Réemploi des déchets de chantier : quel potentiel pour les organismes HLM ?
Depuis 2015, 30 à 35 millions de tonnes de déchets de chantier sont produits chaque année en Ile-de-France, tandis que 41 600 logements sociaux ont été démolis dans la région entre 2004 et 2020 dans le cadre du programme national de rénovation urbaine (PNRU) : à travers ces deux chiffres clés, l’Institut Paris Region, dans une Note rapide publiée fin juillet 2021, veut montrer le potentiel à tirer d’une gestion circulaire des déchets par les organismes HLM.
Celle-ci présente en effet « un intérêt écologique et économique majeur : limiter l’extraction de ressources, réduire l’empreinte carbone et la production de déchets, et créer des emplois locaux non délocalisables », font valoir les auteurs en introduction, avant de montrer comment de plus en plus d’organismes HLM s’attachent « à favoriser le recyclage et le réemploi des matériaux dans le cadre des chantiers de production, de démolition et de réhabilitation » menés en Ile-de-France.
Une réglementation favorable
Des démarches encouragées par une réglementation favorable à la valorisation des déchets de chantier, avance en premier lieu l’étude, qu’il s’agisse de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire rendant obligatoire, depuis le 1er juillet 2021, le diagnostic “produits, matériaux et déchets” pour les démolitions ou les réhabilitations de plus de 1 000 m² de surface de plancher cumulée, ou encore de l’instauration d’une filière “responsabilité élargie des producteurs” (REP) pour le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) à partir du 1er janvier 2022, obligeant le producteur à mettre en place un tri à la source.
Autre facteur incitatif : « l’importance des gisements de matériaux générés par le renouvellement urbain ». Les auteurs citent à ce propos Seine-Saint-Denis habitat qui a mis en place en 2015 une première expérimentation autour du réemploi de béton, qui représente 90 % des déchets issus des démolitions, dans le quartier du Clos Saint-Lazare, à Stains.
Les diagnostics “ressources”, préalables nécessaires
Troisième levier identifié par l’Institut Paris Region : « les appels à projets, et les financements qui les accompagnent, permettent de mettre en œuvre des procédés innovants », à l’image de l’appel à projets Architecture de la transformation financé par le groupe Caisse des dépôts en lien avec l’Union sociale pour l’habitat (USH), qui a permis à des bailleurs comme Seine-Saint-Denis habitat d’expérimenter la construction d’ouvrages en réemployant du béton.
Derrière ces différentes opportunités, les auteurs ont cherché à savoir quelles actions concrètes pouvaient être mises en place. « Préalables nécessaires à toute réflexion, les diagnostics “produits, matériaux et déchets” (ou diagnostics “ressources”) permettent de quantifier et de caractériser le gisement de ressources en déchets, mais également de définir les exutoires et les modes de valorisation appropriés de ces déchets, est-il rappelé dans la Note rapide. En amont des démolitions, il s’agit d’analyser la composition des bâtiments, en vue de distinguer les matériaux réemployables de ceux qui devront être recyclés. »
Ainsi, dans le parc social, les matériaux peuvent être réemployés dans l’aménagement des espaces publics (revêtement de sols, construction de locaux poubelles et de rangement vélos, murets pour des jardinières…) ou être recyclés par les bailleurs pour leurs besoins internes, à l’instar du projet de renouvellement urbain du quartier Gagarine, à Romainville (Seine-Saint-Denis) : l’agence locale de Seine-Saint-Denis habitat y a récupéré des portes à l’intérieur des logements, qu’elle a conditionnées et qu’elle réemploiera dans de prochaines opérations. « Une dernière forme de valorisation consiste en la revente ou en la cession de matériaux à d’autres maîtres d’ouvrage intéressés ou à des acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) », illustre encore l’Institut.
Ces nouvelles pratiques supposent pour les bailleurs de modifier les dossiers d’attribution des marchés de construction et de démolition. Outre les lots « désamiantage” “déconstruction”, un lot “réemploi” est désormais de mise dans les marchés de démolition et « un lot “valorisation du béton après démolition” peut également être inclus ». « Par ailleurs, de nouvelles formes de contractualisation sont engagées dans ces projets, à travers des contrats de cession de matériaux entre les maîtres d’ouvrage ou avec les collectivités, ou des contrats de donation pour les acteurs de l’ESS ».
Massifier la vente de matériaux réemployé
Cependant, « le réemploi et la déconstruction sélective demeurent des pratiques expérimentales » car ces innovations nécessitent d’importants financements, signale l’Institut Paris Region. En effet, pour développer le réemploi, les bailleurs supportent d’un côté les coûts associés à la déconstruction et, de l’autre, les maîtres d’ouvrage de la construction ne veulent pas payer des matériaux réemployés à des prix plus élevés que pour le neuf. « Les bailleurs sociaux sont donc sur un modèle de vente à prix coûtant, qui ne génère pas encore de valeur économique. Les subventions publiques constituent dès lors le principal moyen de combler des procédés vertueux, mais déficitaires. L’enjeu est de réfléchir à des modèles de rentabilité, par exemple en massifiant la vente de matériaux réemployés, ce qui permettrait de réaliser des économies d’échelle. Une autre solution serait d’élargir le réemploi au-delà des seuls matériaux de second œuvre, pour toucher aussi le gros œuvre », analysent les auteurs.
Ils reviennent également dans cette Note rapide sur le vaste écosystème d’acteurs sur lequel s’appuie l’économie circulaire en Ile-de-France. La Région, notamment, propose une aide aux chantiers circulaires, tandis que les bailleurs bénéficient également du soutien de l’Europe, de l’Ademe, de la Banque des territoires, du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), de la métropole du Grand Paris (MGP), de l’Institut national de l’économie circulaire, de l’association Orée…, mais aussi, plus spécifiquement de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) et de l’Union sociale pour l’habitat (USH). « Le dispositif Anru+, qui vise à stimuler l’innovation dans les quartiers en renouvellement urbain, permet le financement de diagnostics “ressources”, de déconstructions sélectives, de plateformes de réemploi et de procédés de construction propres à l’économie circulaire (utilisation de matériaux biosourcés ou issus du réemploi). » L’USH, pour sa part, assure une fonction d’assistance et de conseil auprès des organismes HLM et anime leur mise en réseau. Elle a récemment publié un référentiel sur l’économie circulaire pour outiller les bailleurs sociaux, notamment à l’aide de fiches d’actions types et de retours d’expérience.
Enfin, les auteurs pointent le rôle des intercommunalités : « si elles n’ont pas de compétence en matière de déchets du BTP, elles peuvent sensibiliser les différents maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre ou architectes à la déconstruction sélective et au réemploi », écrivent-ils. Et de citer l’exemple de la “convention qualité construction neuve” mise en place par l’EPT Plaine Commune afin de prescrire des matériaux provenant de la récupération ou du recyclage. Dans le domaine de l’emploi et de la formation, l’EPT Est Ensemble travaille au développement d’un tiers lieu qui accueillera des formations autour du réemploi de matériaux de construction.
« L’économie circulaire : une opportunité pour les organismes HLM », Note rapide de l’Institut Paris Region, juillet 2021.
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Author: Emmanuelle Chaudieu