiques, c’est Ma plus belle histoire d’amour, de Barbara. Elle ne connaît pas ses fans et ses fans ne savent pas qui elle est au fond. »
Cela n’empêche le bonhomme un peu rêveur, mais franchement sensible d’être bien suivi sur internet et même, d’avoir un univers à lui dans le jeu vidéo Minecraft. À 54 ans, Julien Barthélémy n’a quasiment pas une ride sur le visage. Il est devenu adulte, mais a oublié de grandir complètement, et c’est peut-être cela le plus touchant.
(1) Le CROU est un détournement des crew du hip hop.
Stupeflip Stup Forever (Dragon Accel 2) 2022
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